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J'ai ouvert ma fenêtre, malgré le froid, pour essayer de comprendre ce bruit désagréable qui m'eût empêché de dormir si je n'en avais découvert la cause.
J'ai entendu plus distinctement: c'est le son d'un instrument qu'on appelle, je crois, une contre-basse.
La voix plus claire des violons m'a expliqué que cela, faisait partie d'un orchestre jouant des contredanses. Il y a des gens qui dansent par un temps pareil! quand la, mort semble planer sur cette ville funeste!
Comme elle est triste, entendue ainsi à distance, et par rafales interrompues, leur musique de fête!
Cette basse, dont la vibration pénètre seule, par le courant d'air de ma cheminée, et qui répète à satiété sa lugubre ritournelle, ressemble au gémissement d'une sorcière volant sur mon toit pour rejoindre le sabbat.
Je m'imagine que ce sont des spectres qui dansent ainsi au milieu d'une nuit si noire et si effrayante!
30 décembre.
Mon travail n'avance pas; l'isolement me tue. Si j'étais sain de corps et d'esprit, la foi reviendrait. La confiance en Dieu, l'amour de Dieu qui a fait tant de grands saints et de grands esprits, et que ce siècle malheureux ne connaît plus, viendrait jeter la lumière de la synthèse sur les diverses parties de mon oeuvre. Oui, je dirais à Dieu: Tu es souverainement juste, souverainement bon; tu n'as pas pu asservir, dans tes sublimes desseins, l'esclave au maître, le pauvre au riche, le faible au fort, la femme à l'homme par conséquent; et je saurais alors établir ces différences qui marquent les sexes de signes divins, et qui les revêtent de fonctions diverses sans élever l'un au-dessus de l'autre dans l'ordre des êtres humains. Mais je ne sais point expliquer ces différences, et je ne suis assez lié avec aucune femme pour qu'elle puisse m'ouvrir son âme et m'éclairer sur ses véritables aptitudes. Étudierai-je la femme seulement dans l'histoire? Mais l'histoire n'a enregistré que de puissantes exceptions. Le rôle de la femme du peuple, de la masse féminine, n'a pas d'initiative intellectuelle dans l'histoire.
Depuis huit jours que la boue et le froid noir me retiennent prisonnier, je n'ai pas vu d'autre visage féminin que celui de ma vieille portière: serait-ce là une femme? Ce monstre me fait horreur. C'est l'emblème de la cupidité, et pourtant elle est d'une probité à toute épreuve; mais c'est la probité parcimonieuse des âmes de glace, c'est le respect du tien et du mien poussé jusqu'à la frénésie, jusqu'à l'extravagance.
Être réduit par la pauvreté à regarder comme un bienfaiteur un être semblable, parce qu'il ne vous prend rien de ce qui n'est pas son salaire!
Mais quelle âpreté au salaire résulte de ce respect fanatique pour la propriété! Elle ne me volerait pas un centime, mais elle ne ferait point trois pas pour moi sans me les taxer parcimonieusement. Avec quelle cruauté elle retient les nippes des malheureux qui habitent les mansardes voisines lorsqu'ils ne peuvent payer leur terme! Je sais que cette cruauté lui est commandée; mais quels sont donc alors les bourreaux qui font payer le loyer de ces demeures maudites? et n'est-il pas honteux qu'on arme ainsi le frère contre le frère, le pauvre contre le pauvre! Eh quoi! les riches qui ont tout, qui paient si cher aux étages inférieurs, dans ces riches quartiers, ne suffisent pas pour le revenu de la maison, et on ne peut faire grâce au prolétaire qui n'a rien, de cinquante francs par an! on ne peut pas même le chasser sans le dépouiller!
Ce matin on a saisi les haillons d'une pauvre ouvrière qui s'enfuyait: un châle qui ne vaut pas cinq francs, une robe qui n'en vaut pas trois! Le froid qui règne n'a pas attendri les exécuteurs. J'ai racheté les haillons de l'infortunée. Mais de quoi sert que quelques êtres sensés aient l'intention de réparer tant de crimes? Ceux-là sont pauvres. Demain, si on fait déloger le vieillard qui demeure à côté de ma cellule, je ne pourrai pas l'assister. Après-demain, si je n'ai pas trouvé de quoi payer mon propre loyer, on me chassera moi-même, et on retiendra mon manteau.
Ce matin, la portière qui range ma chambre m'a dit en m'appelant à la fenêtre:
«Voici madame qui se promène dans son jardin.»
Ce jardin, vaste et magnifique, est séparé par un mur du petit jardin situé au-dessous de moi. Les deux maisons, les deux jardins sont la même propriété, et, de la hauteur où je suis logé, je plonge dans l'une comme dans l'autre. J'ai regardé machinalement. J'ai vu une femme qui m'a paru fort belle, quoique très-pâle et un peu grasse. Elle traversait lentement une allée sablée pour se rendre à une serre dont j'aperçois les fleurs brillantes, quand un rayon de soleil vient à donner sur le vitrage.
Encore irrité de ce qui venait de se passer, j'ai demandé à la sorcière si sa maîtresse était aussi méchante qu'elle.
—Ma maîtresse? a-t-elle répondu d'un air hautain, elle ne l'est pas: je ne connais que monsieur, je ne sers que monsieur.
—Alors, c'est monsieur qui est impitoyable?
—Monsieur ne se mêle de rien; c'est son premier locataire qui commande ici, heureusement pour lui; car monsieur n'entend rien à ses affaires et achèverait de se faire dévorer.
Voilà un homme en grand danger, en effet, si mon voisin lui fait banqueroute de vingt francs!
CAHIER N° 4. TRAVAIL.
.....Je ne puis nier ces différences, bien que je ne les aperçoive pas et qu'il me soit impossible de les constater par ma propre expérience.
L'être moral de la femme diffère du nôtre, à coup sûr, autant que son être physique. Dans le seul fait d'avoir accepté si longtemps et si aveuglément son état de contrainte et d'infériorité sociale, il y a quelque chose de capital qui suppose plus de douceur ou plus de timidité qu'il n'y en a chez l'homme.
Cependant le pauvre aussi, le travailleur sans capital, qui certes n'est pas généralement faible et pusillanime, accepte depuis le commencement des sociétés la domination du riche et du puissant. C'est qu'il n'a pas reçu, plus que la femme, par l'éducation, l'initiation à l'égalité...
Il y a de mystérieuses et profondes affinités entre ces deux êtres, le pauvre et la femme.
La femme est pauvre sous le régime d'une communauté dont son mari est chef; le pauvre est femme, puisque l'enseignement, le développement, est refusé à son intelligence, et que le coeur seul vit en lui.
Examinons ces rapports profonds et délicats qui me frappent, et qui peuvent me conduire à une solution.
Les voies incidentes sont parfois les plus directes. Recherchons d'abord.
CAHIER N° 2. JOURNAL.
29.
—J'ai été interrompu ce matin par une scène douloureuse et que j'avais trop prévue. Le vieillard, dont une cloison me sépare, a été sommé, pour la dernière fois, de payer son terme arriéré de deux mois, et la voix discordante de la portière m'a tiré de mes rêveries pour me rejeter dans la vie d'émotion. Ce vieux malheureux demandait grâce.
Il a des neveux assez riches, dit-il, et qui ne le négligeront pas toujours. Il leur a écrit. Ils sont en province, bien loin; mais ils répondront,