Le tour de France en aéroplane. H. de Graffigny
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Tels sont les personnages que nous avons mis en scène et que nous retrouvons, le 26 août au soir, dans un salon particulier de l'Universelle, le grand établissement de Reims, à la fois brasserie et music-hall. Au milieu d'un groupe d'auditeurs, Réviliod pérorait:
—Non, messieurs, disait-il de sa voix sèche et coupante, l'aéroplane n'est pas encore au point, voyez-vous, et il faut que les concurrents soient diantrement alléchés par l'importance des prix offerts pour se risquer comme ils l'ont fait depuis trois jours. Mais gare aux accidents!...
—Espérons que vos pronostics ne se réaliseront pas!... répliqua l'ingénieur Georges Damblin qui écoutait. S'il s'en produisait malgré tout, il ne faudrait toutefois pas triompher et croire pour cela que l'aviation n'a aucun avenir! Ce serait simplement la rançon du progrès qui veut que chaque amélioration se paie d'une façon ou de l'autre.
L'orateur se tourna vers son contradicteur.
—Voyons, mon cher Damblin, fit-il cordialement, vous ne pouvez cependant pas, vous qui êtes ingénieur et avez suivi la question de près, accorder à l'aéroplane le moindre intérêt pratique!... A quoi cela rime-t-il, ces évolutions en rond autour de pylônes plantés sur une piste bien aplanie?... Je comprends mieux les voyages de ville à ville de Farman, de Santos-Dumont et la traversée du Pas-de-Calais par Blériot. Mais voulez-vous bien me dire à quoi ces oiseaux si fragiles peuvent être utiles?... Non, non, mon cher ami, je vous le répète encore une fois, ce n'est pas dans cette voie qu'il faut chercher, en dépit de la réussite momentanée de ces espèces de skis aériens que sont les aéroplanes. La solution de la locomotion aérienne sera trouvée dans une tout autre voie, croyez-moi.
A ce moment, une rumeur se fit entendre dans la grande salle du rez-de-chaussée. Les jeunes gens prêtèrent l'oreille.
Au même instant, la bonne face réjouie de la Providence des inventeurs, René de Médouville, s'encadra dans l'entre-bâillement de la porte.
—Ne vous effrayez pas, dit-il, ce sont les admirateurs des hommes volants qui font une ovation à Lefebvre et à Curtis, qui ont été reconnus parmi les consommateurs. Ça doit être quelquefois bien gênant d'être célèbre!...
—Aussi t'efforces-tu de le devenir!... fit, avec une bourrade amicale, La Tour-Miranne, qui, fidèle à sa promesse, apparaissait accompagné d'Outremécourt. Allons, fais-nous place, moulin à idées!...
Réviliod, que l'on appelait aussi, en plaisantant, le Petit Biscuitier parce qu'il était le fils du richissime fabricant de biscuits de France, «la marque universellement connue R-T», ne s'était pas démonté pour si peu, et le flot intarissable de ses paroles coulait toujours.
—L'aéroplane, biplan ou monoplan, ne se prête à aucune utilisation pratique possible; A la guerre, me dites-vous, il sera précieux pour les reconnaissances!... Erreur profonde, messieurs. La première condition à remplir à la guerre est de pouvoir s'élever le plus haut possible pour se mettre à l'abri des coups de l'artillerie ennemie, or c'est à peine si les appareils actuels peuvent atteindre quelques centaines de mètres. Leurs pilotes seront donc exposés à être mitraillés sitôt aperçus; ils auront beau aller vite, les obus iront encore plus vite qu'eux. C'est pourquoi je m'évertue à le répéter: ces recherches sont stériles et ne sauraient conduire à rien de sérieux! Il faudra en revenir au principe opposé, à l'aéronat plus léger que l'air, qui donne gratuitement la sustention et assure la sécurité de l'équipage!...
—Allons, coupa La Tour-Miranne, vous vous bouchez les yeux pour ne pas voir clair, mon brave Réviliod. C'est un parti pris chez vous de dénigrer les choses nouvelles. Vous êtes un rétrograde, un contempteur du progrès!...
Le Petit Biscuitier, piqué au vif, sursauta.
—Un rétrograde, moi!... Par exemple, voilà un reproche que je ne pensais pas mériter, moi qui adopte toutes les créations, toutes les conquêtes de l'ingéniosité humaine, aussitôt que leur utilité m'est démontrée...
—Ah! je vous y prends, il faut que vous reconnaissiez cette utilité...
—Tiens!.... Cela me paraît élémentaire! Mais, pour en revenir au sujet de notre conversation, voudriez-vous seulement m'énumérer, La Tour-Miranne, les applications dont l'aéroplane actuel vous semble susceptible, et celles que vous pourriez raisonnablement en faire?...
Le sportsman se redressa.
—Ce que j'en ferais, si je savais m'en servir!... Eh bien! j'en ferais l'engin de tourisme idéal, bien supérieur à la bicyclette, au chemin de fer et à l'automobile!
La Tour-Miranne avait prononcé ces mots d'une voix vibrante d'enthousiasme. Ses amis se rapprochèrent de lui.
—Oui, reprit-il avec chaleur, l'aéroplane, tel qu'il est dès maintenant, peut constituer un moyen de locomotion idéal, je ne parle pas seulement pour l'exploration des régions inconnues du globe, cela viendra plus tard, mais pour le vrai tourisme, car il peut faire ce que ne saurait faire l'auto, avec quoi on ne peut dominer du regard le panorama du pays que l'on traverse. Le ballon dirigeable, seul, peut lui être comparé pour cet usage spécial, mais il ne faut pas oublier qu'il lui faut un hangar prêt à le recevoir au bout de chaque étape et qu'il est d'un entretien plutôt délicat...
—Vous voudriez faire des voyages d'agrément avec des aéroplanes?... interrompit en ricanant le défenseur des aérostats.
—Pourquoi pas!... répliqua avec assurance le jeune homme.
—Vous n'iriez pas loin avant de casser du bois, je le crains.
—C'est à savoir!... Pourquoi ne ferais-je pas—une fois mon apprentissage d'aviateur terminé, bien entendu!—tout aussi bien que les expérimentateurs, aux succès de qui nous venons d'applaudir?... Tenez, je vais même plus loin dans mes affirmations, et je vous dis qu'il n'en est pas un de nous qui, après avoir appris à conduire un biplan ou un monoplan, ne deviendrait aussi habile qu'un élève de Wright ou de Farman!...
—C'est un paradoxe et une affirmation un peu audacieuse...
—Et pourquoi cela, interrogea Outremécourt intervenant dans la conversation. Je dis comme La Tour-Miranne, moi, et je crois qu'il n'est nullement indispensable d'être un individu exceptionnel pour conduire un aéro. Il n'a pas fallu tant d'heures que cela aux initiateurs du vol aérien pour devenir des maîtres. Qui nous empêcherait de devenir aussi habiles qu'eux?...
—Paroles que tout cela!...
Le marquis de La Tour-Miranne avait réfléchi pendant que parlait son ami.
—Voulez-vous que nous vous donnions les preuves de ce que nous avançons, dit-il?
—Et comment cela?...