La comtesse de Rudolstadt. George Sand

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La comtesse de Rudolstadt - George Sand

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      «Vous êtes un si bon chrétien, dit le roi, que cela ne m'étonne point de vous.»

      Poelnitz avait changé trois ou quatre fois de religion, du matin au soir, pour postuler des bénéfices et des places dont le roi l'avait leurré par forme de plaisanterie.

      «Votre anecdote traîne partout, dit d'Argens au baron, et ce n'est qu'une facétie. J'en ai entendu de meilleures; et ce qui rend, à mes yeux, ce comte de Saint-Germain un personnage intéressant et remarquable, c'est la quantité d'appréciations tout à fait neuves et ingénieuses au moyen desquelles il explique des événements restés à l'état de problèmes fort obscurs dans l'histoire. Sur quelque sujet et sur quelque époque qu'on l'interroge, on est surpris, dit-on, de le voir connaître ou de lui entendre inventer une foule de choses vraisemblables, intéressantes, et propres à jeter un nouveau jour sur les faits les plus mystérieux.

      —S'il dit des choses vraisemblables, observa Algarotti, il faut que ce soit un homme prodigieusement érudit et doué d'une mémoire extraordinaire.

      —Mieux que cela! dit le roi. L'érudition ne suffit pas pour expliquer l'histoire. Il faut que cet homme ait une puissante intelligence et une profonde connaissance du cœur humain. Reste à savoir si cette belle organisation a été faussée par le travers de vouloir jouer un rôle bizarre, en s'attribuant une existence éternelle et la mémoire des événements antérieures à sa vie humaine; ou si, à la suite de longues études et de profondes méditations, le cerveau s'est dérangé, et s'est laissé frapper de monomanie.

      —Je puis au moins, dit Poelnitz, garantir à Votre Majesté la bonne foi et la modestie de notre homme. On ne le fait pas parler aisément des choses merveilleuses dont il croit avoir été témoin. Il sait qu'on l'a traité de rêveur et de charlatan, et il en paraît fort affecté; car maintenant il refuse de s'expliquer sur sa puissance surnaturelle.

      —Eh bien, Sire, est-ce que vous ne mourez pas d'envie de le voir et de l'entendre? dit La Mettrie. Moi j'en grille.

      —Comment pouvez-vous être curieux de cela? reprit le roi. Le spectacle de la folie n'est rien moins que gai.

      —Si c'est de la folie, d'accord; mais si ce n'en est pas?

      —Entendez-vous, Messieurs, reprit Frédéric; voici l'incrédule, l'athée par excellence, qui se prend au merveilleux, et qui croit déjà à l'existence éternelle de M. de Saint-Germain! Au reste, cela ne doit pas étonner, quand on sait que La Mettrie a peur de la mort, du tonnerre et des revenants.

      —Des revenants, je confesse que c'est une faiblesse, dit La Mettrie; mais du tonnerre et de tout ce qui peut donner la mort, je soutiens que c'est raison et sagesse. De quoi diable aura-t-on peur, je vous le demande, si ce n'est de ce qui porte atteinte à la sécurité de l'existence?

      —Vive Panurge, dit Voltaire.

      —J'en reviens à mon Saint-Germain, reprit La Mettrie; messire Pantagruel devrait l'inviter à souper demain avec nous.

      —Je m'en garderai bien, dit le roi; vous êtes assez fou comme cela, mon pauvre ami, et il suffirait qu'il eût mis le pied dans ma maison pour que les imaginations superstitieuses, qui abondent autour de nous, rêvassent à l'instant cent contes ridicules qui auraient bientôt fait le tour de l'Europe. Oh! la raison, mon cher Voltaire, que son règne nous arrive! voilà la prière qu'il faut faire chaque soir et chaque matin.

