Cadio. George Sand

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Cadio - George Sand

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MOREAU. Je le respecte aussi, quand il ne prêche pas la guerre civile.

      LE COMTE. La guerre civile! en sommes-nous là, bon Dieu?

      LE MOREAU. Oui, monsieur, nous en sommes là, et, si vous l'ignorez, vous vous faites d'étranges illusions.

      LE COMTE. Le peuple n'en veut qu'aux jacobins, messieurs, et Dieu merci, il n'y en a pas dans notre district.

      LE MOREAU. Du moins, il y en a peu; mais, en revanche, il y a beaucoup d'hommes qui pensent comme moi.

      LE COMTE. Nous pensons tous de même; nous voulons tous la fin des fureurs démagogiques.

      LE MOREAU. C'est pour cela, monsieur le comte, que nous devons réprimer toutes les démagogies, de quelque titre qu'elles se parent. Venez commander nos gardes nationaux, et, s'il est vrai que le torrent se dirige de notre côté, il passera auprès de notre ville sans oser la traverser.

      REBEC. Autrement, ils feront ce qu'ils ont fait à Bois-Berthaud, ils dévasteront tout. Ils pilleront les auberges, ils gaspilleront les provisions de bouche...

      LE MOREAU. Et, chose plus grave, ils insulteront nos femmes et menaceront nos enfants! Hâtez-vous, monsieur. Si les nouvelles sont exactes, ils ont fait ce matin le ravage au hameau du Jardier, à six lieues d'ici; ils peuvent être chez nous ce soir!

      LE COMTE. Mais ce ne sont pas des gens de nos environs. Qui sont-ils? d'où viennent-ils?

      LE MOREAU, (méfiant.) Vous l'ignorez, monsieur le comte?

      LE COMTE, (blessé.) Apparemment, puisque je le demande.

      LE MOREAU. Ils viennent du bas Poitou.

      RABOISSON. Et ils sont commandés...?

      LE MOREAU. Par le ci-devant marquis de la Roche-Brûlée, un homme perdu de dettes et de débauches.

      RABOISSON. Vous êtes sévère pour lui... Il vaut peut-être mieux que sa réputation.

      LE MOREAU. Si vous le connaissez, monsieur, et que nous soyons réduits à capituler, vous nous viendrez en aide, et, en nous servant d'intermédiaire, vous n'oublierez pas la confiance que les autorités de Puy-la-Guerche ont cru pouvoir vous témoigner; mais nous commencerons par nous bien défendre, je vous en avertis, et j'imagine que M. le commandant de notre garde civique ne nous abandonnera pas dans le danger.

      LE COMTE. Le doute m'offense, monsieur. Laissez-moi le temps de donner chez moi quelques ordres, et je vous suis. (A Raboisson.) Venez, baron, c'est à vous que je veux confier la garde du château en mon absence. (Ils sortent.)

      SCÈNE IV.--LE MOREAU, REBEC.

      REBEC. Eh bien, il a tout de même l'air de vouloir faire son devoir, le grand gentilhomme! Avez-vous vu comme il hésitait au commencement? Sans moi, qui lui ai dit son fait...

      LE MOREAU. Il hésitera encore, il faut le surveiller. Honnête homme, timoré et humain, mais irrésolu et royaliste. Ces gens-là sont bien embarrassés, croyez-moi, quand ils essayent de faire alliance avec nous. Nous nous flattons quelquefois de les avoir assez compromis pour qu'ils soient forcés de rompre avec leur parti; mais, le jour où ils peuvent nous fausser compagnie, ils s'en tirent en disant que nous leur avons mis le couteau sur la gorge.

      REBEC. Bah! bah! celui-ci, nous le tiendrons, c'est-à-dire... (regardant par une fenêtre) vous le tiendrez! Moi, je...

      LE MOREAU. Où allez-vous?

      REBEC. Je vais sur le chemin surveiller l'arrivée de mes denrées.

      LE MOREAU. Quelles denrées?

