Comte du Pape. Hector Malot
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—Ma foi, chère maman, répondit-il gaiement, je ne suis pas malheureusement comme vous, qui ne connaissez ni la faim ni la soif, ni le sommeil, ni la fatigue.
—Il y a temps pour tout; quand il n'y a rien à voir, je dors; quand il fait jour, j'ouvre les yeux et je regarde; nous devons tout utiliser, même nos plaisirs.
—Alors utilisons-les, chère maman, dit-il en riant. Et, abaissant la glace, il se mit à regarder le pays qu'ils traversaient.
—Cette rivière aux eaux jaunes, c'est le Tibre, dit-il.
—Le Tibre?
—Oui, la rivière qui traverse Rome.
—Je vous en prie, dit-elle en baissant la voix, quand vous me parlez de quelque chose ou de quelqu'un, d'une rivière, d'un monument, d'un personnage, faites-le de façon à ce que je vous comprenne sans que j'aie besoin de vous interroger. Vous savez que par malheur je n'ai pas eu d'instruction. Et cependant je vis dans un monde où je dois paraître ne rien ignorer de ce que l'on sait généralement. A quelles difficultés je me heurte, vous ne le croiriez jamais. Cela va être encore plus sensible dans cette ville, où tout, le passé comme le présent, m'est inconnu. Cependant il est important, il est d'une importance capitale pour vous que je ne dise pas de sottises et que je n'en fasse pas. Guidez-moi, vous qui savez. Ainsi tout à l'heure, pourquoi ne m'avez-vous pas dit: «Cette rivière que nous longeons est celle qui traverse Rome, c'est le Tibre.» Je n'aurais pas eu besoin de vous interroger, et je vous assure que j'aurais retenu ce que vous m'auriez dit. Tâchez à l'avenir de procéder de cette manière, surtout quand nous sommes en public. Sans doute c'est le monde renversé: ordinairement ce sont les parents qui instruisent les enfants, et ce que je vous demande, c'est que le fils instruise la mère. Le voulez-vous?
—Mais assurément, chère maman.
Cependant le train avait continué de rouler, et, après avoir traversé la campagne romaine, il était arrivé en vue d'un rempart de briques noircies par le temps; puis, après avoir passé à travers ce rempart, il avait ralenti sa vitesse et bientôt il s'était arrêté.
On était à Rome.
Après s'être tant bien que mal défendus contre les cochers, les domestiques de place, les guides, les porteurs, la mère et le fils avaient fini par s'installer dans l'omnibus de l'hôtel de la Minerve, et, en un quart d'heure, à travers des rues étroites et rapides, ils étaient arrivés à cet hôtel.
Ils trouvèrent au second étage le salon et les deux chambres qui leur étaient nécessaires.
—Madame mange-t-elle à table d'hôte? demanda le secrétaire.
—Certainement.
—A quelle table?
—Comment à quelle table!
—A celle servie en maigre ou à celle servie en gras; c'est aujourd'hui vendredi?
—A celle servie en maigre.
—Madame?...
—Madame Prétavoine et M. Aurélien Prétavoine.
II
—Et maintenant, dit doucement madame Prétavoine, lorsqu'elle se trouva seule avec son fils dans le salon, sur lequel ouvraient leurs deux chambres, maintenant mon avis est que nous nous partagions le travail; pendant que j'irai faire visite à madame la vicomtesse de la Roche-Odon et lui parlerai de Bérengère, vous irez à l'ambassade voir votre ancien camarade, M. de Vaunoise, et vous lui parlerez, surtout vous le ferez parler de madame de la Roche-Odon, il pourra nous être utile; par lui vous apprendrez les bruits du monde sur madame de la Roche-Odon et sur son fils, le prince Michel Sobolewski, avec qui M. de Vaunoise a dû se rencontrer. Peut-être même M. de Vaunoise pourra-t-il vous mettre en relation avec ce jeune homme. Une camaraderie qui s'établirait tout naturellement entre vous et le frère de votre future femme vaudrait mieux qu'une liaison qui viendrait à la suite d'une présentation officielle. Si vous voulez que votre mariage réussisse...
—Si je le veux?
—Je pense que vous le voulez, mais je dis que pour cela il ne faut pas que nous éprouvions ici un échec comme nous en avons éprouvé un à Condé. Il est donc important de manoeuvrer avec prudence et de n'avancer que pas à pas. Aujourd'hui, préparons le terrain du côté de madame de la Roche-Odon et de son fils. Plus tard, nous agirons ailleurs.
—En tous cas, dit Aurélien, nous ne pouvons faire ces visites qu'après déjeuner.
—Assurément.
De tous les hôtels de Rome, la Minerve est assurément le plus curieux.
D'autres situés sur la place du Peuple et sur la place d'Espagne, dans le Corso ou dans la via del Babbuino sont plus élégants, ont plus de distinction, ou plus de respectabilité, comme disent les Anglais, mais ce ne sont que des hôtels cosmopolites, comme on en trouve dans toutes les grandes villes d'Europe; la Minerve au contraire a un caractère propre; elle héberge les ecclésiastiques et les Français qui, de près ou de loin, touchent au monde dévot. A vrai dire, il n'est pas indispensable, pour y être reçu, de présenter un billet de confession au portier, et deux tables sont servies les jours d'abstinence, l'une en gras, l'autre en maigre, ce qui indique la présence d'un certain nombre d'incrédules et de mécréants; mais enfin, la clientèle prise en masse, est plutôt cléricale. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à traverser un de ses longs corridors. Les domestiques qui brossent là les vêtements de leurs maîtres, le font discrètement avec des caresses de main, en gens habitués à plier les surplis, les aubes, les étoles et les chasubles. Ces vêtements eux-mêmes, si l'on y prend attention, ont une tournure particulière; ils sont noirs; le drap est plus épais que celui qu'on voit sur les épaules du vulgaire; les redingotes sont plus longues, les pantalons sont plus larges; devant les portes on trouve plus de souliers que de bottines, et encore beaucoup de ces souliers sont-ils à boucles. Les gens qu'on rencontre dans les escaliers et dans les vestibules ont entre eux, pour la plupart, comme un air de famille: visages rasés; yeux baissés; pas glissés; même les jeunes filles semblent sur le point de faire une génuflexion devant le Saint-Sacrement.
Et à la table du déjeuner ce sont de discrets Benedicite et de rapides signes de croix.
A côté d'un voyageur de commerce qui se retient pour ne pas chanter le Fils du pape, est assis un évêque servi par son domestique, qui se tient derrière sa chaise. Un bon curé de village est à la droite de sa châtelaine qui lui a payé le voyage de Rome, et il lui parle humblement, avec un coeur plein de gratitude pour cette générosité; dans la poche de sa soutane il a une lettre que le portier vient de lui remettre; elle vient de l'Anticamera pontifica et le maestro di camera di S. S. le prévient que le lendemain Sa Sainteté daignera le recevoir à son audience. Quelle félicité! Aussi la béatitude dans laquelle il nage lui a-t-elle coupé l'appétit. Ce n'est pas seulement pour lui qu'il est heureux, c'est encore pour sa paroisse, à laquelle il va reporter la bénédiction du Saint-Père. Quel malheur qu'une avvertenza placée au bas de cette lettre dise que E proibito di prensentare al santo padre domande in inscritto per Indulgenze, Facolta, Privilegi; mais enfin chaque chose doit se faire en son temps et en son lieu.