La mer. Jules Michelet

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La mer - Jules Michelet

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tristes, qu'on aille s'asseoir sur ces rocs, à la baie de Douarnenez, au promontoire de Penmark. Ou, si le vent est trop fort, qu'on se mette dans une barque aux basses îles du Morbihan. La mer y apporte un flot tiède que l'on n'entend même pas. La Bretagne, où elle est douce, est très-douce. Dans ses archipels vous diriez l'onde de la mort. Où elle est forte, elle est sublime.

      Je n'en sentis que les tristesses en 1831; elles ont passé dans mon histoire. Je ne connaissais pas alors le vrai caractère de cette mer. C'est aux anses les plus solitaires, entre ses rocs les plus sauvages, qu'elle est vraiment gaie, je veux dire vivante et joyeuse d'une grande vie. Ces rocs, vous les voyez couverts comme d'une couche d'aspérités grises, mais ce sont des êtres animés, c'est tout un monde établi là, qui, au reflux, laissé à sec, se clôt et s'enferme. Il ouvre ses petites fenêtres quand la bonne mer, sa nourrice, lui rapporte ses aliments. Là travaille encore en foule cette population estimable des petits piqueurs de pierre, les oursins, observés et si bien décrits par M. Caillaud. Tout ce monde juge exactement au rebours de nous. La belle Normandie les effraye; ils ont horreur et terreur des rudes galets des falaises, sous lesquels ils seraient broyés. Les calcaires croulants de Saintonge, avec leurs plages aimables, ne les rassurent pas davantage. Ils n'ont garde de s'établir sur ce qui doit tomber demain. Au contraire, ils sont heureux de sentir sous eux le sol immuable des rochers bretons.

      Apprenons d'eux à n'en pas croire l'apparence, mais la vérité. Les rivages enchanteurs de la Flore la plus séduisante sont ceux que fuit la vie marine; ils sont riches, mais en fossiles; curieux pour le géologue, ils l'instruisent par les os des morts. L'âpre granit au contraire voit sous lui la mer poissonneuse, sur lui une autre vie encore, le peuple intéressant, modeste, des mollusques travailleurs, pauvres petits ouvriers dont la vie laborieuse fait le charme sérieux, la moralité de la mer.

      «Profond silence pourtant. Ce peuple infini est muet, il ne me dit rien. Sa vie est de lui à lui, sans rapport à moi, et pour moi elle vaut la mort. Solitude! (dit un cœur de femme) grande et triste solitude!... Je ne suis pas rassurée...»

      A tort. Tout est ami ici. Ces petits êtres ne parlent pas au monde, mais ils travaillent pour lui. Ils se remettent du discours à leur sublime père, l'Océan, qui parle à leur place. Ils s'expliquent par sa grande voix.

      Entre la terre silencieuse et les tribus muettes de la mer, il fait aussi le dialogue, grand, fort et grave, sympathique,—l'harmonique concordance du grand Moi avec lui-même, ce beau débat qui n'est qu'Amour.

       Table des matières

      CERCLE DES EAUX, CERCLE DE FEUX.—FLEUVES DE LA MER

      La terre a jeté à peine un regard sur elle-même qu'elle s'est comparée, préférée au ciel. La géologie, toute jeune, contre son aînée l'astronomie, reine orgueilleuse des sciences, a poussé un cri de Titan. «Nos montagnes, a-t-elle dit, ne sont pas jetées au hasard, comme les étoiles dans le ciel; elles forment des systèmes où l'on trouve les éléments d'une ordonnance générale dont les constellations célestes ne présentent aucune trace.» Ce mot hardi, passionné, a échappé à un homme aussi modeste qu'illustre, M. Élie de Beaumont.

      Sans doute, on n'a pas démêlé encore l'ordre (probablement très-grand) qui règne dans le pêle-mêle apparent de la Voie lactée; mais l'ordonnance plus visible de la superficie du globe, résultant des révolutions insondables de son intérieur, garde cependant, gardera pour la plus ingénieuse science des ombres et des mystères.

