Cadio. George Sand

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Cadio - George Sand

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N'est-ce pas, Marie? dites; mais j'oublie toujours que vous ne pensez pas comme nous!

      MARIE. Oubliez-le, si cela vous fâche; je ne vous le rappellerai jamais!

      LOUISE. On sait cela, bonne Marie! mais, au fond... (bas) tu approuves mon père?

      MARIE, (aussi à voix basse.) Ce qu'il dit est si noble, ce qu'il pense si respectable!... (Louise rêve.)

      MÉZIÈRES, (entrant.) Une lettre pour M. le comte.

      LOUISE. D'Henri peut-être! Oui! (Donnant la lettre au comte.) Lisez vite, mon père!

      MÉZIÈRES. Je voyais bien ça... au timbre!... Puis-je rester pour savoir...? (Louise fait un signe affirmatif.)

      ROXANE, (au comte.) Il arrive, n'est-ce pas? Dites donc!

      LE COMTE, (qui parcourt des yeux.) Il va bien, il va bien!...

      MÉZIÈRES, (sortant.) Dieu soit béni! Ce cher enfant! il va bien! (Il sort.)

      ROXANE, (au comte.) Mais vous avez l'air étonné?

      LE COMTE, (donnant la lettre à Louise.) Oui. Il ne paraît pas avoir reçu nos lettres. Elles ont du être saisies.

      ROXANE. Ou la prudence l'empêche de répondre clairement. Voyons! il faut deviner...

      LE COMTE, (à Louise.) Il se montre enivré de joie d'avoir battu...

      ROXANE. Battu!... Qu'est-ce qu'il a donc battu?...

      LOUISE. Les Prussiens.

      ROXANE. Les émigrés, par conséquent?... Eh bien, alors... Mais non, mais non! Il fait semblant! c'est très-adroit de sa part!...

      LE COMTE, (qui lit avec Louise.) Il est officier.

      LOUISE. Et il en est fier.

      ROXANE. Il en est humilié, au contraire. Il faut prendre le contre-pied de tout ce qu'il dit. Il est très-fin, il est plein d'esprit, ce garçon-là!

      LOUISE, (lui donnant la lettre.) Ma tante..., prenons-en notre parti, et ne nous faisons plus d'illusions: Henri nous abandonne... Cela ne m'étonne pas autant que vous. Il a toujours eu le caractère léger.

      MARIE. Léger?... Mais non, chère Louise!

      ROXANE, (lisant.) Ah! grand Dieu! comme il traite nos amis les étrangers! il est donc fou?... et quel ton! «Nous leur avons flanqué une frottée!» Frottée! ça y est! C'est donc un soudard, à présent? un enfant si bien élevé! «J'espère que ma tante Roxane sera fière de moi...» Compte là-dessus, vaurien! «Et que, pour fêter mon épaulette, elle mettra sa plus belle robe, sans oublier d'ajouter aux roses de son teint...» (jetant la lettre.) Polisson!

      LOUISE, (ramassant la lettre.) Consolez-vous, ma tante, je ne suis guère mieux traitée. (Lisant.) «Je compte aussi que ma petite Louise se redressera de toute sa hauteur, et qu'elle attachera un noeud d'argent aux cheveux de sa poupée!» Il me fait l'honneur de croire que je joue encore à la poupée, c'est flatteur!

      LE COMTE. Il oublie que deux ans se sont déjà écoulés depuis son départ.

      LOUISE. Il oublie les malheurs de notre parti, il ne se dit pas que, chez nous, il n'y a plus d'enfants!

      LE COMTE. Il est enfant lui-même: à vingt-deux ans!

      ROXANE. Tant pis pour lui! Louise, j'espère que vous n'épouserez jamais ce monsieur-là?

      LOUISE. Je n'ai jamais désiré l'épouser, ma tante, et, si mon père me laisse libre...

      LE COMTE. Je ne te contraindrai jamais; mais tu avais de l'amitié pour lui malgré vos petites querelles. Il était si bon pour toi... et pour tout le monde!

      LOUISE. De l'amitié..., c'est fort bien. Je lui rendrai la mienne, s'il revient de ses erreurs; mais faut-il se marier par amitié?

      MARIE. Vous ne dites pas ce que vous pensez!

      LOUISE. Si fait! A ce compte-là, pourquoi n'épouserais-je pas aussi bien M. de la Tessonnière?

      LA TESSONNIÈRE. Hein? quoi?

      ROXANE. Rien; continuez votre petit somme.

      LA TESSONNIÈRE, (montrant les cartes.) Alors, la partie...?

      LOUISE. Un peu plus tard, mon ami.

      LA TESSONNIÈRE, (à Roxane.) Et vous..., vous ne voulez pas...?

      ROXANE. Un peu plus tard, un peu plus tard; c'est l'heure de votre promenade.

      LA TESSONNIÈRE. Vous croyez? Je n'aime guère à me promener seul; les paysans ont des figures si singulières à présent...

      LE COMTE. Singulières? Pourquoi?

      LA TESSONNIÈRE. Oui, oui... ils deviennent très-méchants!

      ROXANE. Allons donc, allons donc! Allez-vous avoir peur, ici à présent? Vous irez dans le jardin, là, près des fenêtres.

      MARIE. J'irai avec vous!

      LA TESSONNIÈRE. Bien, bien! (Il sort avec Marie.)

      LE COMTE. Qu'est-ce qu'il veut dire? De quoi a-t-il peur?

      ROXANE. De tout! c'est son habitude, vous le savez bien, puisqu'il est venu s'installer chez nous à cause de ça.

      LE COMTE. Il avait peur de ses paysans, qui lui en voulaient d'être poltron; mais les nôtres sont si doux, si tranquilles...

      ROXANE. Ne vous y fiez pas, mon cher! Ils espèrent toujours que vous vous montrerez!... Mais voici les autres hôtes du château.

      SCÈNE II.--Les Mêmes, le baron DE RABOISSON, le chevalier DE PRÉMOUILLARD

      RABOISSON. Mesdames, je vous apporte des nouvelles.

      ROXANE.--Ah! baron, ce mot-là me fait toujours trembler! Bonnes ou mauvaises, vos nouvelles?

      RABOISSON. Bah! pourvu qu'elles soient nouvelles! ça désennuie toujours. L'insurrection vient nous trouver.

      LOUISE. Enfin!

      LE COMTE. Est-ce sérieux, Raboisson, ce que vous dites là? Comment savez-vous...?

      RABOISSON. Mon valet de chambre arrive de la ville. Il n'y est bruit que de la marche de l'armée royale.

      LE CHEVALIER. Malheureusement, c'est la douzième fois au moins que Puy-la-Guerche est en émoi pour rien.

      LE COMTE. Vous dites malheureusement?

      LE CHEVALIER. Oui, monsieur le comte. L'inaction à laquelle, par égard pour vous, nous nous sommes condamnés, commence à me peser plus que je ne puis dire. J'espère qu'en présence d'une force considérable telle qu'on l'annonce, vous ne conseillerez point à la garde nationale du district une résistance inutile... et désastreuse!

      LE

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