La comtesse de Rudolstadt. George Sand
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Читать онлайн книгу La comtesse de Rudolstadt - George Sand страница 30
—Tu as pu en douter? Eh bien, il y a du bonheur à être folle; quant à moi, je n'espérais pas que Trenck sortirait des cachots de la Silésie, et pourtant cela était possible, et cela est!
—Si je vous disais, belle Amélie, toutes les suppositions auxquelles mon pauvre esprit se livrait, vous verriez que, malgré leur invraisemblance, elles n'étaient pas toutes impossibles. Par exemple, une léthargie..... Albert y était sujet... Mais je ne veux point rappeler ces conjectures insensées; elles me font trop de mal, maintenant que la figure que je prenais pour Albert est celle d'un chevalier d'industrie.
—Trismégiste n'est pas ce que l'on croit... Mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'il n'est pas le comte de Rudolstadt; car il y a plusieurs années que je le connais, et qu'il fait, en apparence du moins, le métier de devin. D'ailleurs il n'est pas si semblable au comte de Rudolstadt que tu te le persuades. Supperville, qui est un trop habile médecin pour faire enterrer un homme en léthargie, et qui ne croit pas aux revenants, a constaté des différences que ton trouble ne t'a pas permis de remarquer.
—Oh! je voudrais bien revoir ce Trismégiste! dit Consuelo d'un air préoccupé.
—Tu ne le verras peut-être pas de si tôt, répondit froidement la princesse. Il est parti pour Varsovie le jour même où tu l'as vu dans ce palais. Il ne reste jamais plus de trois jours à Berlin. Mais il reviendra à coup sûr dans un an.
—Et si c'était Albert!...» reprit Consuelo, absorbée dans une rêverie profonde.
La princesse haussa les épaules.
—Décidément, dit-elle, le sort me condamne à n'avoir pour amis que des fous ou des folles. Celle-ci prend mon sorcier pour son mari feu le chanoine de Kleist, celle-là, pour son défunt époux le comte de Rudolstadt: il est heureux pour moi d'avoir une tête forte, car je le prendrais peut-être pour Trenck, et Dieu sait ce qui en arriverait. Trismégiste est un pauvre sorcier de ne point profiter de toutes ces méprises! Voyons, Porporina, ne me regardez pas d'un air effaré et consterné, ma toute belle. Reprenez vos esprits. Comment supposez-vous que si le comte Albert, au lieu d'être mort, s'était réveillé d'une léthargie, une aventure si intéressante n'eût point fait de bruit dans le monde? N'avez-vous conservé aucune relation, d'ailleurs, avec sa famille, et ne vous en aurait-elle pas informée?
—Je n'en ai conservé aucune, répondit Consuelo. La chanoinesse Wenceslawa m'a écrit deux fois en un an pour m'annoncer deux tristes nouvelles: la mort de son frère aîné Christian, père de mon mari, qui a terminé sa longue et douloureuse carrière sans recouvrer la mémoire de son malheur; et la mort du baron Frédéric, frère de Christian et de la chanoinesse, qui s'est tué à la chasse, en roulant de la fatale montagne de Schreckenstein, au fond d'un ravin. J'ai répondu à la chanoinesse comme je le devais. Je n'ai pas osé lui offrir d'aller lui porter mes tristes consolations. Son cœur m'a paru, d'après ses lettres, partagé entre sa bonté et son orgueil. Elle m'appelait sa chère enfant, sa généreuse amie, mais elle ne paraissait désirer nullement les secours ni les soins de mon affection.
—Ainsi tu supposes qu'Albert, ressuscité, vit tranquille et inconnu au château des Géants, sans t'envoyer de billet de faire part, et sans que personne s'en doute hors de l'enceinte dudit château?
—Non, Madame, je ne le suppose pas; car ce serait tout à fait impossible, et je suis folle de vouloir en douter,» répondit Consuelo, en cachant dans ses mains son visage inondé de larmes.
