Elle et lui. George Sand
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Il fit trois fois Oh! après quoi, il me demanda votre adresse, et le voilà parti sans faire la moindre réflexion, en me laissant très-confus et très-irrité de ne pouvoir achever ma dissertation sur le portrait; car enfin, ma bonne Thérèse, si cet animal de bel Anglais va chez vous aujourd'hui, comme je l'en crois capable, et qu'il vous redise tout ce que je viens de vous écrire, c'est-à-dire tout ce que je ne lui ai pas dit, sur les faiseurs et sur les grands maîtres, qu'allez-vous penser de votre ingrat ami! Qu'il vous range parmi les premiers et qu'il vous juge incapable de faire autre chose que des portraits bien jolis qui plaisent à tout le monde! Ah! ma chère amie, si vous aviez entendu tout ce que je lui ai dit de vous quand il a été parti!… Vous le savez, vous savez que, pour moi, vous n'êtes pas mademoiselle Jacques, qui fait des portraits ressemblants très en vogue, mais un homme supérieur qui s'est déguisé en femme, et qui, sans avoir jamais fait l'académie, devine et sait faire deviner tout un corps et toute une âme dans un buste, à la manière des grands sculpteurs de l'antiquité et des grands peintres de la renaissance. Mais je me tais; vous n'aimez pas qu'on vous dise ce qu'on pense de vous. Vous faites semblant de prendre cela pour des compliments. Vous êtes très-orgueilleuse, Thérèse.
Je suis tout à fait mélancolique aujourd'hui, je ne sais pas pourquoi. J'ai si mal déjeuné ce matin… Je n'ai jamais si mal mangé que depuis que j'ai une cuisinière. Et puis on ne peut plus avoir de bon tabac. La régie vous empoisonne. Et puis on m'a apporté des bottes neuves qui ne vont pas du tout… Et puis il pleut… Et puis, et puis que sais-je? Les jours sont longs comme des jours sans pain depuis quelque temps, ne trouvez-vous pas? Non, vous ne trouvez pas, vous. Vous ne connaissez pas le malaise, le plaisir qui ennuie, et l'ennui qui grise, le mal sans nom dont je vous parlais l'autre soir, dans ce petit salon lilas où je voudrais être maintenant; car j'ai un jour affreux pour peindre, et, ne pouvant peindre, j'aurais du plaisir à vous assommer de ma conversation.
Je ne vous verrai donc pas aujourd'hui! Vous avez là une famille insupportable qui vous vole à vos amis les plus délicieux! Je vais donc être forcé, ce soir, de faire quelque affreuse sottise!… Voilà l'effet de votre bonté pour moi, ma chère grande camarade. C'est de me rendre si sot et si nul quand je ne vous vois plus, qu'il faut absolument que je m'étourdisse au risque de vous scandaliser. Mais, soyez tranquille, je ne vous raconterai pas l'emploi de ma soirée.
Votre ami et serviteur,
LAURENT.
11 mai 183…
* * * * *
A M. LAURENT DE FAUVEL.
D'abord, mon cher Laurent, je vous demande, si vous avez pour moi quelque amitié, de ne pas faire trop souvent de sottises qui nuisent à votre santé. Je vous permets toutes les autres. Vous allez me demander d'en citer une, et me voilà fort embarrassée; car, en fait de sottises, j'en connais peu qui ne soient nuisibles. Reste à savoir ce que vous appelez sottise. S'il s'agit de ces longs soupers dont vous me parliez l'autre jour, je crois qu'ils vous tuent, et je m'en désole. A quoi songez-vous, mon Dieu, de détruire ainsi, de gaieté de coeur, une existence si précieuse et si belle? Mais vous ne voulez pas de sermons: je me borne à la prière.
Quant à votre Anglais, qui est un Américain, je viens de le voir, et, puisque je ne vous verrai ni ce soir, ni peut-être demain, à mon grand regret, il faut que je vous dise que vous avez tout à fait tort de ne pas vouloir faire son portrait. Il vous eût offert les yeux de la tête, et les yeux de la tête d'un Américain comme Dick Palmer, c'est beaucoup de billets de banque dont vous avez besoin, précisément pour ne pas faire de sottises, c'est-à-dire pour ne pas courir le brelan, dans l'espoir d'un coup de fortune qui n'arrive jamais aux gens d'imagination, vu que les gens d'imagination ne savent pas jouer, qu'ils perdent toujours, et qu'il leur faut ensuite demander à leur imagination de quoi payer leurs dettes, métier pour lequel cette princesse-là ne se sent pas faite, et auquel elle ne se plie qu'en mettant le feu au pauvre corps qu'elle habite.
