L'Œuvre. Emile Zola

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L'Œuvre - Emile Zola

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il s'était tourné vers le quai des Célestins, où se trouvait une station de fiacres. Pas une lueur de lanterne ne luisait.

      «À Passy, ma chère, pourquoi pas Versailles?... Où diable voulez-vous qu'on pêche une voiture, à cette heure, et par un temps pareil?»

      Mais elle jeta un cri, un nouvel éclair l'avait aveuglée; et, cette fois, elle venait de revoir la ville tragique dans un éclaboussement de sang. C'était une trouée immense, les deux bouts de la rivière s'enfonçant à perte de vue, au milieu, des braises rouges d'un incendie. Les plus minces détails apparurent, on distingua les petites persiennes fermées du quai des Ormes, les deux fentes des rues de la Masure et du Paon-Blanc, coupant la ligne des façades; près du pont Marie, on aurait compté les feuilles des grands platanes, qui mettent là un bouquet de superbe verdure; tandis que, de l'autre côté, sous le pont Louis-Philippe, au Mail, les toues alignées sur quatre rangs avaient flambé, avec les tas de pommes jaunes dont elles craquaient. Et l'on vit encore les remous de l'eau, la cheminée haute du bateau-lavoir, la chaîne immobile de la dragueuse, des tas de sable sur le port, en face, une complication extraordinaire de choses, tout un monde emplissant l'énorme coulée, la fosse creusée d'un horizon à l'autre. Le ciel s'éteignit, le flot ne roula plus que des ténèbres, dans le fracas de la foudre.

      «Oh! mon Dieu! c'est fini... Oh! mon Dieu! que vais-je devenir?» La pluie, maintenant, recommençait, si raide, poussée par un tel vent, qu'elle balayait le quai, avec une violence d'écluse lâchée.

      «Allons, laissez-moi rentrer, dit Claude, ce n'est pas tenable.» Tous deux se trempaient. À la clarté vague du bec de gaz scellé au coin de la rue de la Femme-sans-Tête, il la voyait ruisseler, la robe collée à la peau, dans le déluge qui battait la porte. Une pitié l'envahit: il avait bien, un soir d'orage, ramassé un chien sur un trottoir!... Mais cela le fâchait de s'attendrir, jamais il n'introduisait de fille chez lui, il les traitait toutes en garçon qui les ignorait, d'une timidité souffrante qu'il cachait sous une fanfaronnade de brutalité; et celle-ci, vraiment, le jugeait trop bête, de le raccrocher de la sorte, avec son aventure de vaudeville. Pourtant, il finit par dire:

      «En voilà assez, montons... Vous coucherez chez moi.» Elle s'effara davantage, elle se débattait.

      «Chez vous, oh! mon Dieu! Non, non; c'est impossible... Je vous en prie, monsieur, conduisez-moi à Passy, je vous en prie à mains jointes.» Alors, il s'emporta. Pourquoi ces manières, puisqu'il la recueillait? Déjà, deux fois, il avait tiré la sonnette.

      Enfin, la porte céda, et il poussa l'inconnue.

      «Non, non, monsieur, je vous dis que non...» Mais un éclair l'éblouit, encore, et quand le tonnerre gronda, elle entra d'un bond, éperdue. La lourde porte s'était refermée, elle se trouvait sous un vaste porche, dans une obscurité complète.

      «Madame Joseph, c'est moi!» cria Claude à la Concierge.

      Et, à voix basse, il ajouta:

      «Donnez-moi la main, nous avons la cour à traverser.» Elle lui donna la main, elle ne résistait plus, étourdie, anéantie. De nouveau, ils passèrent sous la pluie diluvienne, courant côte à côte, violemment. C'était une cour seigneuriale, énorme, avec des arcades de pierre, confuses dans l'ombre. Puis, ils abordèrent à un vestibule, étranglé, sans porte; et il lui lâcha la main, elle l'entendit frotter des allumettes en jurant. Toutes étaient mouillées; il fallut monter à tâtons.

      «Prenez la rampe, et méfiez-vous, les marches sont hautes.» L'escalier, très étroit, un ancien escalier de service, avait trois étages démesurés, qu'elle gravit en butant, les jambes cassées et maladroites. Ensuite, il la prévint qu'ils devaient suivre un long corridor; et elle s'y engagea derrière lui, les deux mains filant contre les murs, allant sans fin dans ce couloir, qui revenait vers la façade, sur le quai. Puis, ce fut de nouveau un escalier, mais dans le comble celui-là, un étage de marches en bois qui craquaient, sans rampe, branlantes et raides comme les planches mal dégrossies d'une échelle de meunier. En haut, le palier était si petit, qu'elle se heurta dans le jeune homme, en train de chercher sa clef. Il ouvrit enfin.

