Conscience. Hector Malot

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Conscience - Hector Malot

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c'était plutôt à lui qu'à elle que s'adressait cette question, qui résumait ses réflexions.

      —Oh! cher Victor! s'écria-t-elle, pourquoi douter de moi? L'ai-je mérité? Le passé, le présent ne répondent-ils pas de l'avenir?

      Il secoua la tête:

      —L'homme que tu as aimé, que tu aimes, ne s'est jamais montré à toi ce qu'il est réellement. Malgré les difficultés et les tristesses de sa vie, il a pu sourire à ton sourire, parce que, si cruelle que fût cette vie, il était soutenu par l'espoir et la confiance; en Auvergne il n'y aura plus ni espoir, ni confiance, mais la rage d'une existence brisée et l'accablement de l'impuissance. Quel homme serais-je? Pourrais-tu l'aimer, celui-là?

      —Mille fois plus encore, puisqu'il serait malheureux et que j'aurais à le soutenir.

      —En aurais-tu la force? A la longue, la lassitude te prendrait, car le poids serait trop lourd, si grand que fût ton dévouement, si profonde que fût ta tendresse. Vois ma situation, vois mes espérances et, descendant dans l'avenir, vois mon écrasement. Tu me sais ambitieux mais vaguement, n'est-ce pas? sans avoir jamais mesuré la portée de cette ambition et des espoirs, des rêves, si tu veux, sur lesquels elle repose. Comprends que ces rêves sont à la veille de se réaliser: encore deux mois, en décembre ou en janvier, je passe le concours pour le bureau central, qui me fait médecin des hôpitaux, et à la même époque celui pour l'agrégation, qui m'ouvre la Faculté de médecine. Sans illusion orgueilleuse, je me crois en état de réussir,—ce que les gens de sport appellent en condition. Donc quand je n'ai plus qu'une attente de quelques jours, me voilà abattu à jamais.

      —Pourquoi à jamais?

      —On vient de son village à Paris pour faire sa trouée, on n'en revient pas quand la mauvaise chance ou l'impuissance vous y ont renvoyé. D'ailleurs, c'est seulement tous les quatre ans que s'ouvre un concours pour l'agrégation. Dans quatre ans, quelle serait ma condition morale ou intellectuelle; comment aurais-je supporté cet exil de quatre ans; te représentes-tu ce que peuvent produire quatre années d'isolement au fond des montagnes. Mais ce n'est pas tout. A côté de ce but ostensible que je poursuis depuis que j'ai débarqué de mon village, j'ai mes travaux en train qui exigent absolument Paris. Sans que je t'aie jamais assommée de médecine, tu sais, n'est-ce pas? qu'elle est à la veille de subir une révolution qui va la transformer. Jusqu'à présent, il a été enseigné officiellement, en pathologie, que l'organisme humain portait en soi le germe d'un grand nombre de maladies infectieuses qui s'y développaient spontanément dans certaines conditions: ainsi, la tuberculose est le résultat de fatigues, de privations, de misères physiologiques. Eh bien, depuis un certain, temps, on admet, c'est-à-dire des révolutionnaires admettent une origine parasitaire à ces maladies, et il y a en France, en Allemagne, en Europe, toute une armée qui cherche ces parasites. Je suis un soldat de cette armée, et c'est à ces recherches que me sert ce laboratoire installé dans la salle à manger. C'est aux parasites de la tuberculose et du cancer que je me suis attaché, et, pour ce dernier, depuis sept ans déjà, ce qui, lorsque j'étais interne, m'avait fait appeler par mes camarades «le topique du cancer». Pour la tuberculose, je suis arrivé à découvrir son parasite, mais non encore à le débarrasser de toutes ses impuretés par des procédés de culture. J'en suis là. C'est-à-dire que je brûle, et que, demain peut-être, dans quelques jours, je tiens une découverte qui est une révolution et donne la gloire à celui qui l'a faite. De même pour le cancer, j'ai trouvé son micro-organisme. Mais tout n'est pas dit. Et voilà ce qu'il me faut abandonner en quittant Paris.

