Le Ciel De Nadira. Giovanni Mongiovì

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Le Ciel De Nadira - Giovanni Mongiovì

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style="font-size:15px;">      “ Ma mère, Jala… ma femme Ghadda et mes enfants Rashid et Fatima ; voici ma sœur, Nadira. ”

      Chacune de ces femmes s’inclina mains jointes devant le Qā’id et ce-lui-ci répondit

      “ Je ferais envoyer des dons pour récompenser la beauté de cette mai-son. ” en posant plus d’un regard sur les yeux de Nadira.

      Les plus beaux tapis et les coussins les plus prestigieux avaient été pré-parés en vitesse sur le pavement de la plus grande pièce, pour que les hommes puissent s’asseoir et converser entre eux. Dans les cuisines même le tannūr18 avait été allumé pour cuire le pain tandis que les jeunes couraient à la source la plus proche pour porter de l’eau fraîche et courante aux invités. Ils s’assirent tout autour de la pièce, tandis que les femmes de la maison invitaient Maimuna à s’unir à eux de l’autre côté, derrière, sous une espèce de hangar délimité par une haie formée de roses.

      Une rangée de femmes parmi les domestiques commencèrent à porter la nourriture, les fruits, mais aussi les pâtisseries au miel, le pain, les dates à peine cueillis et les jus de grenade. A ce point, le Vizir, se lissant la barbe à l’étrange forme pointue commença ses réflexions et ses questions tech-niques sur la gestion du village :

      “ Le lieu est agréable et les personnes sont dévouées à leur Qā’id ; tout le mérite est pour vous ? ”

      “ Il va à chaque habitant du Rabaḍ et au joug agréable que notre aimé Qā’id leur réserve. ”

      “ Quels sont les nombres de la conscription du giund19 ? ” ” Quarante et un hommes, déjà armés. ”

      “ Les dhimmi te sont soumis ? ”“ Il y a une seule famille de chrétiens…. des paysans parmi les plus paisibles. ”

      “ Une seule ? Ailleurs, dans le iqlīm20 de Mazara, les chrétiens sont re-groupés en communautés, bien souvent modestes. ”

      “ Les maraudeurs… avez-vous subi des attaques ? ” demanda à ce point Ali ibn al-Hawwās.

      “Nous subissons des attaques depuis le temps de mon père. La dernière fut quand Jirjis Maniakis se déchaîna sur la côte orientale, il y a vingt ans. Pourquoi me le demandes-tu mon Seigneur ? ” Les sujets de Mohammed ibn al-Thumna, mon beau-frère, ne sont pas si doux que les habitants de ce village…. et le Rabaḍ est dans un avant-poste fragile aux pieds de Qasr Yanna, où il réside.

      “ Nous devons nous préparer à quelque chose, cher Qā’id ? ”

      “ Je te demande seulement d’organiser la garde et un feu de signalisation prêt pour lancer l’alarme à nos sentinelles. ”

      Sous le toit, en plein air, Jala en attendant entretenait son illustre invité grâce au même traitement réservé à son frère. Assis sur des escabeaux ils conversaient de frivolités et banalités.

      “ Quand l’accouchement est-il prévu ? ” demanda Maimuna à Ghadda en fixant l’abdomen.

      “ Dans trois mois…. Inshallah21

      “ et toi…. Nadira…. c’est vraiment inhabituel d’être encore dans la maison de ta mère. C’est peut-être la petite taille de ce village qui est la cause pour laquelle tu n’as pas de prétendant ? ”.

      “ A dire vrai, ma Dame, j’ai beaucoup de prétendants…. Mais Umar re-tient qu’ils ne sont pas dignes. ”

      “ de ta beauté ? Ton frère a raison.

      “ Je n’ai rien que ta seule moitié n’ait pas ”

      Alors Maimuna découvrit ses poignets en retournant les manches ; des cicatrices à peine guéries mais encore pleine de rougeurs apparurent.

      “ Mais toi, tu n’as pas celles que j’ai… ”

      Nadira et les autres la regardèrent avec perplexité, ils pensèrent immédiatement que la sœur du Qā’id s’était coupé les veines. Mais Maimuna expliqua :

      “ Ne pensez surtout pas que je suis une pêcheuse ; c’est quelqu’un d’autre qui m’a obligée à me tailler les poignets. ”

      “ Qui, ma Dame ? ” demanda Nadira, presque avec les larmes aux yeux, ce jour là elle portait une petite peinture en forme de palmier sur le menton, un travail minutieux fait avec de l’henné22.

