Symbolistes et Décadents. Gustave Kahn

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Symbolistes et Décadents - Gustave Kahn

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pour toutes les écoles poëtiques. Le Naturalisme triomphait avec fracas, dans la rue; les acclamations se croisaient parmi les éclaboussements d'injures. Charpentier couvrait Paris d'affiches; les journaux engueulaient Zola qui ripostait, courtois, calme, technique, entêté, dans ses feuilletons du Bien public. Les quais et l'Odéon étaient alors une joie; on n'y trouvait point Zola accaparé déjà en placements de bibliothèque, mais tous les livres de Goncourt, Manette si séduisante alors, où Chassagnol babille tant et si finement d'art, d'Ingres, de Delacroix, de Decamps, où Anatole bonimente, Manette, où un paysage de prose, alors encore tout neuf, donne, comme un Rousseau, la forêt de Fontainebleau, et Demailly où tant de portraits se coudoient depuis Champfleury jusqu'à Banville, et parmi eux Gautier, kaléidoscope amusant d'une salle de rédaction, éden entrevu dans le mirage, et tous les bouquins sur le XVIIIe siècle; les grands Flaubert, La Tentation et l'Education, jetés inépuisablement au rabais ou bien en donnant l'impression car les piles ne diminuaient guère ou étaient toujours renouvelés par les fées bienveillantes, les Exilés de Banville, tant qu'on en voulait, et d'autres beaux livres, tout cela s'entassait à vil prix dans un petit casier des Marpon et Flammarion, et les quais donnaient avec une abondance énorme les premières nouvelles de Mendès, si propices à accompagner les premiers cigares,—leurs héros fument toujours,—et l'Usurpateur, joli roman japonisant; les Poulet Malassis, si chatoyants de talent en leur diversité, on les vendait sous les portes à côté des faux Diaz et des faux Coot, si fréquents qu'on eut pu croire que chaque concierge était peintre. On avait lu le Monde-Nouveau que publiait Charles Cros.

       La presse, toujours la même, avait accueilli d'un déferlement de rires la Pénultième. Il y eut pourtant à ce moment, à peu près, un article de Jean Richepin qui disait fortement la beauté d'art des œuvres de Mallarmé, de Verlaine, de Huysmans, et je crois de Villiers. C'était l'heure, l'aurore de Richepin, la Chanson des Gueux avait remué la jeunesse, et les Chansons joyeuses de Bouchor comptaient.

      On parlait aussi de Bourget, alors poète, dont on attendait, parallèlement à Coppée, le renouvellement du roman en vers; on attendait sans vibration. Richepin surtout était à la mode. Les normaliens s'en enorgueillissaient, les candidats aux titres universitaires l'adoraient de les avoir piétinés, les futurs poètes aimaient sa saveur rude, et les étudiants admiraient sa légende de force et de bohémianisme.

      La République des lettres, la revue de Mendès était morte du roman de Cladel, le Tombeau des lutteurs. Elle avait été superbe, luxueuse (dieu! qu'on avait ironisé à propos de poèmes en prose de Mallarmé qui ornaient la première livraison, d'ailleurs fort bien faite), et puis elle avait diminué, et comme un nageur qui s'allège pour remonter le courant, elle avait jeté peu à peu sa couverture bleue, son vêtement, elle s'était faite menue, diminuant l'épaisseur de ses vélins, elle s'était faite toute petite, toute légère. Après elle, un journal, La Vie littéraire, qui lui succédait, sans la remplacer, jetait au monde, toutes les semaines, un tourbillon de poèmes et de gloire. Il y avait là tous les petits Parnassiens qui écrivaient aussi à La Renaissance de Blémont. Dans La Vie littéraire, tous les poèmes n'étaient pas de belles qualités, mais les critiques y jetaient des poignées d'éloges à tous les poètes.

      Un Briarée, que dis-je, plusieurs, lançaient sans relâche de l'encens et des roses sur tous les rimeurs de Paris, de province, du Canada sans doute. Un jour, M. Emmanuel des Essarts y assuma la tâche d'énumérer, avec une sobre indication, trois mots au plus, tous les poètes de grand talent qui fleurissaient notre pays de France. La chose ne tint pas dans un seul numéro. C'était charmant et beaucoup mieux fréquenté tout de même que les Muses Santones.

      Mais il n'y avait pas que les poètes, Shakespeare, Hugo, les Parnassiens, les romanciers où l'on apprenait, frémissants, l'histoire du second Empire, les romanciers qui refoulaient dans nos campagnes le roman idéaliste, La Faute de l'abbé Mouret, donnant des féeries, réalistes, croyait-on, le Nabab enterrant, dans la tombe de Morny, M. de Camors.

