LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан
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La conversation fut courte.
– C’est vous, M. Gérard Baupré ?
– Oui… oui… c’est moi.
– Je n’ai pas l’honneur…
– Voilà monsieur… voilà… on m’a dit…
– Qui, on ?
– Un garçon d’hôtel qui prétend avoir servi chez vous…
– Enfin, bref ?
– Eh bien…
Le jeune homme s’arrêta, intimidé, bouleversé par l’attitude hautaine du prince. Celui-ci s’écria :
– Cependant, monsieur, il serait peut-être nécessaire…
– Voilà, monsieur, on m’a dit que vous étiez très riche et généreux… Et j’ai pensé qu’il vous serait possible…
Il s’interrompit, incapable de prononcer la parole de prière et d’humiliation.
Sernine s’approcha de lui.
– Monsieur Gérard Baupré, n’avez-vous pas publié un volume de vers intitulé : Le Sourire du printemps ?
– Oui, oui, s’écria le jeune homme dont le visage s’éclaira… vous avez lu ?
– Oui… Très jolis, vos vers… très jolis… seulement, est-ce que vous comptez vivre avec ce qu’ils vous rapporteront ?
– Certes… un jour ou l’autre…
– Un jour ou l’autre… plutôt l’autre, n’est-ce pas ? Et, en attendant, vous venez me demander de quoi vivre ?
– De quoi manger, monsieur.
Sernine lui mit la main sur l’épaule, et froidement :
– Les poètes ne mangent pas, monsieur. Ils se nourrissent de rimes et de rêves. Faites ainsi. Cela vaut mieux que de tendre la main.
Le jeune homme frissonna sous l’insulte. Sans une parole il se dirigea vivement vers la porte.
Sernine l’arrêta.
– Un mot encore, monsieur. Vous n’avez plus la moindre ressource ?
– Pas la moindre.
– Et vous ne comptez sur rien ?
– J’ai encore un espoir… J’ai écrit à un de mes parents, le suppliant de m’envoyer quelque chose. J’aurai sa réponse aujourd’hui. C’est la dernière limite.
– Et, si vous n’avez pas de réponse, vous êtes décidé sans doute, ce soir même, à…
– Oui, monsieur.
Ceci fut dit simplement et nettement.
Sernine éclata de rire.
– Dieu ! Que vous êtes comique, brave jeune homme ! Et quelle conviction ingénue ! Revenez me voir l’année prochaine voulezvous ? Nous reparlerons de tout cela… C’est si curieux, si intéressant et si drôle surtout ! Ah ! Ah !
Et, secoué de rires, avec des gestes affectés et des salutations, il le mit à la porte.
– Philippe, dit-il en ouvrant au garçon d’hôtel, tu as entendu ?
– Oui, patron.
– Gérard Baupré attend cet après-midi un télégramme, une promesse de secours…
– Oui, sa dernière cartouche.
– Ce télégramme, il ne faut pas qu’il le reçoive. S’il arrive, cueille-le au passage et déchire-le.
– Bien, patron.
– Tu es seul dans ton hôtel ?
– Oui, seul avec la cuisinière qui ne couche pas. Le patron est absent.
– Bon. Nous sommes les maîtres. À ce soir, vers onze heures. File.
– 2 –
Le prince Sernine passa dans sa chambre et sonna son domestique.
– Mon chapeau, mes gants et ma canne. L’auto est là ?
– Oui, monsieur.
Il s’habilla, sortit et s’installa dans une vaste et confortable limousine qui le conduisit au bois de Boulogne, chez le marquis et la marquise de Gastyne, où il était prié à déjeuner.
À deux heures et demie, il quittait ses hôtes, s’arrêtait avenue Kléber, prenait deux de ses amis et un docteur, et arrivait à trois heures moins cinq au parc des Princes.
À trois heures, il se battait au sabre avec le commandant italien Spinelli, dès la première reprise coupait l’oreille à son adversaire, et, à trois heures trois quarts, taillait au cercle de la rue Cambon une banque d’où il se retirait, à cinq heures vingt, avec un bénéfice de quarante-sept mille francs.
Et tout cela sans hâte, avec une sorte de nonchalance hautaine, comme si le mouvement endiablé qui semblait emporter sa vie dans un tourbillon d’actes et d’événements était la règle même de ses journées les plus paisibles.
– Octave, dit-il à son chauffeur, nous allons à Garches.
Et, à six heures moins dix, il descendait devant les vieux murs du parc de Villeneuve.
Dépecé maintenant, abîmé, le domaine de Villeneuve conserve encore quelque chose de la splendeur qu’il connut au temps où l’impératrice Eugénie venait s’y reposer. Avec ses vieux arbres, son étang, l’horizon de feuillage que déroulent les bois de Saint-Cloud, le paysage a de la grâce et de la mélancolie.
Une partie importante du domaine fut donnée à l’Institut Pasteur. Une portion plus petite, et séparée de la première par tout l’espace réservé au public, forme une propriété encore assez vaste, et où s’élèvent, autour de la maison de retraite, quatre pavillons isolés.
« C’est là que demeure Mme Kesselbach », se dit le prince en voyant de loin les toits de la maison et des quatre pavillons.
Cependant, il traversait le parc et se dirigeait vers l’étang.
Soudain il s’arrêta derrière un groupe d’arbres. Il avait aperçu deux dames accoudées au parapet du pont qui franchit l’étang.
« Varnier et ses hommes doivent être dans les environs. Mais, fichtre, ils se cachent rudement bien. J’ai beau chercher… »
Les