      —Pourquoi abandonner? Ne peux-tu pas continuer tes recherches en Auvergne?

      -C'est impossible pour toute sorte de raisons trop longues à expliquer, mais dont une seule suffira. Les cultures de ces parasites ne peuvent se faire que dans certaines températures rigoureusement maintenues au degré voulu, et ces températures ne peuvent être obtenues que dans des étuves comme celle de mon laboratoire, alimentées par le gaz dont l'entrée est réglée automatiquement par le plus ou moins de chaleur de l'eau. Comment veux-tu que cette étuve fonctionne dans un pays où il n'y a pas de gaz? Non, non, si je quitte Paris, tout est fini position aussi bien que travail; je deviens médecin de village et rien que médecin de village. Que les huissiers me mettent dehors demain, et tout ce que j'ai accumulé depuis quatre ans dans ce laboratoire, tous mes travaux en train, ce qui est achevé comme ce qui ne demande plus peut-être que quelques jours, que quelques heures, s'en va chez le brocanteur ou est jeté à la rue. De tant d'efforts, de tant de nuits passées, de tant de privations, de tant d'espérances, il ne reste qu'un souvenir... pour moi. Et encore s'il ne restait pas, peut-être serais-je moins exaspéré et accepterais je d'un coeur moins ulcéré la vie à laquelle je ne me résignerai jamais. Tu sais bien, que je suis un révolté, non un résigné.

      Elle se leva et, lui prenant la main qu'elle serra fortement:

      —Il faut rester à Paris, dit-elle. Pardonne-moi d'avoir insisté tout à l'heure pour te prouver que tu pouvais vivre dans ton village. C'était à moi que je pensais plus qu'à toi, à notre amour, à notre mariage; c'était une pensée égoïste, une mauvaise, pensée. Il faut chercher, il faut trouver un moyen, n'importe lequel, quoi qu'il puisse coûter, de ne pas renoncer à tes travaux.

      —Il faut! Mais comment? Crois-tu que je n'aie pas tout épuisé?

      Il raconta ses démarches auprès de Jardine, ses sollicitations, ses prières et aussi sa demande de prêt à Glady, enfin sa visite à Caffié.

      —Caffié! s'écria-t-elle, comment l'idée t'est-elle venue de t'adresser à Caffié?

      —Un peu parce que tu m'avais souvent parlé de lui.

      —Mais je t'en ai parlé comme du plus dur et du plus méchant des hommes, capable de tout, si ce n'est de ce qui est bon et de ce qui est bien.

      —Un peu aussi parce que je savais par un de mes clients qu'il prêtait à ceux qu'il pouvait exploiter.

      —Et il t'a répondu?

      —Qu'il ne trouverait sans doute personne pour consentir le prêt que je désirais; cependant il m'a promis de chercher, et il doit me rendre réponse demain soir; il m'a promis aussi de me défendre contre Jardine.

      —Tu t'es mis entre ses mains!

      —Eh! que veux-tu? Dans ma position, je n'ai pas la liberté de m'adresser à qui je veux et m'inspire confiance par son honorabilité. Que j'aille chez un notaire, un banquier: ils ne m'écouteront pas, puisqu'au premier mot je serai obligé de leur répondre que je n'ai ni gage ni garantie à offrir. C'est pour cela que les malheureux tombent sous la coupe des coquins; au moins ceux-là les écoutent et leur accordent quelque chose, si peu que ce soit.

      —Que t'a-t-il accordé?

      —Ses conseils.

      —Et tu les as acceptés?

      —C'est toujours du temps de gagné. Demain peut-être, on m'eût mis dans la rue: Caffié m'obtiendra quelque répit.

      —Et de quel prix payeras-tu cette défense?

      —Il n'y a que ceux qui ont quelque chose qui s'inquiètent du prix.

      —Tu as ton nom, ton repos, ta dignité, ton honneur, et, une fois que tu seras aux mains de Caffié, qui peut savoir ce qu'il exigera de toi, ce qu'il te forcera à faire sans que tu puisses lui résister!

      —Alors tu veux

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