Les mystères d'Udolphe. Анна Радклиф

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Les mystères d'Udolphe - Анна Радклиф

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la grand'route enfin, il modéra son pas.

      —Je suis bien mal, dit Saint-Aubert en prenant la main de sa fille.—Vous êtes plus mal, dit Emilie effrayé de sa manière, vous êtes plus mal, et nous sommes sans secours! Bon Dieu! que ferons-nous? Il appuya sa tête sur son épaule; elle le soutint entre ses bras, et fit encore arrêter Michel. A peine le bruit des roues avait-il cessé, qu'une musique se fit entendre dans le lointain. Ce fut pour Emilie la voix de l'espérance. Oh! nous sommes près d'une habitation, dit-elle, nous pourrons avoir du secours.

      Elle écouta attentivement. Les sons étaient éloignés, et semblaient venir du fond d'un bois dont une partie bordait la route. Elle regarda du côté où ils partaient, et vit, au clair de la lune, quelque chose qui lui paraissait comme un château: il était pourtant difficile d'y arriver. Saint-Aubert était trop mal pour supporter le moindre mouvement; Michel ne pouvait pas quitter ses mules; Emilie, qui soutenait encore son père, craignait de l'abandonner, et craignait aussi de s'aventurer seule à une telle distance, sans savoir où et à qui s'adresser: il fallait pourtant prendre un parti, et sans délai. Saint-Aubert dit donc à Michel d'avancer le plus doucement possible. Au bout d'un moment, il s'évanouit; la voiture s'arrêta, il était sans nulle connaissance. O mon père, mon cher père! criait Emilie désespérée. Et, le croyant près de mourir: Parlez, dites-moi un mot, que j'entende le son de votre voix. Il ne répondit rien. Epouvantée, elle dit à Michel de puiser au ruisseau voisin: elle reçut l'eau dans le chapeau de l'homme, et d'une main tremblante en jeta au visage de son père. Les rayons de la lune, qui alors donnaient sur lui, montraient l'impression de la mort: tous les mouvements de crainte personnelle cédèrent en ce moment à une crainte dominante; et, confiant Saint-Aubert à Michel, qui ne voulait pas quitter ses mules, elle sauta à bas de la voiture pour chercher le château qu'elle avait vu dans l'éloignement, et la musique qui dirigeait ses pas la fit entrer dans un sentier qui conduisait au bois? Son esprit, uniquement rempli de son père et de sa propre inquiétude, avait d'abord perdu toute espèce de frayeur; mais le couvert sous lequel elle se trouvait interceptait tous les rayons de la lune: l'horreur de ce lieu lui rappela son danger; la musique avait cessé: il ne lui restait d'autre guide que le hasard. Elle s'arrêta pour un moment dans un effroi inexprimable; mais l'image de son père l'emportant sur tout le reste, elle se remit à marcher. Le sentier entrait dans un bois; elle ne voyait aucune maison, aucune créature, et n'entendait aucune espèce de bruit; elle marchait toujours sans savoir où, évitait le fourré du bois, tenait les bords tant qu'elle pouvait; elle vit enfin une espèce d'avenue mal rangée, qui donnait sur un point éclairé par la lune: l'état de cette avenue lui rappela le château des tourelles, et elle ne douta pas qu'elle ne dût y conduire. Elle hésitait à la suivre quand un bruit de voix et d'éclats de rire frappa soudain son oreille; ce n'était pas le rire de la gaieté, mais celui de la grosse joie, et son embarras redoubla. Tandis qu'elle écoutait, une voix, à grande distance, partit du chemin qu'elle avait quitté; imaginant que c'était celle de Michel, son premier mouvement fut de revenir: une seconde pensée l'en détourna. La dernière extrémité seule avait pu déterminer Michel à quitter ses mules; elle crut son père mourant, elle courut avec plus de vitesse, dans la faible espérance que les convives du bois voudraient bien lui donner quelque secours. Son cœur battait dans sa terrible incertitude; et plus elle approchait, plus le froissement des feuilles sèches la faisait trembler à chaque pas. Le bruit la conduisit à un endroit découvert qu'éclairait la lune; elle s'arrêta, et aperçut entre les arbres un banc de gazon formé en cercle, et occupé par un groupe de plusieurs personnes. En s'approchant, elle jugea aux costumes que ce devaient être des paysans, et tout le long du bois elle distingua plusieurs chaumières éparses. Tandis qu'elle regardait et s'efforçait de vaincre l'appréhension qui la rendait comme immobile, quelques jeunes paysannes sortirent d'une des cabanes, la musique reprit, et la danse recommença; c'était la fête de la vendange, et la même musique qu'elle avait entendue dans l'air. Son cœur trop déchiré ne pouvait sentir le contraste que tous ces plaisirs formaient avec sa propre situation; elle s'empressa de joindre un groupe de vieillards assis auprès de la chaumière, exposa sa position et implora leur assistance. Plusieurs se levèrent avec vivacité, offrirent tous leurs services, et suivirent Emilie, qui semblait avoir des ailes en retournant vers le grand chemin.

