Nouvelles mille et une nuits. Robert Louis Stevenson

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meilleure, le Club du suicide: nous n'avons pas de peine à reconnaître dans le prince Florizel de Bohême, qui, pendant son séjour à Londres, rôde incognito par les rues, le calife Haroun-al-Raschid, et dans son fidèle écuyer, le colonel Geraldine, Giafar, grand vizir. Le verglas les ayant forcés à chercher refuge dans un bar des environs de Leicester-square, ils rencontrent un individu qui n'a de commun avec Bedreddin-Hassan que la manie d'offrir des tartes à la crème aux gens qu'il ne connaît pas. C'est le dénouement fou d'une carrière extravagante: le jeune homme aux tartes à la crème (nous ne le connaîtrons que sous ce nom) prélude à la mort par cette soirée burlesque. Le prince et son écuyer font semblant d'être dans les mêmes dispositions que leur nouvelle connaissance, et c'est ainsi qu'ils sont introduits par lui au Club du suicide, rendez-vous de tous ceux qui, fatigués de la vie, désirent disparaître sans scandale. Chaque nuit, une partie de cartes réunit ces désenchantés autour du tapis vert. Le président du club, un dilettante d'espèce toute particulière, bat et donne les cartes; le privilégié qu'un sort heureux gratifie de l'as de pique disparaîtra avant l'aube par les soins obligeants du membre de céans qui tourne l'as de trèfle. Ce jeu réunit les émotions de la roulette, celles d'un duel et celles d'un amphithéâtre romain, il fait goûter les impressions exquises de la peur; les gens les plus revenus de tout y trouvent un dernier plaisir. M. Malthus, par exemple, un paralytique, défiguré, ravagé par des excès auxquels il ne peut plus se livrer, est membre honoraire, pour ainsi dire. Il vient, de loin en loin, quand il en a la force, chercher une excitation qui le réconcilie avec la vie en lui faisant redouter la mort. Il a essayé de tout, et il en est à déclarer qu'en fait de passions, aucune n'est enivrante autant que la peur; il est poltron avec délices, et il badine avec des terreurs sans nom. Heureusement pour la morale, il badine une fois de trop; l'as de pique lui échoit à la fin, et le lendemain les journaux de Londres renferment, sous la rubrique: Triste accident, un paragraphe qui apprend au public la mort de l'honorable M. Malthus, tombé par-dessus le parapet de Trafalgar-square; au sortir d'une soirée, il cherchait un cab; on attribue sa chute à une nouvelle attaque de paralysie.

      Le prince Florizel aurait son tour, si Geraldine, vigilant et fidèle, ne mettait la police secrète sur pied, en dépit des terribles serments par lesquels s'engagent les membres du club. Personne n'est livré aux tribunaux; le prince vient généreusement au secours de ceux des désespérés qui méritent encore quelque pitié, puis il décide que le repaire sera fermé et que son abominable président périra en duel. Ce duel, qui doit avoir lieu sur le continent, est le sujet d'un second récit beaucoup plus sensationnel encore que le premier, où il est question d'un médecin et d'une malle qui contient un cadavre, celui de l'adversaire désigné du président, lâchement assassiné par ce monstre.

      Certes, le lecteur, quel qu'il soit, attend la suite avec autant d'impatience que le sultan des Indes, tenu en haleine par les points suspensifs des contes de Schéhérazade; on passe, avec une fiévreuse anxiété, à l'histoire suivante, qui est celle non pas d'un Cheval enchanté, mais d'un simple Cab, lequel recueille des invités de bonne volonté pour les conduire à une fête étrange dont la fin est le triomphe du droit et le châtiment du crime, grâce à la vaillante épée du prince Florizel. L'héritier d'un trône daigne se mesurer avec le pire des scélérats. Nous le retrouverons plus tard, mêlé à d'autres aventures non moins intéressantes, celles d'un diamant, et, comme tous les princes qu'a mis en scène M. Stevenson, il finit en philosophe, renversé par une révolution. C'est derrière le comptoir d'un débit de tabac qu'il apparaît une dernière fois: ce redresseur de torts vend majestueusement des cigares!

      On voit que la fantaisie humoristique n'est pas absente des récits de M. Stevenson; les contrastes si marqués que permet, qu'exige même cette qualité, très développée chez lui, produisent bien quelques fautes de goût, mais une certaine façon qu'il a de se moquer de ses héros et de lui-même relève ici néanmoins le sensational novel, qui a retrouvé depuis peu, en Angleterre, un succès d'assez mauvais aloi. Du rang où l'avait placé naguère Wilkie Collins, ce roman, nourri d'émotions violentes, était tombé au niveau des élucubrations de feu Ponson du Terrail. M. Stevenson eut le mérite de le rendre agréable aux délicats.