La princesse semblait, à mesure que la nuit s'avançait, reprendre son mauvais caractère; le ton railleur et léger avec lequel elle parlait de choses si sensibles au cœur de Consuelo faisait un mal affreux à cette dernière.
«Allons, ne te désole pas ainsi, reprit brusquement Amélie. Voilà une belle partie de plaisir que nous faisons là! Tu nous a raconté des histoires à porter le diable en terre; de Kleist n'a pas cessé de pâlir et de trembler, je crois qu'elle en mourra de peur; et moi, qui voulais être heureuse et gaie, je souffre de te voir souffrir, ma pauvre enfant!...»
La princesse prononça ces dernières paroles avec le bon diapason de sa voix, et Consuelo, relevant la tête, vit qu'une larme de sympathie coulait sur sa joue, tandis que le sourire d'ironie contractait encore ses lèvres. Elle baisa la main que lui tendait l'abbesse, et la plaignit intérieurement de ne pouvoir pas être bonne pendant quatre heures de suite.
«Quelque mystérieux que soit ton château des Géants, ajouta la princesse, quelque sauvage que soit l'orgueil de la chanoinesse, et quelque discrets que puissent être ses serviteurs, sois sûre qu'il ne se passe rien là qui soit plus qu'ailleurs à l'abri d'une certaine publicité. On avait beau cacher la bizarrerie du comte Albert, toute la province a bientôt réussi à la connaître, et il y avait longtemps qu'on en avait parlé à la petite cour de Bareith, lorsque Supperville fut appelé pour soigner ton pauvre époux. Il y a maintenant dans cette famille un autre mystère qu'on ne cache pas avec moins de soin sans doute, et qu'on n'a pas préservé davantage de la malice du public. C'est la fuite de la jeune baronne Amélie, qui s'est fait enlever par un bel aventurier peu de temps après la mort de son cousin.
—Et moi, madame, je l'ai ignoré assez longtemps. Je pourrais vous dire même que tout ne se découvre pas dans ce monde; car jusqu'ici on n'a pas pu savoir le nom et l'état de l'homme qui a enlevé la jeune baronne, non plus que le lieu de sa retraite.
—C'est ce que Supperville m'a dit en effet. Allons, cette vieille Bohême est le pays aux aventures mystérieuses: mais ce n'est pas une raison pour que le comte Albert soit...
—Au nom du ciel, Madame, ne parlons plus de cela. Je vous demande pardon de vous avoir fatiguée de cette longue histoire, et quand Votre Altesse m'ordonnera de me retirer...
—Deux heures du matin! s'écria madame de Kleist, que le son lugubre de l'horloge du château fit tressaillir.
—En ce cas, il faut nous séparer, mes chères amies, dit la princesse en se levant; car ma sœur d'Anspach va venir dès sept heures me réveiller pour m'entretenir des fredaines de son cher margrave qui est revenu de Paris dernièrement, amoureux fou de mademoiselle Clairon. Ma belle Porporina, c'est vous autres reines de théâtre qui êtes reines du monde par le fait, comme nous le sommes par le droit, et votre lot est le meilleur. Il n'est point de tête couronnée que vous ne puissiez nous enlever quand il vous en prend fantaisie, et je ne serais pas étonnée de voir un jour mademoiselle Hippolyte Clairon, qui est une fille d'esprit, devenir margrave d'Anspach, en concurrence avec ma sœur, qui est une bête. Allons, donne-moi une pelisse, de Kleist, je veux vous reconduire jusqu'au bout de la galerie.
—Et Votre Altesse reviendra seule? dit madame de Kleist, qui paraissait fort troublée.
—Toute seule, répondit Amélie, et sans aucune crainte du diable et des farfadets qui tiennent pourtant cour plénière dans le château depuis quelques nuits, à ce qu'on assure. Viens, viens, Consuelo! nous allons voir la belle peur de madame de