      Il y avait la peinture, il y avait la musique. La peinture c'était les impressionnistes exposant des merveilles dans des appartements vacants pour trois mois. C'était, à l'exposition de 1878, un merveilleux panneau de Gustave Moreau, ouvrant sur la légende une porte niellée et damasquinée et orfévrée, c'était Manet, Monet, Renoir, de la grâce, de l'élégance, du soleil, de la vérité, et surtout c'était la Musique qui se réveillait en France d'un long sommeil.

      Un tas d'oiseaux merveilleux étaient entrés dans le palais de la Belle au Bois dormant, après que Wagner en avait fait, de stupeur, et on disait alors de fracas, éclater les savantes coupoles. Au théâtre, les échos de Membrée et de Mermet saluaient à leur façon la musique nouvelle, en un bruit sonore de chutes de portants; et on commençait à entendre les musiques de Bizet, de Guiraud, de Saint-Saëns.

      Naturellement, on allait surtout au concert, où le mélange était moins impur. Chez Pasdeloup et chez Colonne, il y avait des dimanches héroïques. C'étaient les fragments wagnériens terminés dans le potin et le chahut. C'était Berlioz révélé, imposé, c'était Franck écouté en bâillant, Liszt présenté dans ses petits côtés, ses rhapsodies, sauf une admirable soirée organisée par Saint-Saëns. Massenet triomphait, Saint-Saëns était discuté, on se battait presque pour la Danse macabre, c'était le bon temps, comme disent les personnages d'Erkmans-Chatrian, chaque fois qu'on débouche une vieille bouteille, ou qu'ils entendent sonner un vieux coucou historié.

      Dirai-je qu'alors je rêvais beaucoup, j'écrivais un peu, et que j'étais très tenté de donner à mes rêveries une forme personnelle. Je ne connaissais personne, personne n'avait d'influence sur moi, et je tâtonnais, plein de visions diverses et voyant étinceler confusément devant moi une série de projets à remplir plusieurs vies.

      Les hasards de la vie d'étudiant m'avaient tout le moins mis au contact avec quelques amis à préoccupations littéraires et qui n'ont point fait de littérature, avec de jeunes savants, de futurs historiens ou orientalistes, et le hasard me fit aussi connaître quelques poètes dont les uns aimaient Richepin, et d'autres Rollinat, alors l'auteur des Brandes, qui vantait le paroxysme, la sincérité, le dandysme et l'esprit d'ordre. Où rencontrai-je pour la première fois Frémine qui, alors, géant blond, récitait déjà Floréal, les Pommiers, une ode à Robert Guiscard, que sais-je encore! et un jour déambulant avec Frémine dans les allées du Luxembourg nous rencontrons un petit homme sec, nerveux, les yeux d'aiguilles noires sous une épaisse chevelure, l'air frileux, étroitement boutonné, au printemps, dans un pardessus bleu étriqué, pantalon un peu effrangé, souliers de roulier, gibus irréprochable; je l'avais souvent croisé avec curiosité, devinant que c'était quelqu'un. Frémine nous présente. Cros me dit d'un brusque tutoiement: «Tu es un poète, toi!»—Vous ne vous trompez pas. «—Tu dois avoir des vers sur toi...»—Pas des vers, des poèmes en prose.. seulement..;—seulement quoi?—je les fais à ma manière...—Mais lis donc! J'avais tiré un papier, je commence. «Toute mon âme s'est envolée, elle est allée se poser sur les violettes et les roses que tu as respirées jadis... Cros m'interrompt. «Ça me suffit, tu es poète», et nous causâmes longtemps sous les grands arbres, il fut convenu que le lendemain je lui lirais mes œuvres toutes inédites, ou au moins une anthologie tirée d'icelles. «Mais, me dit Cros, ce sont presque des vers, il faudrait un rien pour en faire des poèmes»; j'y voyais moi, une différence; j'ai des vers aussi, lui dis-je, et je lui lus un petit poème, des vers libres, les premiers sans aucun doute et pas les meilleurs. «Alors, me dit Cros, tu veux faire des réformes. Tu as bien tort, comment feras-tu pour faire des vers un drapeau à la main. Et les embêtements!» Je n'insistai pas. Cros ne connut que peu de mes vers libres (de ce temps-là) et nous passâmes à des projets de collaboration, drames, comédies et surtout traductions poétiques d'œuvres purement musicales. Il n'en fut que quelques conversations, mais je garderai toujours le bon souvenir de l'accueil du pauvre grand poète, dompté par la métrique parnassienne, génial et sans métier, dans ce salon carrelé noir et blanc de la rue de l'Odéon, avec une petite table couverte d'un immense tapis de velours rouge, des livres empilés dans les coins,

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