Pierre Nozière. Anatole France
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Le petit Jean est d'un autre caractere. Il suit d'autres pensees. C'est un franc luron; il ne porte point encore la culotte, mais son esprit a devance son age, et il n'y a point d'esprit plus gaillard que celui-la. Tandis qu'il s'attache d'une main au tablier de sa soeur, de peur de tomber, il agite son fouet de l'autre main avec la vigueur d'un robuste garcon. C'est a peine si le premier valet de son pere fait mieux claquer le sien quand, en ramenant les chevaux de la riviere, il rencontre sa fiancee. Le petit Jean ne s'endort pas dans une molle reverie. Il ne se soucie pas des fleurs des champs. Il songe, pour ses jeux, a de rudes travaux. Il reve charrois embourbes et percherons tirant du collier a sa voix et sous ses coups. Il est plein de force et d'orgueil. C'est ainsi qu'il va par les pres, a petits pas, butant aux cailloux et se retenant au tablier de sa grande soeur.
Catherine et Jean sont montes au-dessus des prairies, le long du coteau, jusqu'a un endroit eleve d'ou l'on decouvre tous les feux du village epars dans la feuillee, et a l'horizon les clochers de six paroisses. C'est la qu'on voit que la terre est grande. Catherine y comprend mieux qu'ailleurs les histoires qu'on lui a apprises, la colombe de l'arche, les Israelites de la Terre promise et Jesus allant de ville en ville.
"Asseyons-nous la", dit-elle.
Elle s'assied. En ouvrant les mains, elle repand sur elle sa moisson fleurie. Elle en est toute parfumee, et deja les papillons voltigent autour d'elle. Elle choisit, elle assemble les fleurs; elle marie les tons pour le plaisir de ses yeux. Plus les couleurs sont vives, plus elle les trouve agreables. Elle a des yeux tout neufs que le rouge vif ne blesse point. C'est pour les regards uses des citadins que les peintres des villes eteignent les tons avec prudence. Les yeux de Catherine sont de bons petits yeux qui aiment les coquelicots. Les coquelicots, voila ce que Catherine prefere. Mais leur pourpre fragile s'est deja fanee et la brise legere effeuille dans les mains de l'enfant leur corolle etincelante. Elle regarde, emerveillee, toutes ces tiges en fleur, et elle voit toutes sortes de petits insectes courir sur les feuilles et sur les fleurs. Ces plantes qu'elle a cueillies servaient d'habitation a des mouches et a de petits scarabees qui, voyant leur demeure en peril, s'inquietent et s'agitent. Catherine ne se soucie pas des insectes. Elle trouve que ce sont de trop petites betes et elle n'a d'eux aucune pitie. Pourtant on peut etre en meme temps tres petit et tres malheureux. Mais c'est la une philosophique et, pour le malheur des scarabees, la philosophie n'entre point dans la tete de Catherine.
Elle se fait des guirlandes et des couronnes et se suspend des clochettes aux oreilles; elle est maintenant ornee comme l'image rustique d'une vierge veneree des bergers. Son petit frere Jean, occupe pendant ce temps a conduire des chevaux imaginaires, l'apercoit ainsi paree. Aussitot il est saisi d'admiration. Un sentiment religieux penetre toute sa petite ame. Il s'arrete, le fouet lui tombe des mains. Il comprend qu'elle est belle. Il voudrait etre beau aussi et tout charge de fleurs. Il essaye en vain d'exprimer ce desir dans son langage obscur et doux. Mais elle l'a devine. La petite Catherine est une grande soeur; une grande soeur est une petite mere; elle previent, elle devine.
"Oui, cheri, s'ecrie Catherine; je vais te faire une belle couronne et tu seras pareil a un petit roi."
Et la voila qui tresse les fleurs bleues, les fleurs jaunes et les fleurs rouges pour en faire un chapeau. Elle pose ce chapeau de fleurs sur la tete du petit Jean, qui en rougit de joie. Elle l'embrasse, elle le souleve de terre et le pose tout fleuri sur une grosse pierre. Puis elle l'admire parce qu'il est beau et elle l'aime parce qu'il est beau par elle.
