La comtesse de Rudolstadt. George Sand
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Читать онлайн книгу La comtesse de Rudolstadt - George Sand страница 15
—Vous n'avez pas le sens commun, ma chère.
—Raison de plus, Sire!
—Vous resterez,» reprit-il en la forçant de se rasseoir devant le piano, et en se plaçant debout vis-à-vis d'elle.
Et il ajouta en l'examinant d'un air moitié père, moitié inquisiteur:
«Est-ce vrai, tout ce que vous venez de me conter là!»
La Porporina surmonta l'horreur qu'elle avait pour le mensonge. Elle s'était dit souvent qu'elle serait sincère sur son propre compte avec cet homme terrible, mais qu'elle saurait mentir s'il s'agissait jamais du salut de ses victimes. Elle se voyait arrivée inopinément à cet instant de crise où la bienveillance du maître pouvait se changer en fureur. Elle en eût fait volontiers le sacrifice plutôt que de descendre à la dissimulation; mais le sort de Trenck et celui de la princesse reposaient sur sa présence d'esprit et sur son intelligence. Elle appela l'art de la comédienne à son secours, et soutint avec un sourire malin le regard d'aigle du roi: c'était plutôt celui du vautour dans ce moment-là.
«Eh bien, dit le roi, pourquoi ne répondez-vous pas?
—Pourquoi Votre Majesté veut-elle m'effrayer en feignant de douter de ce que je viens de dire?
—Vous n'avez pas l'air effrayé du tout. Je vous trouve, au contraire, le regard bien hardi ce matin.
—Sire, on n'a peur que de ce qu'on hait. Pourquoi voulez-vous que je vous craigne?»
Frédéric hérissa son armure de crocodile pour ne pas être ému de cette réponse, la plus coquette qu'il eût encore obtenue de la Porporina. Il changea aussitôt de propos, suivant sa coutume, ce qui est un grand art, plus difficile qu'on ne pense.
«Pourquoi vous êtes-vous évanouie, hier soir, sur le théâtre?
—Sire, c'est le moindre souci de Votre Majesté, et c'est mon secret à moi.
—Qu'avez-vous donc mangé à votre déjeuner pour être si dégagée dans votre langage avec moi, ce matin?
—J'ai respiré un certain flacon qui m'a remplie de confiance dans la bonté et dans la justice de celui qui me l'avait apporté.
—Ah! vous avez pris cela pour une déclaration! dit Frédéric d'un ton glacial et avec un mépris cynique.
—Dieu merci, non! répondit la jeune fille avec un mouvement d'effroi très-sincère.
—Pourquoi dites-vous Dieu merci?
—Parce que je sais que Votre Majesté ne fait que des déclarations de guerre, même aux dames.
—Vous n'êtes ni la czarine, ni Marie-Thérèse; quelle guerre puis-je avoir avec vous?
—Celle que le lion peut avoir avec le moucheron.
—Et quelle mouche vous pique, vous, de citer une pareille fable? Le moucheron fit périr le lion à force de le harceler.
—C'était sans doute un pauvre lion, colère et par conséquent faible. Je n'ai donc pu penser à cet apologue.
—Mais le moucheron était âpre et piquant. Peut-être que l'apologue vous sied bien!
—Votre Majesté le pense?
—Oui.
—Sire, vous mentez?»
Frédéric prit le poignet de la jeune fille, et le serra convulsivement jusqu'à le meurtrir. Il y avait de la colère et de l'amour dans ce mouvement bizarre. La Porporina ne changea pas de visage, et le roi ajouta en regardant sa main rouge et gonflée: «Vous avez du courage!
—Non, Sire, mais je ne fais pas semblant d'en manquer comme tous ceux qui vous entourent.
—Que voulez-vous dire?
—Qu'on fait souvent le mort pour n'être pas tué. A votre place, je n'aimerais pas qu'on me crût si terrible.
—De qui êtes-vous amoureuse? dit le roi changeant encore une fois de propos.
—De personne, Sire.
—Et en ce cas, pourquoi avez-vous des attaques de nerfs?
—Cela n'intéresse point le sort de la Prusse, et par conséquent le roi ne se soucie pas de le savoir.
—Croyez-vous donc que ce soit le roi qui vous parle?
—Je ne saurais l'oublier.
—Il faut pourtant vous y décider. Jamais le roi ne vous parlera; ce n'est pas au roi que vous avez sauvé la vie, Mademoiselle.
—Mais je n'ai pas retrouvé ici le baron de Kreutz.
—Est-ce un reproche? Il serait injuste. Le roi n'eût pas été hier s'informer de votre santé. Le capitaine Kreutz y a été.
—La distinction est trop subtile pour moi, monsieur le capitaine.
—Eh bien tâchez de l'apprendre. Tenez, quand je mettrai mon chapeau sur ma tête, comme cela, un peu à gauche, je serai le capitaine; et quand je le mettrai comme ceci, à droite, je serai le roi; et selon ce que je serai, vous serez Consuelo, ou mademoiselle Porporina.
—J'entends, Sire; eh bien, cela me sera impossible. Votre Majesté est libre d'être deux, d'être trois, d'être cent; moi je ne sais être qu'une.
—Vous mentez! vous ne me parleriez pas sur le théâtre devant vos camarades comme vous me parlez ici.
—Sire, ne vous y fiez pas!
—Ah ça, vous avez donc le diable au corps aujourd'hui?
—C'est que le chapeau de Votre Majesté n'est ni à droite ni à gauche, et que je ne sais pas à qui je parle.»
Le roi, vaincu par l'attrait qu'il éprouvait, dans ce moment surtout, auprès de la Porporina, porta la main à son chapeau d'un air de bonhomie enjouée, et le mit sur l'oreille gauche avec tant d'exagération, que sa terrible figure en devint comique. Il voulait faire le simple mortel et le roi en vacances autant que possible; mais tout d'un coup, se rappelant qu'il était venu là, non pour se distraire de ses soucis, mais pour pénétrer les secrets de l'abbesse de Quedlimburg, il ôta son chapeau tout à fait, d'un mouvement brusque et chagrin; le sourire expira sur ses lèvres, son front se rembrunit, et il se leva en disant à la jeune fille:
«Restez ici, je viendrai vous y reprendre.»
Et il passa dans la chambre de la princesse, qui l'attendait en tremblant. Madame de Kleist, l'ayant vu causer avec la Porporina, n'avait osé bouger d'auprès du lit de sa maîtresse. Elle avait fait de vains efforts pour entendre cet entretien; et, n'en pouvant saisir un mot à cause de la grandeur des appartements, elle était plus morte que vive.