      REBEC. Eh bien, mes approvisionnements, mes bestiaux, mes lits, mon linge, et mes deux servantes que je ne suis pas d'avis d'abandonner aux hasards d'une jacquerie!

      LE MOREAU. Vous prenez vos précautions; mais où menez-vous tout cela?

      REBEC. Tiens! ici, pardieu!

      LE MOREAU. Ici?

      REBEC. Et où donc mieux? Je ne suis pas le seul qui vienne se mettre à l'abri du pillage derrière les mâchicoulis du ci-devant seigneur de la province. Mes voisins de la grand'rue et ceux du Vieux-Marché aussi, enfin tous ceux qui ont quelque chose à perdre, nous sommes une douzaine, avec nos charrettes, nos bêtes et nos gens, qui avons résolu de nous retrancher céans, que la chose plaise ou non à M. le comte. Nous avons fait la part du feu, et nous sauvons le meilleur dans les caves et greniers de la féodalité. Il faut bien que ça nous serve à quelque chose, les châteaux que nous avons laissés debout!

      LE MOREAU. Vous êtes fous! Si M. de Sauvières nous trahissait...

      REBEC. Raison de plus, c'est prévu, ça! S'il ne se conduit pas bien à la ville, s'il tourne casaque, comme on dit, nous lui fermons au nez les portes de son manoir, nous gardons ses dames et ses hôtes comme otages. Les murs sont bons, ici, beaucoup meilleurs que l'enceinte délabrée de Puy-la-Guerche, et, quand il s'agit de soutenir un siége, vive une petite forteresse bien située comme celle-ci! Ah! voilà mon convoi! Je cours...

      SCÈNE V.--Les Mêmes, ROXANE, LOUISE, MARIE.

      ROXANE, (sans répondre aux courbettes de Rebec.) Qu'est-ce qui se passe? La cour du donjon est encombrée, la population de la ville reflue ici, et c'est vous, messieurs, qui nous valez cet embarras et ce danger? Croyez-vous que nous n'ayons d'autre affaire que de défendre vos ânes crottés, vos charretées de fromage et vos vieilles hardes?

      REBEC, (à Le Moreau, bas.) Diable! elle n'est pas polie, la vieille!

      LE MOREAU, (à Roxane.) Madame, je n'ai pas encouragé cette panique ridicule. Je ne l'approuve pas. Je vais essayer de la faire cesser. (Il salue et sort avec dignité.)

      ROXANE, (à Rebec.) Celui-ci, à la bonne heure! mais vous, monsieur l'aubergiste,... c'est-à-dire toi, l'ancien brocanteur, si heureux autrefois de te chauffer au feu de nos cuisines...

      REBEC. Madame, je suis citoyen et adjoint à la municipalité... Parvenu par mon mérite, je ne rougis pas de mes antécédents.

      ROXANE. En attendant, monsieur l'adjoint, vous allez déguerpir de céans et remporter vos guenilles.

      LOUISE, (bas, à Rebec.) Laissez dire ma tante. Elle est vive, mais très-bonne. D'ailleurs, mon père, qui n'a jamais refusé l'hospitalité à personne, vient d'ordonner que la cour fortifiée et le donjon fussent ouverts à quiconque voudrait s'y réfugier, et tant qu'il y aura de la place...

      REBEC. Merci, aimable citoyenne et noble châtelaine; vous avez bien mérité de la patrie, et le donjon est bon! Merci pour le donjon! Je vais, avec votre permission, y installer mon petit avoir.

      LOUISE. Allez, monsieur Rebec. (Il sort.)

      ROXANE. Ah! Louise, toi aussi, tu ménages ces animaux-là?

      LOUISE. Il le faut, ma tante; je ne vois pas sans crainte mon pauvre père s'en aller à la ville avec eux. Pour un soupçon, ils peuvent le garder prisonnier, le dénoncer à leur affreux tribunal révolutionnaire...

      ROXANE. Il n'aurait que ce qu'il mérite!

      LOUISE et MARIE. Ah! que dites-vous

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