      —La raison, la raison! dit La Mettrie, je la trouve séante et bénévole quand elle me sert à excuser et à légitimer mes passions, mes vices... ou mes appétits... donnez-leur le nom que vous voudrez! mais quand elle m'ennuie, je demande à être libre de la mettre à la porte. Que diable! je ne veux pas d'une raison qui me force à faire le brave quand j'ai peur, le stoïque quand je souffre, le résigné quand je suis en colère... Foin d'une pareille raison! ce n'est pas la mienne, c'est un monstre, une chimère de l'invention de ces vieux radoteurs de l'antiquité que vous admirez tous, je ne sais pas pourquoi. Que son règne n'arrive pas! je n'aime pas les pouvoirs absolus d'aucun genre, et si l'on voulait me forcer à ne pas croire en Dieu, ce que je fais de bonne grâce et de tout mon cœur, je crois que, par esprit de contradiction, j'irais tout de suite à confesse.

      —Oh! vous êtes capable de tout, on le sait bien, dit d'Argens, même de croire à la pierre philosophale du comte de Saint-Germain.

      —Et pourquoi non? ce serait si agréable et j'en aurais tant besoin!

      —Ah! pour celle-là, s'écria Poelnitz en secouant ses poches vides et muettes, et en regardant le roi d'un air expressif, que son règne arrive au plus tôt! c'est la prière que tous les matins et tous les soirs...

      —Oui da! interrompit Frédéric, qui faisait toujours la sourde oreille à cette sorte d'insinuation; ce monsieur Saint-Germain donne aussi dans le secret de faire de l'or? Vous ne me disiez pas cela!

      —Or donc, permettez-moi de l'inviter à souper demain de votre part, dit La Mettrie; car m'est d'avis qu'un peu de son secret ne vous ferait pas de peine non plus, sire Gargantua! Vous avez de grands besoins et un estomac gigantesque, comme roi et comme réformateur.

      —Tais-toi, Panurge, répondit Frédéric. Ton Saint-Germain est jugé maintenant. C'est un imposteur et un impudent que je vais faire surveiller d'importance, car nous savons qu'avec ce beau secret-là on emporte plus d'argent d'un pays qu'on n'y en laisse. Eh! Messieurs, ne vous souvient-il déjà plus du grand nécromant Cagliostro, que j'ai fait chasser de Berlin, à bon escient, il n'y a pas plus de six mois?

      —Et qui m'a emporté cent écus, dit La Mettrie; que le diable les lui reprenne!

      —Et qui les aurait emportés à Poelnitz, s'il les avait eus, dit d'Argens.

      —Vous l'avez fait chasser, dit La Mettrie à Frédéric, et il vous a joué un bon tour, pas moins!

      —Lequel?

      —Ah! vous ne le savez pas! Eh bien, je vais vous régaler d'une histoire.

      —Le premier mérite d'une histoire est d'être courte, observa le roi.

      —La mienne n'a que deux mots. Le jour où Votre Majesté pantagruélique ordonna au Sublime Cagliostro de remballer ses alambics, ses spectres et ses démons, il est de notoriété publique qu'il sortit en personne dans sa voiture, à midi sonnant, par toutes les portes de Berlin à la fois. Oh! cela est attesté par plus de vingt mille personnes. Les gardiens de toutes les portes l'ont vu, avec le même chapeau, la même perruque, la même voiture, le même bagage, le même attelage; et jamais vous ne leur ôterez de l'esprit qu'il y a eu, ce jour-là, cinq ou six Cagliostro sur pied.»

      Tout le monde trouva l'histoire plaisante. Frédéric seul n'en rit pas. Il prenait au sérieux les progrès de sa chère raison, et la superstition, qui donnait tant d'esprit et de gaîté à Voltaire, ne lui causait qu'indignation et dépit.

      «Voilà le peuple, s'écria-t-il en haussant les épaules; ah! Voltaire, voilà le peuple! et cela dans le temps que vous vivez, et que vous secouez sur le monde la vive lumière de votre flambeau! On vous a banni, persécuté, combattu de toutes manières, et Cagliostro n'a qu'à se montrer pour fasciner des populations! Peu s'en faut qu'on ne le porte en triomphe!

      —Savez-vous bien, dit La Mettrie que vos plus grandes dames croient à Cagliostro tout autant que les bonnes femmes des carrefours? apprenez que c'est d'une des plus belles de votre cour que je tiens cette aventure.

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