      Quand elle atteignit la voiture, elle trouva Saint-Aubert ranimé. En recouvrant ses sens, il avait appris de Michel que sa fille était partie; son inquiétude pour elle avait surpassé le sentiment de ses besoins: il avait envoyé Michel à sa suite. Il était néanmoins encore dans la langueur, et se trouvant incapable d'aller plus loin, il renouvela ses questions sur une auberge ou sur le château dans les bois. Le château ne peut vous recevoir, dit un paysan vénérable qui avait suivi Emilie, à peine est-il habité; mais si vous voulez me faire l'honneur d'accepter ma chaumière, je vous donnerai mon meilleur lit.

      La voiture chemina lentement; Michel suivit les paysans par le sentier qu'Emilie avait pris, et ils arrivèrent au hameau. La courtoisie de son hôte, la certitude d'un prompt repos, rendirent la force à Saint-Aubert: il vit avec une douce complaisance ce joli tableau: les bois, rendus plus sombres par l'opposition, entouraient la place éclairée; mais, s'ouvrant par intervalles, une clarté blanche en faisait ressortir une chaumière, ou se reflétait dans un ruisseau. Il écouta sans peine les refrains joyeux de la guitare et du tambourin; mais il ne put voir sans émotion la danse des paysans.

      La danse cessa à l'approche de la voiture; c'était un phénomène dans ces bois isolés, et toute la troupe l'entoura avec une vive curiosité. La voiture s'arrêta enfin près d'une maisonnette fort propre, qui était celle du vénérable conducteur; il aida Saint-Aubert à descendre, et le conduisit avec Emilie dans une petite salle basse qui n'était éclairée que par la lune. Saint-Aubert, heureux de trouver le repos, se plaça dans une espèce de fauteuil. L'air frais et balsamique, chargé des plus doux parfums, pénétrait dans l'appartement à travers les fenêtres ouvertes, et ranimait ses facultés éteintes. Son hôte, qu'on nommait Voisin, quitte la chambre et revient bientôt avec des fruits, de la crème, et tout le luxe champêtre que pouvait fournir sa retraite. Il servit tout avec le sourire de la bienveillance, et se plaça derrière le siége de Saint-Aubert. Saint-Aubert insista pour qu'il prît place à table. Quand le fruit eut apaisé sa fièvre et calmé sa soif brûlante, il se sentit un peu mieux, et se mit à causer. L'hôte lui communiqua toutes les particularités relatives à lui et à sa famille. Ce tableau d'une union domestique, tracé avec le sentiment du cœur, ne pouvait pas manquer d'exciter l'intérêt. Emilie, assise près de son père, et tenant sa main dans les siennes, écoutait attentivement le vieillard. Son cœur était plein d'amertume, et ses pleurs coulaient, à l'idée que bientôt sans doute elle ne posséderait plus le bien précieux dont elle jouissait encore. La lueur douce d'un clair de lune d'automne, la musique éloignée qui alors jouait une romance, secondaient sa mélancolie. Le vieillard parlait de sa famille, et Saint-Aubert ne disait rien. Je n'ai plus qu'une fille, dit Voisin; mais elle est heureusement mariée, et me tient lieu de tout. Quand je perdis ma femme, ajouta-t-il en soupirant, j'allai me réunir avec Agnès et sa famille. Elle a plusieurs enfants que vous voyez danser là-bas, gais et dispos comme des pinsons. Puissent-ils être toujours ainsi! J'espère mourir au milieu d'eux, monsieur; je suis vieux maintenant, je n'ai pas bien longtemps à vivre; mais il y a de la consolation à mourir parmi ses enfants.

      —Mon bon ami, dit Saint-Aubert d'une voix tremblante, vous vivrez, je l'espère, longtemps au milieu d'eux.

      —Ah! monsieur, à mon âge je ne dois pas m'attendre à cela. Le vieillard fit une pause. C'est à peine si je le désire, reprit-il ensuite. J'ai confiance que si je meurs, j'irai tout droit au ciel; ma pauvre femme y est avant moi. Le soir, au clair de la lune, je crois la voir errer près de ces bois qu'elle aimait tant. Croyez-vous, monsieur, que nous puissions visiter la terre, quand nous aurons quitté nos corps?

      —N'en doutez pas, lui répliqua Saint-Aubert; les séparations seraient trop douloureuses, si nous les croyions éternelles. Oui, ma chère Emilie, nous nous retrouverons un jour. Il leva les yeux au ciel, et les rayons de la lune, qui tombaient sur lui, montrèrent toute la paix et la résignation de son

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