      “ Mon mari, Mohammed ibn al-Thumma, Qā’id de Catane et Syracuse.»

      “ Pourquoi, ma Dame ? Que lui as-tu fait ? ” demanda Nadira en se penchant vers l’avant et en lui prenant les mains.

      “ Il existe un motif pour lequel une femme doit être traitée de la sorte ? ” Nadira donc laissa la prise, en entendant la réponse qui ressemblait presque à un reproche.

      “ J’appartenais à ibn Meklāti, déjà seigneur de Catane, avec lequel j’étais mariée, mais Mohammed lui prit la vie et lui vola sa femme.

      Et comme ci l’infamie d’être mariée au meurtrier de mon premier mari ne suffisait pas, Mohammed voulu m’offrir ce cadeau de me tailler les poignets avec l’objectif de m’épuiser. En plus, vous savez comment mon frère a été fait esclave de Qā’id de ses propres mains…. Pour cela Mohammed ne manquait pas de me rappeler mon état de plèbe. ”

      “ Tu appartiens encore au Qā’id de Catane, ma Dame ? ” demanda Ghadda.

      “ Il me demanda de le pardonner quand il eut cuvé son vin du soir précédent…. Vu que Mohammed fait partie de ceux qui boivent et se donnent aux excès pour ensuite se plaindre et se repentir le jour suivant. Moi, je lui demandai dans tous les cas de pouvoir me rendre chez mon frère et il me le permis… mais si le jeune domestique ne m’avait pas sauvée, aujourd’hui je ne serais pas ici à bavarder avec vous, mes chères sœurs. ”

      “ Ne crains tu pas en retournant vers lui ? ”

      “ Non, je ne retournerais pas, j’ai la certitude de ne plus revoir mes enfants… mais je ne retournerais pas ! ”

      “ Sois courageuse ! ” s’exclama Ghadda.

      “ Je ne suis pas courageuse, je suis seulement la sœur du Qā’id de Qasr Yanna. Si j’avais été une des femmes de ce village, je serais sûrement re-tournée comme une brave femme. ”

      “ Et ton frère ne te renverra pas ? ” intervint Jala, surprise par le fait que Maimuna espérait que son frère puisse l’appuyer dans ce comporte-ment qu’il lui semblait indécent.

      “ Ali me la juré. ”

      Il y eut un moment de silence, comme si l’air était chargé de préoccupations pour le geste de la femme.

      “ Nadira, ma sœur, ton frère a raison de ne t’accorder à personne. Tu as vu mes poignets ? Tu as vu ce que l’on risque quand on finit dans les bras de celui qui n’est pas l’homme juste ? Et puis, tu mérites beaucoup…. beaucoup plus de ce qui pourrait t’arriver en restant au Rabaḍ. Les hommes communs ne te

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<p>18</p>

Tannūr : littéralement ” four ”. D’où le sicilien ” tannura”.

<p>19</p>

Giund : troupe, armée.

<p>20</p>

Iqlīm : subdivision administrative, province. Dans la Sicile musulmane il en existait historiquement trois. Elles furent par être appelées ”Vallées ” durant l’époque normande. Afin de faciliter l’identification de ces divisions politiques, il suffit de tenir compte du fait que la Sicile a une forme triangulaire, en tirant une bissectrice de chaque côté, on arrive à un point central du triangle. Les trois parties qui en résultent correspondent aux trois vallées historiques de la Sicile (iqlīm durant la période musulmane ).

…de Demona : correspondant à la Sicile Nord-Orientale (de Demona, ville située sur les Nebro – di ).

…de Mazara : correspondant à la Sicile occidentale (de Mazara, l’actuelle Mazara del Vallo).

…de Noto : correspondant à la Sicile sud-orientale ( de la ville de Noto ).

<p>21</p>

Inshallah: littéralement ” Si Dieu veut ”. Est une expression utilisée communément qui indique, en tenant compte que tout est dans les mains d’ Allah, l’espoir qu’un évènement se vérifie dans le futur.

<p>22</p>

Henné: substance colorante extraite de la plante qui porte le même nom, utilisée depuis l’antiquité pour effectuer des tatouages temporaires et pour teindre les cheveux. Dans de nombreux endroits du monde, il est encore utilisé pour décorer les mains et les pieds des femmes.