Troïlus et Cressida. William Shakespeare

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Troïlus et Cressida - William Shakespeare

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n'avez pas de jugement, ma nièce: Hélène elle-même jurait l'autre jour que Troïlus, pour un teint brun (car son teint est brun, il faut que je l'avoue), et pas brun, pourtant...

      CRESSIDA.—Non; mais brun.

      PANDARE.—D'honneur, pour dire la vérité, il est brun et pas brun.

      CRESSIDA.—Oui, pour dire la vérité, cela est vrai et n'est pas vrai.

      PANDARE.—Enfin elle vantait son teint au-dessus de celui de Pâris.

      CRESSIDA.—Mais Pâris a assez de couleurs.

      PANDARE.—Oui, il en a assez.

      CRESSIDA.—Eh bien! en ce cas, Troïlus en aurait trop. Si elle l'a mis au-dessus de Pâris, son teint est plus vif que le sien; si Pâris a assez de couleurs et Troïlus davantage, c'est un éloge trop fort pour un beau teint. J'aimerais autant que la langue dorée d'Hélène eût vanté Troïlus pour un nez de cuivre.

      PANDARE.—Je vous jure que je crois qu'Hélène l'aime plus qu'elle n'aime Pâris.

      CRESSIDA.—C'est donc une joyeuse Grecque?

      PANDARE.—Oui, je suis sûr qu'elle l'aime. Elle alla l'aborder l'autre jour dans l'embrasure de la fenêtre.—Et vous savez, qu'il n'a pas plus de trois ou quatre poils au menton.

      CRESSIDA.—Oh! oui, l'arithmétique d'un garçon de cabaret peut trouver le total de tout ce qu'il en possède.

      PANDARE.—Il est bien jeune, et cependant, à trois livres près, il enlève autant que son frère Hector.

      Lifter, voleur. Illistus, en langue gothique, voulait dire voleur; équivoque sur le mot.

      PANDARE.—Mais pour vous prouver qu'Hélène est amoureuse de lui, elle l'aborda, et elle lui passa sa main blanche sous la fente du menton.

      CRESSIDA.—Que Junon ait pitié de nous! comment! a-t-il le menton fendu?

      PANDARE.—Hé! vous savez bien qu'il a une fossette: je ne crois pas qu'il y ait un homme, dans toute la Phrygie, à qui le sourire aille mieux.

      CRESSIDA.—Oh! il a un fier sourire.

      PANDARE.—N'est-ce pas?

      CRESSIDA.—Oh! oui; c'est comme un nuage en automne.

      PANDARE.—Allons, poursuivez.—Mais pour prouver qu'Hélène aime Troïlus...

      CRESSIDA.—Troïlus acceptera la preuve, si vous voulez en venir là.

      PANDARE.—Troïlus? Il n'en fait pas plus de cas que je ne fais d'un oeuf de serpent.

      CRESSIDA.—Si vous aimiez un oeuf de serpent autant que vous aimez une tête vide, vous mangeriez les petits dans la coque.

      PANDARE.—Je ne peux m'empêcher de rire, quand je songe comme elle lui chatouillait le menton.—Il est vrai qu'elle a une main d'une blancheur divine, il faut en faire l'aveu.

      CRESSIDA.—Sans qu'il soit besoin de vous donner la question pour cela.

      PANDARE.—Et elle voulait à toute force découvrir un poil blanc sur son menton.

      CRESSIDA.—Hélas! pauvre menton: il y a mainte verrue plus riche que lui en poils.

      PANDARE.—Mais, on se mit tant à rire.—La reine Hécube en a tant ri, que ses yeux en pleuraient.

      CRESSIDA.—Des meules de moulin!

      PANDARE.—Et Cassandre riait!

      CRESSIDA.—Mais c'était un feu plus doux qu'on voyait dans le creux de ses yeux: ses yeux ont-ils pleuré aussi?

      PANDARE.—Et Hector riait...

      CRESSIDA.—Et pourquoi tous ces éclats de rire?

      PANDARE.—Eh! à cause du poil blanc qu'Hélène avait découvert sur le menton de Troïlus.

      CRESSIDA.—Si ç'avait été un poil vert, j'en aurais ri aussi.

      PANDARE.—Ils n'ont pas tant ri du poil que de la jolie réponse de Troïlus.

      CRESSIDA.—- Quelle fut sa réponse?

      PANDARE.—Elle lui dit: «Il n'y a que cinquante et un poils sur votre menton, et il y en a un de blanc.»

      CRESSIDA.—C'était là le propos d'Hélène?

      PANDARE.—Oui, n'en doutez pas. «Cinquante et un poils, répond Troïlus, et un blanc? Ce poil blanc est mon père, et tous les autres sont ses enfants.—Jupiter! dit-elle, lequel de ces poils est Pâris, mon époux?—Le fourchu, répliqua-t-il: arrachez-le, et le lui donnez.» Mais on en rit tant, on en rit tant! et Hélène rougit si fort, et Pâris fut si courroucé, et toute l'assemblée poussa tant d'éclats de rire, que cela passe toute idée.

      CRESSIDA.—Allons, laissons cela: car il y a longtemps que cela dure.

      PANDARE.—Eh bien! ma nièce; je vous ai dit quelque chose hier, pensez-y.

      CRESSIDA.—C'est ce que je fais.

      PANDARE.—Je vous jure que c'est la vérité, il vous pleurerait comme s'il était né en avril.

      CRESSIDA.—Et moi je pousserais sous ses larmes comme si j'étais une ortie du mois de mai.

      (On entend résonner la retraite.)

      PANDARE.—Écoutez, les voilà qui reviennent du champ de bataille: nous tiendrons-nous ici, pour les voir passer et défiler vers Ilion? Restons, ma chère nièce, ma bonne nièce Cressida.

      CRESSIDA.—Comme cela vous fera plaisir.

      PANDARE.—Oh! voici, voici une place excellente: nous pouvons d'ici voir à merveille; je vais vous les nommer l'un après l'autre, à mesure qu'ils vont passer. Mais surtout remarquez bien Troïlus.

      (Énée passe le premier sur le théâtre.)

      CRESSIDA.—Ne parlez pas si haut.

      PANDARE.—Voilà Énée. N'est-ce pas un bel homme? C'est une des fleurs de Troie. Je puis vous dire....—Mais remarquez Troïlus: vous allez le voir bientôt.

      (Anténor suit.)

      CRESSIDA.—Quel est celui-là?

      PANDARE.—C'est Anténor: il a l'esprit fin, je puis vous dire, et c'est un homme d'assez de mérite: c'est une des têtes les plus solides qu'il y ait dans Troie; et il est bien fait

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