Les liaisons dangereuses. Choderlos de Laclos
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ÉPITRE A MARGOT
Pourquoi craindrais-je de le dire?
C’est Margot qui fixe mon goût:
Oui, Margot: cela vous fait rire...
Que fait le nom? la chose est tout.
Je sais que son humble naissance
N’offre point à l’orgueil flatté,
La chimérique jouissance
Dont s’enivre la vanité;
Que née au sein de l’indigence,
Jamais un éclat fastueux,
Sous le voile de l’opulence,
N’a pu dérober ses aïeux;
Que sans esprit, sans connaissance,
A ces discours fastidieux
Succède un stupide silence:
Mais Margot a de si beaux yeux,
Qu’un seul de ses regards vaut mieux
Que fortune, esprit et naissance.
Quoi! dans ce monde singulier,
Triste jouet d’une chimère,
Pour apprendre qui doit me plaire,
Irai-je consulter d’Hozier?
Non, l’aimable enfant de Cythère
Craint peu de se mésallier.
Souvent par l’amoureux mystère,
Ce dieu, dans ses goûts roturiers,
Donne le pas à la bergère,
En dépit des seize quartiers.
Et qui sait ce qu’à ma maîtresse
Garde l’avenir incertain?
Margot encor dans sa jeunesse
N’est qu’à sa première faiblesse,
Laissez-la devenir catin;
Bientôt, peut-être, le destin
La fera marquise ou comtesse.
Joli minois, cœur libertin,
Font bien des titres de noblesse.
Margot est pauvre, j’en conviens;
Qu’a-t-elle besoin de richesse?
Doux appas, et vive tendresse,
Ne sont-ce pas d’assez grands biens?
Ne sait-on pas que toute belle
Porte son trésor avec elle?
Doux trésor, objet des désirs
De l’étourdi, comme du sage,
Où la nature, d’âge en âge,
A su conserver nos plaisirs.
Des autres biens qu’a-t-elle à faire?
Source de peine et d’embarras,
Qui veut en jouir les altère,
Qui les garde n’en jouit pas.
De son temps faire un bon usage,
Voilà la richesse du sage,
Et celle dont Margot fait cas.
Margot, en ménagère habile,
Mêlant l’agréable à l’utile,
Peut aisément suffire à tout.
Le travail est fort de son goût;
Toute la journée elle file,
Et toute la nuit elle... coud.
Ainsi, malgré l’erreur commune,
Margot me prouve, chaque jour,
Que, sans naissance et sa fortune,
On peut être heureux en amour.
Reste l’esprit: j’entends d’avance
Nos beaux diseurs, docteurs subtils
Se récrier. Quoi, diront-ils,
Point d’esprit! Quelle jouissance!
Que deviendront les doux propos,
Les bons contes, les jeux de mots,
Dont un amant, avec adresse,
Se sert auprès de sa maîtresse,
Pour charmer l’ennui du repos!
Si l’on est réduit à se taire,
Quand tout est fait, que peut-on faire?
Ah! les beaux esprits ne sont pas
Grands docteurs dans cette science.
Mais voyez le bel embarras,
Quand tout est fait on recommence,
Et même sans recommencer,
Il est un plaisir plus facile,
Et que l’on goûte sans penser.
C’est le sommeil, repos utile
Et pour les sens et pour le cœur,
Et préférable à la langueur.
De cette tendresse importune
Qui, n’abondant qu’en beaux discours,
Jure cent fois d’aimer toujours,
Et ne le pense jamais une.
O toi, dont je porte les fers,
Doux objet d’un tendre délire,
Le temps que j’emploie à t’écrire
Est