      «N'entrez pas, attendez. Autrement, vous vous cogneriez encore.» Et elle ne bougea plus. Elle soufflait, le cœur battant les oreilles bourdonnant, achevée par cette montée dans le noir. Il lui semblait qu'elle montait depuis des heures, au milieu d'un tel dédale, parmi une telle complication d'étages et de détours, que jamais elle ne redescendrait.

      Dans l'atelier, de gros pas marchaient, des mains frôlaient, il y eut une dégringolade de choses, accompagnée d'une sourde exclamation. La porte s'éclaira.

      «Entrez donc, ça y est.» Elle entra, regarda sans voir. L'unique bougie pâlissait dans ce grenier, haut de cinq mètres, empli d'une confusion d'objets, dont les grandes ombres se découpaient bizarrement contre les murs peints en gris. Elle ne reconnut rien, elle leva les yeux vers la baie vitrée, sur laquelle la pluie battait avec un roulement assourdissant de tambour.

      Mais, juste à ce moment, un éclair embrasa le ciel, et le coup de tonnerre suivit de si près, que la toiture sembla se fendre. Muette, toute blanche, elle se laissa tomber sur une chaise. «Bigre! murmura Claude, un peu pâle lui aussi, en voilà un qui n'a pas tapé loin... Il était temps, on est mieux ici que dans la rue, hein?» Et il retourna vers la porte qu'il ferma bruyamment, à double tour, pendant qu'elle le regardait faire, de son air stupéfié.

      «Là! nous sommes chez nous.»

      D'ailleurs, c'était la fin, il n'y eut plus que des coups là, éloignés, bientôt le déluge cessa. Lui, qu'une gêne gagnait à présent, l'avait examinée d'un regard oblique. Elle ne devait pas être trop mal, et jeune à coup sûr, vingt ans au plus. Cela achevait de le mettre en méfiance, malgré un doute inconscient qui le prenait, une sensation vague qu'elle ne mentait peut-être pas absolument. En tout cas, elle avait beau être maligne, elle se trompait, si elle croyait le tenir. Il exagéra son allure bourrue, il dit d'une grosse voix:

      «Hein? couchons-nous, ça nous séchera.» Une angoisse la fit se lever. Elle aussi l'examinait, sans le regarder en face, et ce garçon maigre, aux articulations noueuses, à la forte tête barbue, redoublait sa peur, comme s'il était sorti d'un conte de brigands, avec son chapeau de feutre noir et son vieux paletot marron, verdi par les pluies. Elle murmura:

      «Merci, je suis bien, je dormirai habillée.

      —Comment, habillée, avec ces vêtements qui ruissellent!... Ne faites donc pas la bête, déshabillez-vous tout de suite.» Et il bousculait des chaises, il écartait un paravent à moitié crevé. Derrière, elle aperçut une table de toilette et un tout petit lit de fer, dont il se mit à enlever le couvre-pieds.

      «Non, non, monsieur, ce n'est pas la peine, je vous jure que je resterai là.» Du coup, il entra en colère, gesticulant, tapant des poings. «la fin, allez-vous me ficher la paix! Puisque je vous donne mon lit, qu'avez-vous à vous plaindre?... Et ne faites pas l'effarouchée, c'est inutile. Moi, je coucherai sur le divan.» Il était revenu sur elle, d'un air de menace. Saisie, croyant qu'il voulait la battre, elle ôta son chapeau en tremblant. Par terre, ses jupes s'égouttaient. Lui, continuait de grogner. Pourtant, un scrupule parut le prendre; et il lâcha enfin, comme une concession: «Vous savez, si je vous répugne, je veux bien changer les draps.» Déjà, il les arrachait, il les lançait sur le divan, à l'autre bout de l'atelier. Puis, il en tira une paire d'une armoire, et il refit lui-même le lit, avec une adresse de garçon habitué à cette besogne. D'une main soigneuse, il bordait la couverture du côté de la muraille, il tapait l'oreiller, ouvrait les draps.

      «Vous y êtes, au dodo, maintenant!» Et, comme

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