La comtesse de Rudolstadt. George Sand

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La comtesse de Rudolstadt - George Sand

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énigmes, et je me croyais bien tranquille; mais, au même instant, nous rencontrons, ou du moins nous entendons la balayeuse fantastique, qui se promène dans ce château du doute, dans cette forteresse de l'incrédulité, aussi tranquillement qu'elle l'eût fait il y a deux cents ans. Je me débarrasse de la frayeur que me causait Cagliostro, et voici un autre magicien qui parait encore mieux instruit de mes affaires. Que ces devins tiennent registre de tout ce qui concerne la vie des rois et des personnages puissants ou illustres, je le conçois; mais que moi, pauvre fille humble et discrète, je ne puisse dérober aucun fait de ma vie à leurs investigations, voilà qui me confond et m'inquiète malgré moi. Allons, suivons le conseil de la princesse. Comptons que l'avenir expliquera encore ce prodige, et, en attendant, abstenons-nous de juger. Ce qu'il y aurait de plus extraordinaire peut-être dans celui-ci, c'est que la visite du roi, prédite par M. de Saint-Germain, eût lieu effectivement demain. Ce sera la troisième fois seulement que le roi sera venu chez moi. Ce M. de Saint-Germain serait-il son confident? On dit qu'il faut se méfier surtout de ceux qui parlent mal du maître. Je tâcherai de ne pas l'oublier.»

      Le lendemain, à une heure précise, une voiture sans livrée et sans armoiries entra dans la cour de la maison qu'habitait la cantatrice, et le roi, qui l'avait fait prévenir, deux heures auparavant, d'être seule et de l'attendre, pénétra dans ses appartements le chapeau sur l'oreille gauche, le sourire sur les lèvres, et un petit panier à la main.

      «Le capitaine Kreutz vous apporte des fruits de son jardin, dit-il. Des gens malintentionnés prétendent que cela vient des jardins de Sans-Souci, et que c'était destiné au dessert du roi. Mais le roi ne pense point à nous, Dieu merci, et le petit baron vient passer une heure ou deux avec sa petite amie.»

      Cet agréable début, au lieu de mettre Consuelo à son aise, la troubla étrangement. Depuis qu'elle conspirait contre sa volonté en recevant les confidences de la princesse Amélie, elle ne pouvait plus braver avec une impassible franchise le royal inquisiteur. Il eût fallu désormais le ménager, le flatter peut-être, détourner ses soupçons par d'adroites agaceries. Consuelo sentait que ce rôle ne lui convenait pas, quelle le jouerait mal, surtout s'il était vrai que Frédéric eût du goût pour elle, comme on disait à la cour, où l'on eût cru rabaisser la majesté royale en se servant du mot d'amour à propos d'une comédienne. Inquiète et troublée, Consuelo remercia gauchement le roi de l'excès de ses bontés, et tout aussitôt la physionomie du roi changea, et devint aussi morose qu'elle s'était annoncée radieuse.

      «Qu'est-ce, dit-il brusquement en fronçant le sourcil. Avez-vous de l'humeur? êtes-vous malade? pourquoi m'appelez-vous sire? Ma visite vous dérange de quelque amourette?

      —Non, Sire, répondit la jeune fille en reprenant la sérénité de la franchise. Je n'ai ni amourette ni amour.

      —A la bonne heure! Quand cela serait, après tout, que m'importe? mais j'exigerais que vous m'en fissiez l'aveu.

      —L'aveu? M. le capitaine veut dire la confidence, sans doute?

      —Expliquez la distinction.

      —Monsieur le capitaine la comprend de reste.

      —Comme vous voudrez; mais distinguer n'est pas répondre. Si vous étiez amoureuse, je voudrais le savoir.

      —Je ne comprends pas pourquoi.

      —Vous ne le comprenez pas du tout? regardez-moi donc en face. Vous avez le regard bien vague aujourd'hui!

      —Monsieur le capitaine, il me semble que vous voulez singer le roi. On dit, que quand il interroge un accusé, il lui lit dans le blanc des yeux. Croyez-moi, ces façons-là ne vont qu'à lui; et encore, s'il venait chez moi pour me les faire subir, je le prierais de retourner à ses affaires.

      —C'est cela; vous lui diriez: «Va te promener, Sire.»

      —Pourquoi non? La place du roi est sur son cheval ou sur son trône, et s'il avait le caprice de venir chez moi, je serais en droit de ne pas le souffrir maussade.

      —Vous auriez raison; mais dans tout cela vous ne me répondez pas. Vous ne voulez pas me prendre pour le confident de vos prochaines amours?

      —Il n'y a point de prochaines amours pour moi, je vous l'ai dit souvent, baron.

      —Oui, en riant, parce que je vous interrogeais de même; mais si je parle sérieusement à cette heure?

      —Je réponds de même.

      —Savez-vous que vous êtes une singulière personne?

      —Pourquoi cela?

      —Parce que vous êtes la seule femme de théâtre qui ne soit pas occupée de belles passions ou de galanterie.

      —Vous avez une mauvaise idée des femmes de théâtre, monsieur le capitaine!

      —Non! j'en ai connu de sages; mais elles visaient à de riches mariages, et vous, on ne sait à quoi vous songez.

      —Je songe à chanter ce soir.

      —Ainsi vous vivez au jour le jour?

      —Désormais, je ne vis pas autrement.

      —Il n'en a donc pas été toujours ainsi?

      —Non, Monsieur.

      —Vous avez aimé?

      —Oui, Monsieur.

      —Sérieusement.

      —Oui, Monsieur.

      —Et longtemps?

      —Oui, Monsieur.

      —Et qu'est devenu votre amant?

      —Mort!

      —Mais vous en êtes consolée?

      —Non.

      —Oh! vous vous en consolerez bien?

      —Je crains que non.

      —Cela est étrange. Ainsi, vous ne voulez pas vous marier.

      —Jamais.

      —Et vous n'aurez pas d'amour?

      —Jamais.

      —Pas même un ami?

      —Pas même un ami comme l'entendent les belles dames.

      —Bast, si vous alliez à Paris, et que le roi Louis XV, ce galant chevalier...

      —Je n'aime pas les rois, monsieur le capitaine, et je déteste les rois galants.

      —Ah! je comprends; vous aimez mieux les pages. Un joli cavalier, comme Trenck, par exemple!

      —Je n'ai jamais songé à sa figure.

      —Et cependant vous avez conservé des relations avec lui!

      —Si cela était, elles seraient de pure et honnête amitié.

      —Vous

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