Vous me trouvez bien positive, n'est-ce pas? Ça m'est égal. D'ailleurs, si nous prenons la question de plus haut, toutes les raisons que vous avez données à votre Américain et à moi ne valent pas deux sous. Vous ne savez pas faire le portrait, c'est possible, cela est même certain, s'il faut le faire dans les conditions du succès bourgeois; mais M. Palmer n'exigeait nullement qu'il en fût ainsi. Vous l'avez pris pour un épicier, et vous vous êtes trompé. C'est un homme de jugement et de goût, qui s'y connaît, et qui a pour vous de l'enthousiasme. Jugez si je l'ai bien reçu! Il venait à moi comme à un pis aller, je m'en suis fort bien aperçue, et je lui en ai su gré. Aussi l'ai-je consolé en lui promettant de faire tout mon possible pour vous décider à le peindre. Nous parlerons donc de cette affaire après-demain, car j'ai donné rendez-vous au dit Palmer pour le soir, afin qu'il m'aide à plaider sa propre cause et qu'il emporte votre promesse.
Sur ce, mon cher Laurent, désennuyez-vous de votre mieux de ne pas me voir pendant deux jours.
Cela ne vous sera pas difficile, vous connaissez beaucoup de gens d'esprit, et vous avez le pied dans le plus beau monde. Moi, je ne suis qu'une vieille prêcheuse qui vous aime bien, qui vous conjure de ne pas vous coucher tard toutes les nuits, et qui vous conseille de ne faire excès et abus de rien. Vous n'avez pas ce droit-là: génie oblige.
Votre camarade,
THÉRÈSE JACQUES.
* * * * *
A MADEMOISELLE JACQUES.
Ma chère Thérèse, je pars dans deux heures pour une partie de campagne avec le comte de S… et le prince D… Il y aura de la jeunesse et de la beauté, à ce que l'on assure. Je vous promets et vous jure de ne pas faire de sottises et de ne pas boire de champagne… sans me le reprocher amèrement! Que voulez-vous! j'eusse certainement mieux aimé flâner dans votre grand atelier, et déraisonner dans votre petit salon lilas; mais, puisque vous êtes en retraite avec vos trente-six cousins de province, vous ne vous apercevrez certainement pas non plus de mon absence après-demain: vous aurez la délicieuse musique de l'accent anglo-américain pendant toute la soirée. Ah! il s'appelle Dick, ce bon M. Palmer? Je croyais que Dick était le diminutif familier de Richard! Il est vrai qu'en fait de langues, je sais tout au plus le français.
Quant au portrait, n'en parlons plus. Vous êtes mille fois trop maternelle, ma bonne Thérèse, de penser à mes intérêts au détriment des vôtres. Bien que vous ayez une belle clientèle, je sais que votre générosité ne vous permet pas d'être riche, et que quelques billets de banque de plus seront beaucoup mieux entre vos mains qu'entre les miennes. Vous les emploierez à faire des heureux, et, moi, je les jetterai sur un brelan, comme vous dites.
D'ailleurs, jamais je n'ai été moins en train de faire de la peinture. Il faut pour cela deux choses que vous avez, la réflexion et l'inspiration; je n'aurai jamais la première, et j'ai eu la seconde. Aussi en suis-je dégoûté comme d'une vieille folle qui m'a éreinté en me promenant à travers champs sur la croupe maigre de son cheval d'Apocalypse. Je vois bien ce qui me manque; n'en déplaise à votre raison, je n'ai pas encore assez vécu, et je pars pour trois ou sept jours avec madame Réalité, sous la figure de plusieurs nymphes du corps de ballet de l'Opéra. J'espère bien, à mon retour, être l'homme du monde le plus accompli, c'est-à-dire le plus blasé et le plus raisonnable.
Votre ami,