      Nous n'avons, du reste, nulle envie de défendre plus qu'il ne convient la suite des Nouvelles Mille et une Nuits, inspirée par la Dynamite et composée en collaboration avec Mme Stevenson. La confusion de la tragédie et de la farce y est poussée trop loin. On croit être devant un couple de jongleurs émérites, d'équilibristes habiles, dont les périlleux exercices deviendraient fatigants pour le public, amusé d'abord, s'ils se prolongeaient beaucoup; mais les aventures des trois jeunes gens inutiles qui attendent leur fortune du hasard, sur le pavé de Londres, sont presque aussi courtes que celles des trois calenders, fils de rois, et la gracieuse conspiratrice qui les conduit l'un après l'autre à deux doigts de leur perte ne prend pas en vain cinq noms différents, car Clara Luxmore, dite Lake, dite Fonblanque, dite Valdivia, dite de Marly, a autant d'imagination à elle seule que pouvaient en avoir réunies les cinq dames de Bagdad. Son histoire de la Belle Cubaine et de l'Ange exterminateur chez les Mormons sont des contes bleus modernes de la plus piquante invraisemblance: ils dissimulent cependant des complots anarchiques effroyables, mais tous si maladroits qu'ils prêtent à rire. M. et Mme Stevenson traitent la dynamite du haut en bas, refusant de la prendre au sérieux et faisant rater toutes ses bombes, sauf deux ou trois qui éclatent au détriment de ceux qui les fabriquent. Zéro, l'agitateur irlandais, et son complice Mac-Guire, périssent assommés sous le ridicule. Si Clara, l'affidée de ces deux fantoccini grotesques, obtient sa grâce et, à la fin, un bon mari, c'est qu'elle est jolie à ravir, pleine d'inventions drôles, de tours uniques, et surtout parce qu'au milieu de ses criminelles erreurs, elle n'a jamais été sentimentale. L'assassin sentimental et phraseur, si commun de nos jours, est conspué par M. Stevenson; celui-ci repousse avec énergie l'intérêt malsain qui s'attache au crime politique, il vénère les agents de police et leur dédie son livre, il fait grand cas de l'autorité; par la bouche de son personnage favori, le prince Florizel, resté fidèle au rôle de bon génie derrière un comptoir de marchand de tabac, il déclare que l'homme est un diable faiblement lié par quelques croyances, quelques obligations indispensables, et qu'aucun mot sonore, qu'aucun raisonnement spécieux ne le déciderait à relâcher ces liens. On voit que, pour un romancier dans le mouvement, M. Stevenson a des principes vieux style.

      Dans Prince Otto, où les questions philosophiques et politiques s'entremêlent à beaucoup de paradoxes, l'auteur de New Arabian Nights nous prouve qu'il a lu Candide et qu'il se souvient aussi d'Offenbach. Vous chercheriez en vain sur une carte la principauté de Grünewald, bien que sa situation soit indiquée entre le grand-duché aujourd'hui éteint de Gerolstein et la Bohême maritime. En revanche, le nom du premier ministre, Gondremark, vous rappelle un acteur de la Vie parisienne. Dans ce badinage sérieux, un peu trop délayé, on voit le prince Othon, un gentil prince en porcelaine de Saxe, mériter le mépris de ses peuples par sa conduite indigne d'un souverain, la conduite pourtant d'un galant homme très chevaleresque, mais trop épris de la chasse, des petits vers français et d'une jeune épouse ambitieuse, qui, finalement, prête les mains à son incarcération dans une forteresse, pour être plus libre de jouer le rôle de Catherine II ou de Sémiramis. Vous y verrez aussi comment les témoignages d'héroïsme de la jolie Séraphine se bornent à un coup de couteau donné au premier ministre, qui, jaloux de gouverner en son nom, voudrait être un favori dans toute la force du terme, et comment la proclamation de la république met fin, soudain, à ces complots de cour, à ces intrigues, à ces drames secrets; comment le prince et la princesse fugitifs et dépossédés, à pied, sans le sou, se rencontrent dans la campagne, oublient leurs désastres, leurs grandeurs, et se mettent tout simplement à s'aimer, ravis, en somme, de cette chute qui les a jetés aux bras l'un de l'autre pour jamais. Ceux-ci ne vendront pas du tabac, ils feront de la littérature en collaboration; un recueil des plus médiocres a paru sous le titre «Poésies, par Frédéric et Amélie.»

      La réconciliation de leurs altesses sur le grand chemin est un des rares duos d'amour que nous ayons rencontrés au cours des romans

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