Nouvelles mille et une nuits. Robert Louis Stevenson

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Nouvelles mille et une nuits - Robert Louis Stevenson

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est malade, lui aussi», commence Utterson.

      À ce nom, la figure de Lanyon s'altère davantage encore; il lève une main tremblante:

      «Que je n'entende plus parler du docteur Jekyll, dit-il avec emportement. Il est mort pour moi.

      —Vous lui en voulez encore? s'écrie Utterson étonné. Songez que nous sommes trois bien vieux amis, Lanyon, et que les intimités de jeunesse ne se remplacent pas.

      —Inutile d'insister. Demandez-lui plutôt à lui-même....

      —Mais il ne veut pas me recevoir....

      —Cela ne m'étonne pas! Un jour ou l'autre, quand je ne serai plus, vous apprendrez la vérité. Jusque-là, qu'il ne soit jamais question entre nous d'un sujet que j'abhorre.»

      Utterson demande par écrit des explications à Jekyll; une réponse très embrouillée lui parvient, dans laquelle le docteur exprime son intention de se condamner désormais à une retraite absolue.

      Que faut-il supposer? Quelle catastrophe a donc pu survenir? L'idée de la folie se présente de nouveau à l'esprit du notaire; les paroles de Lanyon impliqueraient cependant tout autre chose. Il voudrait interroger de nouveau le vieux savant, mais il n'en a pas l'occasion, car, en une quinzaine de jours, cet homme d'une si haute valeur morale et intellectuelle succombe. Il laisse à Utterson un paquet scellé qui ne doit être ouvert par lui qu'après la disparition du docteur Jekyll. Pour la seconde fois, ce mot de disparition, déjà tracé dans le testament, se trouve accouplé au nom de Jekyll. Utterson contient à grand-peine sa curiosité, mais le respect qu'il doit à la volonté expresse d'un mourant le décide à laisser dormir les papiers dans un tiroir....

      Souvent il va prendre des nouvelles du docteur. Le fidèle Poole lui dit toujours que son maître ne sort plus de ce cabinet mystérieux, au-dessus du laboratoire, qu'il ne parle guère, ne lit plus et paraît absorbé dans de tristes pensées. Un jour, Utterson s'avise de pénétrer dans la cour sur laquelle donnent les trois fenêtres grillées, afin d'entrevoir au moins le prisonnier volontaire. L'une de ces fenêtres est ouverte; le docteur, assis auprès, l'air souffrant, accablé, aperçoit son ami et consent à échanger de loin quelques mots avec lui. Mais, tout à coup, une expression de terreur et de désespoir, une expression qui glace le sang dans les veines du notaire, passe sur son visage, et la fenêtre se reforme brusquement.

      À peu de temps de là, M. Utterson reçoit la visite de Poole épouvanté. Le vieux serviteur le conjure de venir s'assurer par lui-même de ce qui se passe. Il ne peut plus porter seul le poids d'une pareille responsabilité. Tout le monde a peur dans la maison.

      En effet, quand Utterson pénètre chez le docteur, les autres domestiques sont réunis tremblants, effarés, dans le vestibule, et on lui fait de sinistres rapports. À la suite de Poole, il se dirige vers le pavillon où s'est retranché Jekyll et monte l'escalier qui conduit au fameux cabinet.

      «Marchez aussi doucement que possible et puis écoutez; mais qu'il ne vous entende pas», dit Poole, sans que le notaire puisse rien comprendre à cette étrange recommandation.

      Il annonce, par le trou de la serrure, M. Utterson.

      Une voix plaintive répond du dedans:

      «Je ne peux voir personne.»

      Et Poole, d'un air triomphant, reprend tout bas:

      «Eh bien, monsieur, dites si c'est vraiment la voix de mon maître?

      —Elle est bien changée, en effet.

      —Changée? On n'a pas été vingt ans dans la maison d'un homme pour ne pas reconnaître sa voix. Non, monsieur, mon maître a disparu; dites-moi maintenant qui est là, à sa place?»

      En parlant, il a entraîné M. Utterson dans une chambre écartée où nul ne peut épier leur conciliabule.

      «Toute cette dernière semaine, celui qui hante le cabinet a demandé je ne sais quel médicament. Mon maître faisait cela quelquefois. Il écrivait son ordonnance, puis jetait la feuille de papier sur l'escalier. Depuis huit jours nous n'avons vu de lui que cela... des papiers. Il était enfermé; les repas mêmes devaient être laissés à la porte. Eh bien, tous les jours, deux ou trois fois par jour, il y avait des ordonnances sur l'escalier, et je devais courir chez tous les chimistes de la ville; et chaque fois que j'avais apporté la drogue, un nouveau papier me commandait de la rendre, parce qu'elle n'était pas pure, et de chercher ailleurs. On a terriblement besoin de cette drogue-là, monsieur...»

      L'un des papiers est resté dans la poche de Poole. Jekyll y a tracé les lignes suivantes:

      «Le docteur Jekyll affirme à MM. *** que leur dernier envoi n'a pu servir. En 18... il leur avait acheté une quantité considérable de cette même poudre. Il les prie de chercher avec un soin extrême et de lui en envoyer de la même qualité, à tout prix.»

      Jusque-là, l'écriture est assez régulière; mais, à la fin, la plume a craché, comme si une émotion trop forte brisait toutes les digues.

      «Pour l'amour de Dieu, trouvez-m'en de l'ancienne!»

      «Ceci est assurément l'écriture du docteur, dit Utterson.

      —En effet, répond Poole; mais, peu importe son écriture, je l'ai vu....

      —Qui donc?

      —Je l'ai surpris un jour qu'il était sorti du cabinet et ne se croyait pas observé. Ce n'a été qu'une minute; il s'est sauvé avec une espèce de cri; mais je savais à quoi m'en tenir, et mes cheveux se sont hérissés de crainte. Pourquoi mon maître aurait-il eu un masque sur la figure et pourquoi aurait-il crié en s'enfuyant à ma vue?

      —Je crois que je devine, dit Utterson. Mon pauvre ami est atteint, sans doute, d'une maladie qui le défigure autant qu'elle le fait souffrir, et qu'il veut dérober à tous les yeux. De là ce masque qu'il porte pour dissimuler quelque plaie affreuse, de là l'extraordinaire altération de sa voix et l'impatience qu'il a de trouver un remède qui puisse le soulager.

      —Non, monsieur, dit Poole résolument, cet être-là n'était pas mon maître; mon maître est grand, solide, celui-là n'était guère qu'un nain. Parbleu! depuis vingt ans, je le connais assez, mon maître! Non, l'homme au masque n'était pas le docteur, et, si vous voulez que je vous dise ce que je crois, un meurtre a été commis.

      —Puisque vous parlez ainsi, Poole, mon devoir est de m'assurer des faits. J'enfoncerai cette porte.»

      Les deux hommes se munissent d'une hache et d'un tisonnier; ils envoient un valet de pied robuste garder la porte du laboratoire. Une dernière fois, Utterson écoute. Le bruit d'un pas léger se fait à peine entendre sur le tapis.

      «Tout le jour et une bonne partie de la nuit, il marche ainsi de long en large, dit le vieux domestique; une mauvaise conscience ne se repose pas. Et une fois... une fois, j'ai entendu qu'il pleurait.... On aurait dit une femme ou une âme en peine. Je ne sais quel poids m'est tombé sur le cœur. J'aurais pleuré aussi.»

      Le moment est venu d'agir.

      «Jekyll, crie Utterson d'une voix forte, je demande à vous voir.»

      Pas de réponse.

      «Je

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