Maman Léo. Paul Feval

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Maman Léo - Paul  Feval

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      —Ne peuvent-ils agir sans elle?

      —Attendez; voici quelque chose qui va vous étonner plus que tout le reste; ils sont en correspondance...

      —Qui donc? balbutia la veuve stupéfaite.

      —Les deux tourtereaux.

      —Maurice et Valentine! Lui, du fond de sa prison; elle, entourée comme vous me la montrez, malade, privée de raison!...

      —Est-ce assez drôle? demanda M. Constant d'un air bonhomme. Comment ça se fait, moi, vous comprenez, je n'en sais rien, mais c'est comme ça, et nous le tenons d'elle-même.

      —Il faut donc qu'il y ait dans l'établissement du Dr Samuel des employés qui...

      —Sans doute, sans doute, bonne dame, ce ne sont pas des pigeons voyageurs qui portent leurs messages; mais leurs messages vont et viennent, et notre chère malade a formellement déclaré ceci: «À nous deux, nous n'avons qu'un cœur. Tant que je ne voudrai pas, Maurice ne voudra pas.»

      Du revers de sa main, Mme Samayoux essuya une grosse larme qui roulait sur sa joue.

      —L'homme de loi, reprit M. Constant, a voulu plaider auprès d'elle. Il a démontré clair comme le jour non seulement que Maurice serait pour le moins condamné à perpétuité, mais encore qu'une fois la chose faite il n'y aurait plus à y revenir à cause des difficultés posées par la loi française à la révision des procès criminels. Il a cité Lesurques et bien d'autres, mais rien n'y a fait, parce que la petite avait son idée. J'abrège, maintenant. On l'a recouchée, bien entendu, et le conseil de famille s'est réuni à un autre étage. Là, pendant que la marquise se tordait les mains et que les autres jetaient leur langue aux chiens, le colonel, qui est fin comme l'ambre, a ouvert tout doucement l'avis de vous faire chercher et de vous employer à persuader la petite.

      —Ah! fit Mme Samayoux étonnée elle-même du mouvement de défiance qui la prenait.

      —Il a semblé que c'était de la manne dans le désert, poursuivit M. Constant; tous ceux qui étaient là avaient saisi maintes fois votre nom sur les lèvres de la chère enfant. On savait en outre de quelle affection vous entourez le lieutenant Maurice Pagès. Séance tenante, on m'a dépêché sur vos traces, qui n'étaient pas des plus aisées à trouver, soit dit sans reproche; mais enfin je vous ai rencontrée, vous voilà suffisamment renseignée sur ce qui se passe là-bas: voulez-vous être l'auxiliaire d'une noble et malheureuse famille qui cherche à sauver son enfant?

      La veuve fut quelque temps avant de répondre. Elle songeait.

      —Verrai-je Valentine sans témoin? demanda-t-elle enfin.

      —Ah! bonne dame, répliqua M. Constant avec effusion, vous ne feriez pas des questions pareilles si vous connaissiez tout ce monde-là! Venez d'abord. Si quelque chose vous chiffonne, exigez des explications sans vous gêner, on vous les donnera. Exigez un tête-à-tête avec la demoiselle, ils s'en iront tous comme des enfants qu'on renvoie. Mais venez, parce que, vous concevez, je ne suis pas le maître, et la famille seule peut vous dire ce que vous aurez à faire quand on vous enverra auprès du lieutenant.

      —Je verrais Maurice! s'écria la veuve, dont les deux mains s'appuyèrent d'elles-mêmes contre son cœur.

      —Ça va de soi, puisque vous serez notre intermédiaire. Vous demanderez vous-même le laissez-passer, c'est la règle, mais on fera le nécessaire pour que vous n'ayez pas de refus.

      Mme Samayoux s'était levée, mais elle jeta un regard hésitant sur le sans-façon excentrique de sa toilette.

      —Que cela ne vous arrête pas! dit M. Constant.

      La veuve se redressa de toute sa hauteur.

      —Vous avez raison, dit-elle, saquédié! je suis ce que je suis. Ceux qui ne font pas de mal n'ont pas de honte. Marchons!

      En sortant de la baraque par la porte de derrière, Mme Samayoux ouvrait la bouche pour appeler Échalot, lorsqu'elle aperçut le pauvre diable se promenant de long en large à pas précipités dans la neige et battant des bras pour se réchauffer.

      —Garçon, lui dit-elle, vous allez rentrer et garder la baraque.

      L'espoir d'Échalot avait été de parler à la dompteuse tout de suite après le départ de M. Constant. La vue de ce dernier qui s'était mis au-devant de la porte et qui nouait autour de son cou son grand cache-nez causa à notre ami un sensible désappointement.

      —Est-ce que vous allez sortir à cette heure-ci, patronne? demanda-t-il en s'approchant, par le temps qu'il fait, avec quelqu'un que vous ne connaissez pas?

      La dompteuse se mit à rire.

      —As-tu peur qu'on ne m'affronte, l'enflé? dit-elle.

      —Saperlote! ajouta l'officier de santé, je ne me risquerais pas à ce jeu-là.

      Sans y mettre aucune affectation, il barra le passage à Échalot, s'arrangeant toujours de manière à rester entre lui et la veuve.

      —Je reviendrai de bonne heure, reprit celle-ci. À mesure que les autres rentreront, qu'ils se couchent, et qu'on ne me brûle pas de chandelle!

      Elle prit le bras que lui offrait M. Constant et traversa ainsi toute la largeur de la baraque pour gagner l'autre porte qui donnait du côté de la rue Saint-Denis. Échalot suivait la tête basse.

      —Et où allez-vous, patronne? demanda-t-il au moment où elle passait le seuil.

      —Si on te le demande, repartit la veuve gaiement, tu répondras que j'ai oublié de te le dire.

      —C'est que j'aurais bien voulu vous causer deux mots..., commença Échalot.

      Mais le couple s'éloignait déjà rapidement.

      —Allons-nous jusqu'au bureau d'omnibus de Saint-Eustache? demanda la dompteuse.

      —J'ai la voiture de Mme la marquise, répondit M. Constant, qui s'arrêta devant le coupé.

      —Holà, bonhomme! ajouta-t-il en tirant le cocher par son carrick, éveille-toi et mène-nous rondement.

      La voiture s'ébranla.

      Échalot ne fit qu'un bond jusqu'au tas de paille où le petit Saladin dormait, auprès du lion malade; il prit l'enfant et le fourra tout d'un temps dans sa gibecière, dont il passa la courroie autour de son cou.

      —Quand je devrais y perdre ma rate, pensait-il, je vas les suivre. J'ai voué mon existence à Léocadie jusqu'à la mort, sans espoir de lui plaire, et je veux la secourir au milieu de ses dangers, puisque je n'ai pas eu assez d'atout pour saisir l'opportunité de l'avertir.

      Quand il arriva de nouveau à la galerie, la voiture avait disparu.

      Il descendit les degrés en courant, mais il ne fit pas plus d'une dizaine de pas et s'arrêta pour dire à Saladin, qui hurlait dans la gibecière:

      —Tu as raison, quoi! C'est encore une inconséquence que j'ai commise de t'éveiller

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