Comte du Pape. Hector Malot

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ces paroles.

      —Il voulait, continua madame Prétavoine, que je fisse valoir auprès de vous les raisons qui, selon lui, devraient vous amener à provoquer l'émancipation de mademoiselle Bérengère, qui deviendrait libre ainsi d'habiter près de qui elle voudrait.

      —M. Filsac va un peu loin dans son zèle.

      —C'est justement la réponse que je lui ai faite pour moi; car enfin, en ce qui me touche, je ne pouvais me charger de cette cause à plaider qu'en prenant parti dans la querelle qui vous divise, vous et M. votre beau-père, et c'eût été une inconvenance de ma part.

      Madame de la Roche-Odon ne répondit pas un mot, et madame Prétavoine ne tira de cette tentative qu'un doute de plus. Était-ce seulement parce qu'il lui déplaisait de recommencer des procès, que madame de la Roche-Odon ne voulait pas émanciper sa fille? Était-ce au contraire parce qu'elle attendait la mort prochaine du comte de la Roche-Odon, si bien qu'elle aurait pendant un certain temps l'administration de la fortune, que sa fille non émancipée, recueillerait dans cet héritage?

      Comme madame Prétavoine, décidée à en rester là pour cette première visite, s'était levée et allait prendre congé de Madame de la Roche-Odon, un jeune homme entra dans le salon.

      Il pouvait avoir vingt ans environ; il était de haute taille, avec une grosse tête blonde sur de larges épaules; le visage était imberbe, sans même un léger duvet; le nez écrasé, l'oeil petit, rond, mais brillant, la bouche largement fendue, avec des dents blanches et pointues; en tout un être baroque et qui à première vue était loin d'inspirer la sympathie.

      —Mon fils le prince Michel Sobolewski, dit madame de la Roche-Odon.

      Puis se tournant vers madame Prétavoine:

      —Madame Prétavoine de Condé-le-Châtel, qui veut bien nous apporter des nouvelles de Bérengère.

      Tout d'abord le prince Michel avait regardé cette vieille femme vêtue de noir, d'un coup d'oeil indifférent qu'on accorde à une domestique ou à une fournisseuse.

      Cette présentation amena un sourire sur ses lèvres pâles.

      —Et comment est-elle, la petite soeur?

      Ce fut madame de la Roche-Odon qui répondit à cette question en résumant en quelques mots tout ce que madame Prétavoine venait de lui dire.

      —Ah bah! si jolie que cela. Quel âge a-t-elle donc maintenant?

      —Seize ans, répondit madame Prétavoine.

      —Seize ans et jolie. Alors j'espère qu'elle traîne toute une troupe de soupirants derrière elle; mais qu'elle ne fasse pas la bêtise de choisir un mari. Je lui écrirai. Il ne faut pas qu'elle se marie avant d'avoir vu le monde. Et nous le lui montrerons, n'est-ce pas, mère? Son mari doit avoir un grand nom ou une grande situation et être un peu bêta, afin qu'elle le mène par le bout du nez: je lui trouverai ça.

       Table des matières

      Après avoir déposé sa mère à la porte de madame de la Roche-Odon, Aurélien, achevant d'user son heure de voiture, s'était fait conduire au palais Colonna, à l'ambassade de France.

      Mais c'est l'ambassadeur qui occupe le palais Colonna; quant aux bureaux, on les a installés dans des communs, anciennes écuries, remises ou cuisines, qui ouvrent leur porte borgne sur une ruelle appelée la via della Pilotta.

      Aurélien trouva son ancien camarade M. de Vaunoise dans une salle basse, enfoncé dans un grand fauteuil, et lisant un numéro du Sport, derrière lequel il disparaissait si bien, qu'on ne voyait de sa personne que deux pieds posés sur le dossier d'une chaise qui lui servait d'appui.

      Il fallut qu'Aurélien fit le tour de cette chaise pour découvrir son ami derrière le Sport.

      —Tiens, Prête-Avoine! s'écria le jeune attaché en lâchant son journal et en posant brusquement ses pieds par terre, Prête-Avoine à Rome!

      C'était ainsi que M. de Vaunoise avait l'habitude de prononcer ce nom roturier de Prétavoine, et il le faisait avec une désinvolture tout aristocratique.

      Si Aurélien avait été encore à l'Université et s'il n'avait point eu besoin de lui, il lui aurait répondu comme il lui répondait autrefois:

      —Oui, mon cher Balour-Eau.

      Mais ce n'était pas le moment de blesser celui dont il venait réclamer les services, et assurément ce nom de Balour-Eau ainsi prononcé n'eût point resserré les liens de leur camaraderie.

      En effet, M. le vicomte de Vaunoise se nommait, de son nom patronymique Baloureau, et sa noblesse était de trop fraîche date pour qu'il n'en fût pas fier comme un paon. Jusqu'en 1830 ses pères, qui étaient ardoisiers dans l'Anjou, n'avaient eu d'autre nom que celui de Baloureau, et c'était à cette époque que Charles X, ou plus justement M. de Polignac, voulant récompenser le zèle monarchique et religieux des Baloureau, en avait fait des comtes de Vaunoise. Tout le monde connaissait l'origine et la date de ces lettres de noblesse, et personne n'avait oublié le nom de Baloureau, personne excepté ceux qui le portaient, bien entendu.

      C'était même pour que son petit-fils fût digne de son titre que le vieux père Baloureau avait voulu en faire un diplomate. Et par un bienheureux hasard qui ne se rencontre pas souvent, il s'était trouvé que le jeune héritier des ardoisiers avait quelques-unes des qualités de la profession qu'on lui imposait; de la finesse, de la politesse, du bon sens, beaucoup d'entregent, une affabilité qui le faisait tout à tous, de l'esprit, une extrême curiosité de tout savoir, l'amour de l'intrigue pour le plaisir de l'intrigue, de la réserve sous une apparence de légèreté; et, certainement cette réserve lui eût interdit le Prête-Avoine si ce n'avait été une plaisanterie d'école dont l'habitude était prise depuis longtemps.

      —Oui, mon cher Vaunoise, répondit Aurélien, avalant sans grimace le Prête-Avoine; à Rome depuis ce matin, et ma première visite est pour toi.

      —Bonne idée; je vais te faire faire ta première promenade; comme cela tu associeras mon souvenir à celui de Rome et tu ne m'oublieras plus. Nous prendrons une voiture à la place de Venise; viens.

      Ils n'eurent pas besoin d'aller jusqu'à la place de Venise; sur la place des Saints-Apôtres, ils trouvèrent une voiture découverte dans laquelle ils montèrent.

      —Tu es à moi, n'est-ce pas? demanda Vaunoise.

      —Certes.

      —Alors je te conduis.

      Et s'adressant au cocher, il lui dit de les mener à Saint-Pierre, en passant par le Panthéon.

      Puis se tournant vers Aurélien:

      —Il y a quatre choses principales, capitales, à voir à Rome, lui dit-il: le Panthéon, Saint-Pierre avec le Vatican, Saint-Paul et le Colisée avec le Forum et le Palais des Césars; je vais te les montrer, après tu te débrouilleras tout seul.

      Puis, comme il ne tenait pas essentiellement à faire étalage

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