Symbolistes et Décadents. Gustave Kahn
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Il se trouvait que j'avais connu sur les bancs de la rhétorique Guy Tomel, candidat intermittent à l'Ecole normale. Avant de prendre part de façon capitale au reportage contemporain (c'est lui qui imagina d'interviewer l'épicier du coin sur les incendies et accidents de son quartier) Tomel jouait les Musset, d'après les Nuits. Nul ne fut plus poitrinaire et plus dévasté. Tomel dirigeait conjointement avec Harry Alis une revue qui s'appelait la Revue Moderne et Naturaliste; je crois que jamais on n'a dit plus justement qu'en cette revue: l'abonné, l'abonné se plaint, réclame, écrit, en se servant du singulier; je crois bien que l'abonné était le poète Georges Lorin, et comme il publiait des vers dans cette revue, on pouvait dire aussi que c'était une revue rédigée par l'abonné. Tomel, très revenu du romantisme depuis quelques semaines, avait bien fondé la Revue avec Alis, mais il était immédiatement tombé en sous-ordre, pour avoir eu la malchance de laisser dans sa chambre le ballot contenant les 1 200 exemplaires du tirage du premier numéro, pendant une huitaine de jours, sans l'ouvrir, et même sans rentrer chez lui pour l'ouvrir, durant qu'Alis se répandait en notes et papillons dans L'Abeille d'Etampes et autres journaux de Paris et de province, et s'étonnait que les libraires fissent si peu de cas d'une revue si bien lancée; Tomel était, du fait de son insuffisance administrative, réduit à la seconde place, et il formait l'école néo-naturaliste d'Harry Alis, dont le principe était que Zola était certes un homme de talent, mais que le vrai chef du naturalisme, bien supérieur à lui, c'était M. Jules Claretie. Sur le vœu de Tomel, je montrais mon manuscrit à Harry Alis; il en écarta d'emblée les vers, pour le principe, sa revue ne les recherchant pas; il s'intéressa aux poèmes en prose, mais en écartant tous ceux qui pouvaient être taxés, on ne disait pas encore de symbolisme, et en choisit finalement trois des plus simples qui lui parurent modernes et naturalistes; de plus, comme il avait tout son temps, il me gratifia d'une conférence que j'écoutais sans profit. Je parus; deux pages in-8; il s'agissait de tirer parti de ce succès. Je fis deux parts, l'une pour l'ambition, qui fut d'envoyer un exemplaire à Mme Adam avec des vers qu'elle ajourna sine die, mais avec une politesse infinie et peut-être autographe, l'autre pour l'art et j'envoyais le fascicule à Stéphane Mallarmé.
Mallarmé m'attirait et par son talent et par son formidable insuccès. Je me targue d'avoir porté mes premiers respects à l'homme le plus méconnu de la littérature mondiale, et d'avoir soutenu et aimé par dessus tout les inconnus et les persécutés. Ce n'était point esprit de singularité, mais de bonne solidarité. D'ailleurs, il faut le dire, et très haut, une des vertus du symbolisme naissant fut de ne pas se courber devant la puissance littéraire, devant les titres, les journaux ouverts, les amitiés de bonne marque, et de redresser les torts de la précédente génération. Vielé-Griffin a dit avec raison que sa génération a été entourer de respects justes, Villiers, Dierx, Verlaine, Mallarmé, qu'elle les a remontés, les a rétablis au rang d'où les Parnassiens les avaient évincés. C'est très juste; la première, et la seconde génération des symbolistes, (celle de Vielé-Griffin), furent animées du même et louable sentiment, d'un bel esprit de justice.
Donc je voulais envoyer un exemplaire de la Revue à Mallarmé. J'ignorais son adresse. Mais Mallarmé avait publié une traduction chez un éditeur, et l'éditeur de Mallarmé s'appelait Rothschild. Un petit vieux casse-noisette me regarda derrière de soupçonneuses lunettes, derrière un tiroir de ghetto, rue Bonaparte ou rue des Saints-Pères. A ma demande d'adresse, Rothschild me dit: «Pourquoi?—Pour lui envoyer une revue où j'ai écrit.—Votre nom.—Gustave Kahn.—Israélite?—Oui.—Ah... Il considéra avec surprise, ce coreligionnaire qui tournait si mal il ajouta: 89, rue de Rome. Le lendemain Mallarmé me priait de le venir voir, et j'y fus sans craindre de paraître pressé.
