L'Épice. Robert A. Webster
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Les frères se dirigèrent vers la grande cabane communale. Depuis l’entrée, ils virent leur mère assise sur le sol. Leur père, le visage sale en larmes et avec un regard terrifié, s’adressait aux villageois qui semblaient choqués. Ravuth et Oun s’assirent sur le sol à côté de leur mère.
« Qu’est-ce qui se passe, pourquoi père a l’air si effrayé et couvert d’égratignures, et pourquoi est-ce qu’il parle à tout le village à la place du chef de village Ren ? », demanda Ravuth.
Il regarda sa mère effrayée, qui murmura : « Ren est mort et votre père raconte ce qui est arrivé à Koh Kong, restez tranquilles et écoutez. Il a presque terminé et nous vous expliquerons plus tard ». Bien que terrifiée, Rotha essaya d’avoir l’air calme devant les garçons.
Stupéfait, Ravuth dévisagea les villageois présents et vit les enfants de Ren blottis autour de leur mère en pleurs à l’autre bout de la pièce, se consolant les uns les autres, avec d’autres familles dont les parents n’étaient pas revenus. Ravuth et Oun avaient manqué la majeure partie de ce que leur père avait expliqué aux villageois, mais en voyant les visages de l’assistance, ils réalisaient que cela devait être quelque chose de sérieux. Quand il eut fini, leur père se fraya un passage pour rejoindre Rotha et les garçons.
« Qu’est-ce qui est arrivé, père ? », demanda Ravuth.
« Nous avons beaucoup de travail devant nous », répondit leur père Tu, visiblement affolé. « Rentrons à la maison et je vous expliquerai ».
La famille quitta la cabane communale pendant que les autres se dispersaient et rentraient chez eux.
* * *
Les deux frères et leur père s’assirent sur un Kam-ral, un tapis de paille. Tandis que Rotha s’occupait de ses plaies, Tu déroula son horrible récit à ses fils.
« Je suis parti avec Ren et les autres jusqu’à la frontière séparant la Thaïlande du Cambodge pour vendre les bijoux que nous avions fabriqués. Au premier abord, tout semblait normal. Nous nous sommes arrêtés derrière le poste-frontière, à l’endroit où nous laissons habituellement nos bicyclettes ».
Tu grimaça quand Rotha plaça un baume piquant sur une égratignure profonde, puis il continua.
Il n’y avait pas de soldats au poste. À leur place, plusieurs jeunes gens habillés en pyjamas noirs et portant des foulards à carreaux rouges et blancs, se tenaient près d’une large barrière en construction au point de contrôle. Ils portaient des fusils et ordonnaient à des travailleurs de construire un grillage. Je vis que des soldats thaïlandais se tenaient à la frontière côté Thaïlande avec anxiété, aussi je décidai de rester avec les bicyclettes pendant que Ren partait se renseigner, tandis que les autres partaient pour attendre le car. Ren s’approcha d’un garçon qui, à sa vue, pointa son fusil sur lui.
Ren semblait effrayé car le garçon lui cria dessus et dit qu’il était un soldat *Khmer rouge, maintenant en charge du Cambodge.
Tu regarda ses fils et leur dit :
« Le garçon avait à peu près le même âge que toi, Ravuth ».
Oun et Ravuth virent leur père trembler en leur disant : « Un autre soldat khmer rouge a crié en direction du car qui approchait et s’est précipité, attendant que le car se soit arrêté. Ils ont fait sortir un groupe d’étrangers terrifiés, en jetant leurs affaires depuis le car. Les étrangers ont pu ramasser certaines de leurs affaires avant que les Khmers rouges ne les poussent vers le no man’s land de la frontière cambodgienne. Je voyais les soldats thaïlandais tenant en joue le groupe d’étrangers qui s’approchait, les Khmers rouges et nos villageois qui venaient pour aider, aussi je suis resté où j’étais ».
Tu prit le sac noir sur la table et dit : « Comme j’avais remarqué que les touristes avaient laissé plusieurs objets derrière eux, je me suis dirigé vers le car vide et j’ai fouillé dans les objets épars. J’avais déjà vu des touristes porter des objets semblables ».
Il ouvrit le sac, en sortit un appareil Polaroïd et le montra à ses fils curieux.
« Je suis revenu à ma bicyclette, j’ai accroché le sac à mon guidon et j’ai continué à regarder ce qui se passait à la frontière. Le groupe s’était approché des soldats thaïlandais et s’était arrêté. Le Khmer rouge poussa les étrangers tremblants vers l’avant et cria en direction des Thaïs, mais je n’ai pas pu entendre ce qu’ils disaient. Les touristes ont couru vers les soldats qui, tenant toujours en joue les Khmers rouges, laissèrent passer les étrangers qui allèrent s’abriter derrière ces soldats. Tous les Khmers revinrent en marchant à travers le no man’s land vers le territoire cambodgien, en riant et en plaisantant ».
« Ça va, papa ? », demanda Ravuth tandis que son père était devenu silencieux et se frottait les yeux.
Tu acquiesça et poursuivit :
« Ren et les villageois semblaient maintenant s’entendre avec les Khmers rouges. Ils riaient et plaisantaient ensemble en revenant vers le côté cambodgien de la frontière. Je me sentais soulagé et j’étais sur le point de les rejoindre, espérant qu’ils ne m’avaient pas vu prendre l’appareil ».
Tu ajouta avec un tremblement dans la voix : « Mon soulagement se transforma en horreur lorsque le jeune Khmer rouge qui marchait derrière Ren plaça le canon de son fusil sur l’arrière de son crâne et appuya sur la détente ».
Ravuth et Oun haletaient.
Tu secoua la tête : « Ren ne s’est douté de rien ; il parlait à un autre Khmer rouge quand sa tête a explosé. J’ai vu la balle sortir de sa tête et son corps qui tombait sur le sol », ajouta Tu en essuyant des larmes.
Rotha leur apporta des gobelets d’eau et posa ses mains sur les épaules de son mari.
Tu avala l’eau, se recomposa et continua : « Je me suis caché derrière la cabane des gardes-frontière et j’ai entendu les soldats khmers rire et bavarder, tandis que nos amis et voisins leur demandaient grâce. Je savais que je devais m’éloigner de là, même si cela signifiait les abandonner, soupira-t-il, mais je ne pouvais rien faire pour eux ».
Rotha partit vers la cuisine tandis que Tu continuait. « J’ai fait reculer ma bicyclette de quelques mètres en arrière de la cabane des gardes-frontière, j’ai jeté mes colliers et j’ai pédalé aussi vite que je pouvais. Je n’étais pas très loin quand j’ai entendu des gens derrière moi qui me criaient d’arrêter. Terrifié, j’ai ignoré ces cris et j’ai continué à pédaler. J’ai entendu un tir et une balle est passée près de mon oreille ».
Les garçons se regardèrent, puis leur père continua. « J’ai pédalé frénétiquement, j’ai quitté la route et me suis dirigé à travers les champs vers la jungle jusqu’à ce que la piste soit trop accidentée pour la bicyclette et je me suis caché dans le sous-bois derrière un bosquet d’arbres. J’ai attendu ce qui m’a paru une éternité, mais ne voyant aucun signe des Khmers rouges, je suis revenu sur mes pas, j’ai ramassé ma bicyclette et j’ai pédalé jusqu’à la maison ».
« Qu’est-ce qu’un Khmer rouge ? », demanda Ravuth.
Tu secoua la tête. Ignorant des événements survenus au Cambodge, il savait seulement