      Les formes de la grande montagne émergée des eaux qu'on appelle proprement la terre, offrent plusieurs dispositions assez symétriques sans pouvoir être ramenées encore à ce qui semblerait un système total. Ces parties sèches et élevées apparaissent plus ou moins, selon ce que l'eau en découvre. C'est la mer, comme limite, qui trace, en réalité, la forme des continents. C'est par la mer qu'il convient de commencer toute géographie.

      Ajoutez une grande chose, révélée depuis peu d'années. Tandis que la terre nous offre tels traits qui semblent discordants (exemple, le Nouveau monde étendu du nord au sud et l'Ancien d'est en ouest), la mer au contraire présente une très-grande harmonie, une correspondance exacte entre les deux hémisphères. C'est dans la partie fluide, qu'on croyait si capricieuse, qu'existe la régularité. Ce que ce globe a de plus ordonné, de plus symétrique, c'est ce qui paraît le plus libre, le jeu de la circulation. L'ossature et les vertèbres du grand animal ont leurs singularités dont nous ne pouvons encore bien, nous rendre compte. Mais son mouvement vital qui fait les courants de la mer, qui de l'eau salée fait l'eau douce, bientôt convertie en vapeur pour retourner à l'eau salée, cet admirable mécanisme est aussi parfait que celui de la circulation sanguine dans les animaux les plus élevés. Rien qui ressemble davantage à la transformation constante de notre sang veineux et artériel.

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      La face du globe paraît bien autrement compréhensible, si l'on en classe les régions, non par chaînes de montagnes, mais par bassins maritimes.

      L'Espagne du Sud ressemble au Maroc plus qu'à la Navarre, la Provence à l'Algérie plus qu'au Dauphiné; la Sénégambie aux régions de l'Amazone plus qu'à la mer Rouge, et l'Amazone a plus d'analogie avec les régions humides de l'Afrique qu'avec ses voisins qui lui sont adossés, le Chili et le Pérou, etc.

      La symétrie de l'Atlantique est encore bien plus, frappante dans les courants en dessous, dans les vents et brises en dessus. Leur action aide puissamment à créer ces analogies et à former ce qu'on peut dire: la fraternité des rivages.

      Le principe d'unité géographique, l'élément classificateur sera de plus en plus cherché dans le bassin maritime, où les eaux, les vents messagers fidèles créent la relation, l'assimilation des bords opposés. On demandera moins cette idée d'unité géographique aux montagnes, dont les deux versants, souvent en contradiction, vous offrent sous même latitude des flores et des populations absolument opposées, ici l'invariable été, à deux pas l'éternel hiver selon les expositions. La montagne donne rarement l'unité de la contrée, plus souvent sa dualité, son divorce et ses discordances.

      Cette vue de génie appartient à Bory de Saint-Vincent. Les découvertes récentes de Maury et les lois qu'il a posées la confirment de mille manières.

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      Dans l'immense vallée de la mer, sous la double montagne des deux continents, il n'y a, à proprement parler, que deux bassins:

      1º Le bassin de l'Atlantique;

      2º Le grand bassin de la mer Indienne et Pacifique.

      On ne peut appeler bassin la ceinture indéterminée de l'énorme océan Austral, qui n'a ni borne, ni rivage, qui vers le nord seulement vient envelopper la mer de l'Inde, la Mer de Corail et le Pacifique.

      L'océan Austral, à lui seul, est plus grand que toutes les mers. Il couvre presque la moitié de la surface du globe. Selon toute apparence, à l'étendue répond la profondeur. Tandis que les sondages récents de l'Atlantique indiquent 10 ou 12,000 pieds, dans l'océan Austral, Ross et Denham ont trouvé 14,000, 27,000, et jusqu'à 46,000 pieds. Ajoutez-y la masse des glaces antarctiques, infiniment plus vastes que nos glaces boréales. On n'est pas loin du vrai, si l'on simplifie en disant: L'hémisphère Austral est le monde des eaux, et le Boréal celui de la terre.

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      Celui

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