Le destructeur de l'Amazonie. Alberto Vazquez-Figueroa
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–Cette fois, ça en valait la peine. Pensez-vous que ce type de ciment pourrait être utilisé pour transformer des téléphones toxiques en rochers ?
–Je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas s’il est capable de résister pendant des siècles même sous l’eau.
–Béni soit Dieu !
–Tu penses à ce que je crois que tu penses? –intervint l’italien–. As-tu une idée de la quantité gigantesque de ciment qui serait nécessaire pour isoler quatre milliards de téléphones portables ?
–Non. Je n’en ai aucune idée, mon cher, mais en tant que dermatologue, je sais très bien ce que coûtera le traitement de ces patients et que la moitié d’entre eux ne survivront pas.
–Et que pouvons-nous faire ?
–Exposer le sujet et proposer des solutions. Si les autorités connaissent le danger et comment l’éviter, au moins nous aurons rempli notre obligation. Le Vatican a un journal et je suppose que tu connais de nombreux journalistes.
–Oui; en effet. J’en connais beaucoup et nous en avons même sous contrat quelques-uns qui sont soi-disant ouvertement anticléricaux.
–Eh bien, qu’ils se mettent au boulot et arrêtent de parler des politiciens qui détruisent le monde et commencent à parler des technologies qui détruisent le monde. Je sais que nous ne pourrons jamais en finir avec les politiciens corrompus, mais peut-être le pourrons nous avec une technologie destructrice.
***
Ils n’avaient laissé qu’une sentinelle: un hercules aux cheveux roux qui faisait très bien son travail non seulement parce qu’il était un excellent professionnel, mais parce que personne ne voulait s’endormir à moins de dix mètres d’une rive où un caïman pouvait émerger à tout moment, ou d’une forêt où un jaguar pouvait apparaître à tout moment.
Assis à côté d’un feu dans lequel il semblait faire plus confiance qu’à sa capacité à réagir, il se tenait le fusil au bras, un œil vigilant et une oreille attentive, se demandant peut-être comment il était arrivé de son Irlande natale à un endroit aussi dangereux.
Il avait été forcé d’installer son poste de garde et d’allumer un feu loin de la maison communale, car les ronflements bruyants et les flatulences puantes de ceux qui s’étaient bourrés de haricots au chorizo le distrayaient, et il était très clair qu’une légère négligence, le moindre assoupissement pourrait signifier la fin du groupe.
Que celui-ci serve de dîner aux alligators lui importait peu si ce n’était le fait qu’il faisait partie de ce groupe.
Derrière lui, il avait cloué un bâton de près de deux mètres et y avait accroché des haillons qui ondulaient au vent pour désorienter les chauves-souris.
Il détestait les chauves-souris.
Il les détestait avec la même ferveur que le commun des mortels et à présent il les entendait voltiger autour de lui comme une armée de petits démons à qui Satan aurait donné la nuit libre.
Un mineur équatorien lui avait raconté que dans son pays un type de chauve-souris qui, heureusement, ne vivait qu’à une grande altitude dans la chaîne des Andes, avait la fâcheuse habitude de se nourrir de sang et que si elle mordait un être humain après avoir mordu un animal enragé, elle lui transmettait la rage, « le mal pour lequel il n’y a pas de remède ».
Ce n’était peut-être qu’une exagération ou une légende de la jungle, mais en dépit d’être très loin des Andes, cette histoire lui trottait toujours dans la tête. Ce qu’il craignait le plus au monde était de mourir comme un chien si loin de son Irlande bien-aimée.
Un gros poisson jaillit hors de l’eau, aussitôt son doigt frôla la détente de l’arme.
Mais ce n’était qu’un poisson.
Caché parmi les arbres, plus éveillé que jamais, Kapoar décida que le moment était venu d’agir.
Il prépara une fléchette, mais il savait que cette fois, il ne devrait pas l’imprégner du même type de curare qu’il avait utilisé pour le singe car en raison de sa taille, le rouquin mettrait trop longtemps à être paralysé, et pourrait tirer ou pousser un cri d’alarme.
Il devait peser dix fois plus que le primate, il fallait donc utiliser un mélange de curare et y ajouter une petite quantité de poison de grenouille, sachant que s’il faisait la moindre erreur en imprégnant la fléchette et le poison frôlait sa peau, il ne respirerait plus une nouvelle bouffée d’air.
Il sortit le petit récipient en bambou contenant le poison et essaya de l’ouvrir, mais il s’arrêta en remarquant que ses mains tremblaient.
En fait tout son corps tremblait.
Il maudit à voix basse.
Si le simple fait d’accomplir une tâche aussi dangereuse en plein jour et sans ennemis à proximité exigeait des nerfs d’acier, le faire en pleine nuit et dans de telles circonstances aurait déstabilisé même son oncle Somm, le plus calme et le meilleur chasseur qu’il ait jamais connu.
Somm était capable de maintenir sa lourde sarbacane à l’horizontale pendant des heures ou bien de supporter la charge d’un sanglier sans broncher.
Mais Somm était Somm, et lui n’était que Kapoar.
Quelques minutes s’écoulèrent avant qu’il ne puisse se sentir sûr de lui. Il imprégna la fléchette, l’introduisit dans la sarbacane qu’il cala sur une branche pour lui donner une plus grande stabilité, visa, attendit que le vent cesse, et souffla enfin avec force.
***
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