Stéphane Mallarmé a bien voulu dire que j'avais été son premier visiteur; il est inutile de dire que c'était vrai, cette parole, toujours certaine, étant la vérité et la mesure. Je trouvais pourtant chez lui, je crois, à ma seconde visite, un jeune homme, Raoul de l'Angle Beaumanoir qui faisait des vers, je ne dirai pas comme vous et moi, parce qu'ils étaient strictement Parnassiens. Ce jeune homme venait voir Mallarmé par piété filiale; il réparait le crime de son père, un de l'Angle Beaumanoir, préfet, qui, au vu des vers de Mallarmé, alors professeur dans un district écarté, avait obtenu qu'on imposât une mutation au poète, à son gré, malencontreux et affichant. Le premier soir où je vis Mallarmé où nous causâmes très rapidement de tout, de notre art, du but de l'art, des contemporains, du passé, du présent, Mallarmé s'aperçut très vite que je connaissais assez peu Aloysius Bertrand, parcouru trop vite à la Bibliothèque, et presque pas Villiers. Ce lui fut une peine, mais il fallait alors plus que de la bonne volonté pour découvrir Villiers, il y fallait de l'érudition. Heureusement Mallarmé possédait un Villiers unique alors, complet, fait de volumes épuisés, et de pages de revues découpées, que j'emportais avec un Bertrand, et un Diex que, selon Mallarmé, il fallait non seulement aimer mais savoir par cœur, au même titre que dans Verlaine, au moins les Fêtes Galantes.
Mallarmé avait fort goûté ce qu'il appelait une façon nouvelle et si musicale de traiter la prose; quand nous causâmes vers, ce fut autre chose; je lui parlais de la nécessité de desserrer l'instrument, il me répondit qu'il fallait, à son sens, resserrer l'instrument jusqu'aux dernières possibilités. Ce ne fut que bien plus tard, deux ans avant sa mort, que Mallarmé reprenant la conversation, et me rappelant le moment, me parla du poème, Un coup de dés jamais n'abolira le hasard, que devaient suivre neuf autres poèmes; il voulut bien me dire avec une amicale condescendance qu'il se ralliait à moi, politesse exquise et rendue à moi qui lui devais tant de m'avoir été un tel exemple de hauteur, d'art et d'indifférence au grognement des gâcheurs d'encre.
Je me suis quelquefois repenti de n'avoir pas plus insisté auprès de Mallarmé sur toutes les bonnes raisons qui me poussaient à renouveler le rythmique. Mais c'est un peu effarant d'être tout seul à penser quelque chose, et puis dès qu'il s'agissait du vers il semblait qu'en y portant une main violente on commettait un sacrilège; le ton augural toujours, même en riant, de Mallarmé se faisait plus lointain, j'avais peur d'insister sur un point délicat où toutes les fibres de la pensée concentraient leur sensibilité et puis Mallarmé me disait tant de bien, si poliment, avec de si adroites et bienveillantes réserves, des poëmes en prose, (je disais les proses, tout court) dont je lui infligeais une lecture presque périodique, que mon audace novatrice reculait; j'avais peur qu'il se crût forcé à étendre sa bienveillance à des essais qu'il ne goûtait pas. Je ne crains pas d'ailleurs de dire qu'il influa sur moi et que je fis en ce temps-là une paire de sonnets.
Ceux que je vis dans ces soirées du mardi de 1879, bien différentes des glorieuses chambrées que je retrouvais en 1885, ce furent outre de l'Angle Beaumanoir, le bon Jean Marras, M. Henry Roujon, le musicien Léopold Dauphin qui a fait de si jolis vers, Germain Nouveau.
Entre temps je m'occupai de la diffusion de mon œuvre, et j'en entrepris une lecture publique. La rive gauche, où je vivais porte à porte avec mon ami le mathématicien Charles Henry, tout hanté déjà