Troïlus et Cressida. William Shakespeare
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Note 3: (retour)
Alexandre est ici un valet, ce n'est pas Alexandre Pâris, il est vrai que Pandare va tout à l'heure lui dire bonjour, mais les gens comme Pandare sont les plus affables du monde.
CRESSIDA.—Qui étaient celles qui viennent de passer près de nous?
ALEXANDRE.—La reine Hécube et Hélène.
CRESSIDA.—Et où vont-elles?
ALEXANDRE.—Elles vont voir la bataille, de la tour de l'Orient, dont la hauteur commande en souveraine toute la vallée; Hector, dont la patience est inébranlable, comme la vertu même, était ému aujourd'hui. Il a grondé Andromaque et frappé son écuyer; et comme s'il était question d'économie de ménage dans la guerre, il s'est levé avant le soleil pour s'armer à la légère et se rendre sur le champ de bataille dont chaque fleur pleurait, comme si elle pressentait prophétiquement les effets du courroux d'Hector.
CRESSIDA.—Et quel était le sujet de sa colère?
ALEXANDRE.—Voici le bruit qui s'est répandu. Il y a, dit-on, parmi les Grecs, un héros du sang troyen, neveu d'Hector: on le nomme Ajax.
CRESSIDA.—Fort bien; et que dit-on de lui?
ALEXANDRE.—On dit que c'est un homme perse, et qui se tient tout seul4.
Note 4: (retour)
Stands alone, stat solus, proéminent; to stand veut dire aussi se tenir debout, de là l'équivoque.
CRESSIDA.—On en peut dire autant de tous les hommes, à moins qu'ils ne soient ivres, malades, ou sans jambes.
ALEXANDRE.—Cet homme, madame, a volé à plusieurs animaux leurs qualités distinctives. Il est aussi vaillant que le lion, aussi grossier que l'ours, aussi lent que l'éléphant: c'est un homme en qui la nature a tellement accumulé les humeurs diverses, qu'en lui la valeur se mêle à la folie, et que la folie est assaisonnée de prudence: il n'y a pas un homme qui ait une vertu dont il n'ait une étincelle, un défaut dont il n'ait quelque teinte. Il est mélancolique sans sujet et gai à rebrousse-poil. Il a des jointures pour tous ses membres; mais tout en lui est si démanché, que c'est un Briarée goutteux avec cent bras dont il ne peut faire usage, un Argus aveugle avec cent yeux dont il ne voit pas clair.
CRESSIDA.—Mais comment cet homme, qui me fait sourire, peut-il exciter le courroux d'Hector?
ALEXANDRE.—On dit qu'il a lutté hier avec Hector dans le combat et qu'il l'a terrassé. Furieux et honteux depuis cet affront, Hector n'en a ni mangé ni dormi.
(Entre Pandare.)
CRESSIDA.—Qui vient à nous?
ALEXANDRE.—Madame, c'est votre oncle Pandare.
CRESSIDA.—Hector est un brave guerrier.
ALEXANDRE.—Autant qu'homme au monde, madame.
PANDARE.—Que dites-vous là? que dites-vous là?
CRESSIDA.—Bonjour, mon oncle Pandare.
PANDARE.—Bonjour, ma nièce Cressida. De quoi parlez-vous?—Ah! bonjour, Alexandre.—Eh bien! ma nièce, comment vous portez-vous? Depuis quand êtes-vous à Ilion5?
Note 5: (retour)
Ilion était le palais de Troie.
CRESSIDA.—Depuis ce matin, mon oncle.
PANDARE.—De quoi parliez-vous quand je suis arrivé?—Hector était-il armé et sorti avant que vous vinssiez à Ilion? Hélène n'était pas levée? n'est-ce pas?
CRESSIDA.—Hector était parti; mais Hélène n'était pas encore levée.
PANDARE.—Oui, Hector a été bien matinal.
CRESSIDA.—C'était de lui que nous causions, et de sa colère.
PANDARE.—Est-ce qu'il était en colère?
CRESSIDA.—Il le dit, lui.
PANDARE.—Oui, cela est vrai. J'en sais aussi la cause; il en couchera par terre aujourd'hui, je peux le leur promettre; et il y a aussi Troïlus qui ne le suivra pas de loin: qu'ils prennent garde à Troïlus; je peux leur dire cela aussi.
CRESSIDA.—Quoi! est-ce qu'il est en colère aussi?
PANDARE.—Qui, Troïlus? Troïlus est le plus brave des deux.
CRESSIDA.—O Jupiter, il n'y a pas de comparaison.
PANDARE.—Comment! pas de comparaison entre Troïlus et Hector? Reconnaîtriez-vous un homme si vous le voyiez?
CRESSIDA.—Oui, si je l'avais jamais vu auparavant et si je le connaissais.
PANDARE.—Eh bien! je dis que Troïlus est Troïlus.
CRESSIDA.—Oh! vous dites comme moi; car je suis sûre qu'il n'est pas Hector.
PANDARE.—Non; et Hector n'est pas Troïlus, à quelques égards.
CRESSIDA.—Cela est exactement vrai de tous deux: il est lui-même, et pas un autre.
PANDARE.—Lui-même? Hélas! le pauvre Troïlus! je voudrais bien qu'il le fût.
CRESSIDA.—Il l'est aussi.
PANDARE.—S'il l'est, je veux aller nu-pieds jusqu'à l'Inde.
CRESSIDA.—Il n'est pas Hector.
PANDARE.—Lui-même? Oh! non, il n'est pas lui-même.—Plût au ciel qu'il fût lui-même! Allons, les dieux sont au-dessus de nous; le temps amène les biens ou finit les maux. Allons, Troïlus, allons... je voudrais que mon coeur fût dans son sein!—Non, Hector ne vaut pas mieux que Troïlus.
CRESSIDA.—Pardonnez-moi.
PANDARE.—Il est plus âgé.
CRESSIDA.—Pardonnez-moi, pardonnez-moi.
PANDARE.—L'autre n'est pas encore parvenu à son âge; vous m'en direz des nouvelles quand il y sera venu: Hector n'aura jamais son esprit de toute l'année.
CRESSIDA.—Il n'en aura pas besoin s'il a le sien.
PANDARE.—Ni ses qualités.
CRESSIDA.—N'importe.
PANDARE.—Ni