Le secrétaire intime. George Sand

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Le secrétaire intime - George Sand

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et dit à la princesse:

      «Madame, voici M. Charles de Dortan.

      —Je n'ai pas l'honneur de le connaître, répondit la princesse, et je le salue. Allons, Messieurs, en voiture; dépêchons-nous!»

      À ce ton absolu, les serviteurs de la princesse écartèrent précipitamment les curieux, et Quintilia monta en voiture sans que le voyageur pâle osât lui parler. Saint-Julien le vit serrer les poings et s'élancer avec anxiété sur un banc pour regarder dans la voiture.

      Elle paraissait bien avoir trente ans... Elle paraissait bien avoir trente ans...

      —Qu'est-ce que c'est que cet homme-là qui nous regarde tant? dit nonchalamment la princesse en s'étendant à demi au fond de la voiture, dont Saint-Julien et la Ginetta occupaient le devant.

      —Je ne sais pas, Madame, répondit la Ginetta avec candeur en relevant son voile.

      —C'est M. Charles de Dortan, dit Saint-Julien indigné.

      —N'est-ce pas un horloger?» dit la princesse avec tant de calme, que Saint-Julien ne put savoir si c'était une question de bonne foi ou une plaisanterie effrontée.

      La princesse releva aussi son voile, se tourna vers Dortan, et lui dit d'un ton froid et impératif:

      «Monsieur, reculez-vous; on ne regarde pas ainsi une femme.

      Dortan devint pâle comme la lune et resta fasciné à sa place.

      La voiture partit au galop.

      «Ces Français sont insolents! dit la Ginetta au bout d'un instant.

      —Pourquoi? dit la princesse, qui avait déjà oublié l'incident.

      —Il faut, pensa Julien, que ce Dortan soit un imbécile ou un fou.»

      Les manières tranquilles de la princesse le subjuguèrent bientôt, et il lui sembla avoir rêvé l'histoire de Dortan. Pendant ce temps le chemin se dérobait sous les pieds des chevaux, et Avignon s'effaçait dans la poussière de l'horizon.

       Table des matières

      Les journées de ce voyage passèrent comme un songe pour Julien. La princesse s'était faite homme pour lui parler. Elle avait un art infini pour tirer de chaque question tout le parti possible, pour la simplifier, l'éclaircir et la revêtir ensuite de tout l'éclat de sa pensée vaste et brillante. Toutes ses opinions révélaient une âme forte, une volonté implacable, une logique âpre et serrée. Ce caractère viril éblouissait le jeune comte. Une chose seule l'affligeait, c'était de n'y pas voir percer plus de sensibilité; un peu plus d'entraînement, un peu moins de raison, l'eussent rendu plus séduisant sans lui ôter peut-être sa puissance. Mais Saint-Julien ne savait pas encore précisément s'il se trompait en augurant de la beauté de l'intelligence plus que de la bonté du cœur. Peut-être cette âme si vaste avait-elle encore plus d'une face à lui montrer, plus d'un trésor à lui révéler. Seulement il s'effrayait de la trouver plus disposée à la critique qu'à la sympathie lorsqu'il s'écartait de la réalité positive pour s'égarer à la suite de quelque rêverie sentimentale.

      Vraiment, dit l'aubergiste... Vraiment, dit l'aubergiste...

      Et d'un autre côté pourtant il aimait cette froideur d'imagination qui, selon lui, devait prendre sa source dans une habitude de mœurs rigides et sages. La familiarité chaste des manières et du langage achevait d'effacer la fâcheuse impression qu'il avait reçue d'abord des manières hardies et de la brusque familiarité de la princesse. Comment accorder d'ailleurs les principes d'ordre et de noble harmonie qu'elle émettait si nettement à tout propos avec des habitudes de désordre et d'effronterie? La dépravation dans une âme si élevée eût été une monstruosité.

      Peu après il lui sembla que cette femme cachait sa bonté comme une faiblesse, mais qu'un foyer de charité brûlait dans son âme. Elle n'était occupée que de théories philanthropiques, et s'indignait de voir sur sa route tant de misère sans soulagement. Elle imaginait alors des moyens pour y remédier et s'étonnait qu'on ne s'en avisât pas.

      «Mais, disait-elle avec colère, ces misérables bâtards qui gouvernent le monde à titre de rois ont bien autre chose à faire que de secourir ceux qui souffrent. Occupés de leurs fades plaisirs, ils s'amusent puérilement et mesquinement jusqu'à ce que la voix des peuples fasse crouler leurs trônes trop longtemps sourds à la plainte.»

      Alors elle parlait de la difficulté de maintenir l'intelligence entre les gouvernements et les peuples. Elle ne la trouvait pas insurmontable. «Mais que peuvent faire, ajoutait-elle, tous ces idiots couronnés?» Et après avoir lumineusement examiné et critiqué le système de tous les cabinets de l'Europe, dont son œil pénétrant semblait avoir surpris tous les secrets, elle élevait sur des bases philosophiques son système de gouvernement absolu.

      «Les grands rois font les grands peuples, disait-elle; tout se réduit à cet aphorisme banal; mais il n'y a pas encore eu de grands rois sur la terre, il n'y a eu que de grands capitaines, des héros d'ambition, d'intelligence et de bravoure; pas un seul prince à la fois hardi, loyal, éclairé, froid, persévérant. Dans toutes les biographies illustres, la nature infirme perce toujours. Ce n'est pourtant pas à dire qu'il faille abandonner l'œuvre et désespérer de l'avenir du monde. L'esprit humain n'a pas encore atteint la limite où il doit s'arrêter: tout ce qui est nettement concevable est exécutable.»

      Après avoir parlé ainsi, elle tombait dans de profondes rêveries; ses sourcils se fronçaient légèrement. Son grand œil sombre semblait s'enfoncer dans ses orbites; l'ambition agrandissait son front brûlant. On l'eût prise pour la fille de Napoléon.

      Dans ces instants-là Saint-Julien avait peur d'elle.

      «Qu'est-ce que la charité? qu'est-ce que l'amour? se disait-il; que sont toutes les vertus et toutes les poésies, et tous les sentiments pieux et tendres pour une âme brûlée de ces ambitions immenses?»

      Mais s'il la voyait jeter aux pauvres l'or de sa bourse et jusqu'aux pièces de son vêtement; s'il l'entendait, d'une voix amicale et presque maternelle, interroger les malades et consoler les affligés, il était plus touché de ces marques de bonté familière qu'il ne l'eût été d'actions plus grandes faites par une autre femme.

      Un jour un postillon tomba sous ses chevaux et fut grièvement blessé. La princesse s'élança la première à son secours; et, sans crainte de souiller son vêtement dans le sang et dans la poussière, sans craindre d'être atteinte et blessée elle-même par les pieds des chevaux, au milieu desquels elle se jeta, elle le secourut et le pansa de ses propres mains. Elle le fit avec tant de zèle et de soin, que Saint-Julien aurait cru qu'elle y mettait de l'affectation s'il ne l'eût vue tancer sérieusement son page, qui criait pour une égratignure, repousser avec colère les mendiants qui étalaient sous ses yeux de fausses plaies, négliger, en un mot, toutes les occasions de déployer une compassion inutile et crédule.

      Enfin on arriva à Monteregale, et la princesse, ayant fait ouvrir sa voiture, montra de loin à Saint-Julien les tours d'une jolie forteresse

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