Le IIme livre des masques. Remy de Gourmont
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Читать онлайн книгу Le IIme livre des masques - Remy de Gourmont страница 3
et il porte les pauvres
et des sacs remplis d'orge.
et (malgré une strophe mauvaise) la discrète élégie que résument ces quatre vers d'une musique si tiède et si lasse:
Le soleil pur, le nom doux du petit village,
les belles oies qui sont blanches comme le sel,
se mêlent à mon amour d'autrefois, pareil
aux chemins obscurs et longs de Sainte Suzanne.
Après encore un an ou deux d'une vie sans doute toujours pareille, le poète a pris une conscience plus décisive de lui-même; son émotion devient parfois presque plaintive en même temps que la sensualité de l'homme s'exalte, s'avoue avec moins de pudeur, mais toujours soeur d'un sentiment et alors toujours pure malgré sa franchise et la nudité de ses gestes. Ce triple aspect humain, orgueil, émotion, sensualité, le poème en dialogue, appelé Un Jour, le développe, en couleurs vives et douces: quatre scènes où la poésie vole au-dessus d'une vie monotone et presque triste, quatre images très simples, et même, si l'on veut, naïves, mais d'une naïveté qui se connaît et qui connaît sa beauté. Plus que d'ambitieuses paraphrases c'est bien là la journée (ou la vie) d'un poète, qui perçoit le monde extérieur d'abord comme une sensation brute (ainsi que tout autre homme), puis en dégage aussitôt, en son esprit prompt aux généralisations, la signification symbolique ou absolue. Et tout ce poème est plein de vers admirables et graves, des vers d'un vrai poète dont le génie encore en croissance éclate, tel des rayons de soleil à travers une haie d'acacias:
C'est la mère douce aux cheveux gris dont tu es né.
Les gens pauvres et fiers sont pareils à des cygnes.
Cache-lui ton ennui parce qu'elle est une femme.
Elle est trop jeune pour pouvoir porter deux âmes.
Bois les baisers de ta douce et tendre fiancée.
Les larmes des femmes sont lourdes et salées
comme la mer qui noie ceux qui y sont allés.
Ne semble-t-il pas que la gaucherie ou le dédaigneux laisser-aller de ce dernier vers ajoute à la pensée sérieuse comme un sourire? Il y a beaucoup de ces sourires dans la poésie de M. Francis Jammes. Je ne trouve pas qu'il y en ait trop; j'aime le sourire.
Voilà donc un poète. Il est d'une sincérité presque déconcertante; mais non par naïveté, plutôt par orgueil. Il sait que vus par lui les paysages où il a vécu tressaillent sous son regard et que les chênes tout secoués parlent et que les rochers resplendissent comme des topazes. Alors il dit toute cette vie surnaturelle et toute l'autre, celle des heures où il ferme les yeux: et la nature et le rêve s'enlacent si discrètement, dans une ombre si bleue et avec des gestes si harmoniques, que les deux natures ne font qu'une seule ligne, une seule grâce:
Ils ont une ligne douce comme une ligne.
Il est grand temps, pour notre bon renom, de donner de la gloire à ce poète et, pour notre plaisir, de respirer souvent cette poésie, qu'il a appelée lui-même une poésie de roses blanches.
PAUL FORT
Celui-ci fait des ballades. Il ne faut rien lui demander de plus, ou de moins, présentement. Il fait des ballades et veut en faire encore, en faire toujours. Ces ballades ne ressemblent guère à celles de François Villon ou de M. Laurent Tailhade; elles ne ressemblent à rien.
Typographiées comme de la prose, elles sont écrites en vers, et supérieurement mouvementés. Cette typographie a donné l'illusion à d'aimables critiques que M. Paul Fort avait découvert la quadrature du cercle rythmique et résolu le problème qui tourmentait M. Jourdain de rédiger des littératures qui ne seraient ni de la prose ni des vers; il y a bien de la désinvolture dans ce compliment, mais ce n'est qu'un compliment. Si la ligne qui sépare le vers de la prose est souvent devenue, en ces dernières années littéraires, d'une étroitesse presque invisible, elle persiste néanmoins; à droite, c'est prose; à gauche, c'est vers; inexistante pour celui qui passe, les yeux vagues, elle est là, indélébile, pour celui qui regarde. Le rythme du vers est indépendant de la phrase grammaticale; il place ses temps forts sur des sons et non sur des sens. Le rythme de la prose est dépendant de la phrase grammaticale; il place ses temps forts sur des sens et non sur des sons. Et comme le son et le sens ne peuvent que très rarement coïncider, la prose sacrifie le son et le vers sacrifie le sens. Voilà une distinction sommaire qui peut suffire, provisoirement.
La question ne se pose d'ailleurs pas à propos des Ballades Françaises, lesquelles sont bien d'un bout à l'autre en vers, ici très pittoresques, très vifs, là très sobres, très beaux; et non pas même en vers libres (sauf quelques pages); en ce vieux vers «nombreux», mais dégagé heureusement de la tyrannie des muettes, ces princesses qu'on ne sait comment saluer. Avec un instinct sûr d'homme de l'Isle-de-France, il les a remises à leur vraie place, leur imposant quand il le faut le silence qui convient à leur nom.
Un roi conquit la reine avec ses noirs vaisseaux.
La reine n'a plus de peine, est douce comme un agneau.
Et tout ce petit poème, vraiment parfait:
Cette fille, elle est morte, est morte dans ses amours.
Ils l'ont portée en terre, en terre au point du jour.
Ils l'ont couchée toute seule, toute seule en ses atours.
Ils l'ont couchée toute seule, toute seule en son cercueil.
Ils sont revenus gaîment, gaîment avec le jour.
Ils ont chanté gaîment, gaîment: «Chacun son tour.
«Cette fille, elle est morte, est morte dans ses amours.»
Ils sont allés aux champs, aux champs comme tous les jours....
J'aime beaucoup de tels vers; je n'aime guère que de tels vers, où le rythme par des gestes sûrs affirme sa présence et pour une syllabe de plus, une de moins, ne s'évanouit pas. Qui s'aperçoit que le troisième des vers que voici n'a que onze syllabes accentuées?
Au premier son des cloches: «C'est Jésus dans sa crèche....»
Les cloches ont redoublé: «O gué, mon fiancé!»
Et puis c'est tout de suite la cloche des trépassés.
Mais assez de rythmique; il est temps que nous aimions la poésie et non plus seulement les vers des Ballades Françaises. Elles chantent sur trois tons principaux; le pittoresque, l'émotion, l'ironie régissent successivement, et parfois en même temps, chacun de ces poèmes dont la diversité est vraiment merveilleuse; c'est le jardin des mille fleurs, des mille parfums et des mille couleurs. Le livre premier est le plus charmant: c'est celui des ballades qui empruntent à la chanson populaire un refrain, le charme d'un mot