Conscience. Hector Malot
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—Merci! dit-il au sergent de ville ébahi.
Et il reprit sa route, marchant vite, mais entendant distinctement l'homme de police qui lui emboîtait le pas, le prenant pour un fou qu'il faut surveiller.
Quand il quitta le pont des Saints-Pères pour la place du Carrousel, cette surveillance cessa, et il put revenir à ses réflexions librement, au moins aussi librement que le permettaient son trouble et son découragement:
—Ce sont les faibles qui se tuent; les forts luttent jusqu'à leur dernier souffle.
Et, si bas qu'il fût, il n'en était pas encore à ce dernier souffle.
Lorsqu'il s'était décidé à s'adresser à Glady, il avait hésité entre celui-ci et un usurier appelé Caffié qu'il ne connaissait pas personnellement, mais dont il avait souvent entendu parler comme d'un vrai coquin s'occupant de toute sorte d'affaires, des mauvaises de préférence aux bonnes, de successions, de mariages, d'interdictions, de chantages; et, s'il n'avait-point été à lui, c'était autant par crainte d'être refusé que par peur de se mettre dans de pareilles mains, au cas où elles voudraient bien l'accepter. Mais ces scrupules et ces craintes n'étaient plus de saison: puisque Glady lui manquait, coûte que coûte et quoi qu'il pût en advenir, il fallait bien se retourner du côté du coquin.
Il savait que Caffié demeurait rue Sainte-Anne, mais il ignorait son numéro: il n'eût qu'à entrer chez un de ses clients, marchand de vin, rue Thérèse, pour le trouver en consultant le Bottin. C'était à deux pas; et tout de suite il décida de risquer l'aventure; l'affaire pressait. Découragé par toutes les démarches qu'il avait essayées jusqu'à ce jour, rebuté par les espoirs trahis, irrité par les rebuffades reçues, il ne s'abusait pas sur les chances de cette dernière tentative, mais enfin il devait la faire, si peu solides que fussent ces chances.
C'était une vieille maison de la butte des Moulins qu'habitait Caffié et qui, autrefois, avait dû être un hôtel particulier: elle se composait de deux corps de bâtiment, l'un sur la rue, l'autre sur une cour intérieure. Une porte cochère donnait accès dans cette cour, et sous sa voûte, après un escalier, se trouvait la loge du concierge. Ce fut vainement que Saniel frappa à cette porte: fermée à clef, elle ne s'ouvrit point; il dut attendre quelques instants et, dans son impatience nerveuse, il se mit à marcher en long et en large dans la cour. Enfin, une vieille femme cassée et voûtée parut, un rat-de-cave à la main, et s'excusa: seule, elle ne pouvait pas être partout en même temps, à garder sa loge et à allumer dans l'escalier de la propriétaire. C'était au premier étage que demeurait Caffié, dans le corps de bâtiment sur la rue.
Saniel monta au premier et sonna; un temps assez long, ou tout au moins qui parut très long à son inquiétude, s'écoula avant qu'on lui répondît; à la fin, il entendit un pas lent et traînant sur le carreau, et la porte s'entr'ouvrit, mais retenue par la main et par le pied:
—Qui demandez-vous?
—M. Caffié.
—C'est moi. Qui êtes-vous?
—Le docteur Saniel.
—Je n'ai pas appelé de médecin.
—Ce n'est pas comme médecin que je me présente, c'est comme client.
—Ce n'est pas l'heure de me consulter.
—Puisque vous êtes chez vous.
—Au fait!
Et Caffié, se décidant à ouvrir la porte, livra passage à Saniel, puis il la referma.
—Entrez dans mon cabinet.
Ils étaient dans une toute petite pièce encombrée de dossiers, qui n'avait pour tout mobilier qu'un vieux bureau et trois chaises; elle communiquait directement avec le cabinet de l'homme d'affaires, plus grand, mais meublé avec la même simplicité et tout encombré de paperasses, qui dégageaient une odeur de moisissure.
—Mon clerc est malade en ce moment, dit Caffié, et quand je suis seul je n'aime pas à ouvrir.
Cette excuse donnée, il montra une chaise à Saniel et, s'asseyant lui-même devant son bureau, éclairé par une lampe dont il avait enlevé l'abat-jour, il dit:
—Docteur, je vous écoute.
Il remit l'abat-jour sur la lampe.
Saniel exposa sa demande, non avec tous les développements dans lesquels il était entré pour Glady, mais succinctement: il devait trois mille francs au tapissier qui lui avait fourni son mobilier et, comme il ne pouvait payer en ce moment, il était sous le coup de poursuites imminentes.
—Quel est ce tapissier? demanda Caffié en tenant sa joue gauche dans sa main droite.
—Jardine, boulevard Haussmann.
—Connu. C'est son industrie de reprendre ainsi les meubles qu'il a vendus quand ils sont aux trois quarts payés, et elle l'a enrichi. Quelle somme lui avez-vous déjà versée sur ce mobilier de dix mille francs?
—Avec les acomptes et les intérêts, près de douze mille.
—Et vous en redevez trois mille?
—Oui.
—C'est gentil.
Caffié parut plein d'admiration pour cette façon de procéder.
—Quelles garanties avez-vous à offrir pour cet emprunt de trois mille francs?
—Pas d'autres que ma position présente, je l'avoue, et surtout mon avenir.
Sur un signe de Caffié, il expliqua quel était cet avenir, tandis que l'homme d'affaires, sa joue dans sa main, écoutait en poussant, de temps en temps, un soupir étouffé, une sorte de plainte.
—Hum! hum! dit Caffié quand Saniel fut arrivé au bout de son explication; vous savez, mon cher monsieur, vous savez:
Ma foi, sur l'avenir bien fou qui se fiera: Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.
Vous en êtes à dimanche, mon cher monsieur.
—Mais je ne suis ni au bout de ma vie, ni au bout de mon énergie, et je vous assure que cette énergie me rend capable de beaucoup de choses.
—Je n'en doute pas; je sais ce que peut l'énergie: dites à un Grec crevant de faim de monter au ciel, il y va:
Greculus esuriens in caelum, jusseris, ibit.
Mais je ne vois pas que vous soyez parti pour le ciel.
Caffié eut un mauvais sourire accompagné d'une grimace: avant d'être l'usurier de la rue Sainte-Anne dont tout le monde parlait comme d'un coquin, il avait été avoué en province, juge suppléant, et si des malheurs immérités l'avaient obligé à se démettre, pour venir cacher ses désagréments à Paris, il ne perdait jamais l'occasion de montrer qu'il était, par l'éducation, au-dessus de sa situation présente trouvant dans ce nouveau client un érudit,