Et, debout sur son socle agreste, le petit Jean comprend qu'il est beau. Cette idee le penetre d'un respect profond de lui-meme. Il comprend qu'il est sacre. Droit, immobile, les yeux tout ronds, les levres serrees, les bras pendants, les mains ouvertes et les doigts ecartes comme les rayons d'une roue, il goute une joie pieuse a se sentir devenir une idole. Le ciel est sur sa tete, les bois et les champs sont a ses pieds. Il est au milieu du monde. Il est seul grand, il est seul beau.
Mais tout a coup Catherine eclate de rire. Elle s'ecrie:
"Oh! que tu es drole, mon petit Jean! que tu es drole!"
Elle se jette sur lui, elle l'embrasse, le secoue; la lourde couronne lui glisse sur le nez. Et elle repete:
"Oh! qu'il est drole! qu'il est drole!"
Et elle rit de plus belle.
Mais le petit Jean ne rit pas. Il est triste et surpris que ce soit fini et qu'il ne soit plus beau. Il lui en coute de redevenir ordinaire.
Maintenant la couronne denouee s'est repandue a terre et le petit Jean est redevenu semblable a l'un de nous. Il n'est plus beau. Mais c'est encore un solide gaillard. Il a ressaisi son fouet, et le voila qui tire de l'orniere les six chevaux de ses reves. Les petits enfants imaginent avec facilite les choses qu'ils desirent et qu'ils n'ont pas. Quand ils gardent dans l'age mur cette faculte merveilleuse, on dit qu'ils sont des poetes ou des fous. Le petit Jean crie, frappe et se demene.
Catherine joue encore avec ses fleurs. Mais il y en a qui meurent. Il y en a d'autres qui s'endorment. Car les fleurs ont leur sommeil comme les animaux, et voici que les campanules, cueillies quelques heures auparavant, ferment leurs cloches violettes et s'endorment dans les petites mains qui les ont separees de la vie. Catherine en serait touchee si elle le savait. Mais Catherine ne sait pas que les plantes dorment ni qu'elles vivent. Elle ne sait rien. Nous ne savons rien non plus et, si nous avons appris que les plantes vivent, nous ne sommes guere plus avances que Catherine, puisque nous ne savons pas ce que c'est que vivre. Peut-etre ne faut-il pas trop nous plaindre de notre ignorance. Si nous savions tout, nous n'oserions plus rien faire et le monde finirait.
Un souffle leger passe dans l'air et Catherine frissonne. C'est le soir qui vient.
"J'ai faim", dit le petit Jean.
Il est juste qu'un conducteur de chevaux mange quand il a faim. Mais
Catherine n'a pas un morceau de pain pour donner a son petit frere.
Elle lui dit:
"Mon petit frere, retournons a la maison." Et ils songent tous deux a la soupe aux choux qui fume dans la marmite pendue a la cremaillere, au milieu de la grande cheminee. Catherine amasse ses fleurs sur son bras et, prenant son petit frere par la main, le conduit vers la maison.
Le soleil descendait lentement a l'horizon rougi. Les hirondelles, dans leur vol, effleuraient les enfants de leurs ailes immobiles. Le soir etait venu. Catherine et Jean se presserent l'un contre l'autre.
Catherine laissait tomber une a une ses fleurs sur la route. Ils entendaient, dans le grand silence, la crecelle infatigable du grillon. Ils avaient peur tous deux et ils etaient tristes, parce que la tristesse du soir penetrait leurs petites ames. Ce qui les entourait leur etait familier, mais ils ne reconnaissent plus ce qu'ils connaissaient le mieux.
Il semblait tout a coup que la terre fut trop grande et trop vieille pour eux. Ils etaient las et ils craignaient de ne jamais arriver dans la maison ou leur mere faisait la soupe pour toute la famille. Le petit Jean n'agitait plus son fouet. Catherine laissa glisser de sa main fatiguee sa derniere fleur. Elle tirait son petit frere par le bras et tous deux se taisaient.
Enfin, ils virent de loin le toit de leur maison qui fumait dans le ciel assombri. Alors, ils s'arreterent, et tous deux, frappant des mains, pousserent des cris de joie. Catherine embrassa son petit frere, puis, ils se mirent ensemble a courir de toute la force de leurs pieds fatigues. Quand ils