Gunnar et Nial scènes et moeurs de la vieille Islande. Anonyme

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Gunnar et Nial scènes et moeurs de la vieille Islande - Anonyme

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après les deux frères eurent regagné leurs bœrs respectifs, et il ne fut plus question jusqu'à nouvel ordre du débat de Rut et de Mord... Mais sous la cendre couvait, je le répète, l'invincible étincelle destinée à produire un embrasement qui devait dévorer des générations.

       Table des matières

      nial conseille et gunnar agit

      À la partie sud-ouest de l'Islande se trouve un district hérissé de hautes montagnes éternellement couvertes de neiges et de glaces, et sillonné par un grand nombre de torrents dont le plus méridional s'appelle la Markar. À un certain endroit, cette rivière se divise; l'un de ses bras court au midi, toujours sous le nom de Markar; l'autre, appelé la Quéran, infléchit à l'ouest, grossi par le double affluent des Ranga.

      C'était dans une espèce de delta, au pied du versant tourné vers les eaux, qu'était situé le bœr de Lidarende, demeure de Gunnar, fils d'Hamund.

      Si vous eussiez demandé à la ronde: Quel est l'homme le plus valeureux de l'Islande? Tout le monde vous eût répondu: C'est Gunnar.—Le plus robuste et le plus redouté? Gunnar.—Le plus intrépide nageur, le meilleur buveur? Gunnar encore.

      Haut comme le frêne sacré d'Ygdrasil, superbe de visage, l'œil bleu clair, la chevelure blonde et ruisselante, vif de langage et skalde[11] excellent, il n'avait point son pareil de la Terre-de-Glace au pays des Wendes, qui est la Poméranie actuelle. Nul ne l'égalait au maniement de l'arc, de l'épée ou de la hache. Avec son arc il était capable, tant que durait sa provision de flèches, de tenir en respect une armée entière. D'un coup de son épée il faisait voler ses ennemis en morceaux, le tronc d'un côté et la tête de l'autre; et Thor lui-même, le plus fort des dieux Scandinaves, n'était pas plus terrible avec sa massue que le fils d'Hamund, la hache ou la hallebarde à la main.

      Avec cela, et malgré sa promptitude à l'action, le plus loyal des hommes, le plus généreux, le plus sûr aussi dans ses amitiés, et ayant le goût de la magnificence, ce qui ne lui était point défendu, car il était extrêmement riche, grâce surtout, disait-on, au butin gagné par son père dans ses expéditions de viking avant qu'il eût émigré en Islande. Tel était Gunnar, le nouveau personnage qui entre en scène dans notre récit.

      Sa mère était une nièce de Mord, le jurisconsulte que nous connaissons, de sorte qu'Unne, l'épouse divorcée de Rut, était sa cousine. C'était à lui que celle-ci s'adressait toutes les fois qu'elle avait besoin d'aide.

      *

       * *

      Or il advint que, ledit Mord étant allé de vie à trépas peu de temps après sa contestation avec Rut, Unne, qui par ses dissipations n'avait pas tardé à être réduite à la gêne, imagina d'avoir recours à Gunnar. Le premier mouvement de ce dernier fut d'ouvrir sa bourse à sa cousine; mais celle-ci refusa d'y puiser. Son unique désir, le but de sa démarche auprès de lui, c'était, disait-elle, de recouvrer la fameuse dot restée en litige.

      «Le cas est fort délicat, lui répondit tout d'abord Gunnar; ton père, qui entendait la loi, n'y a pu réussir, et moi, je ne suis nullement un légiste.»

      Il y avait, en effet, chez les Islandais de ce temps, pour saisir le tribunal d'une affaire et la suivre par-devant les juges, une procédure excessivement compliquée, tout un arsenal de formules qu'il était d'autant plus malaisé de connaître, que les lois n'étaient encore ni codifiées ni écrites comme elles le furent plus tard dans le livre appelé le Graagaasen (l'Oie grise). Il en résultait que quiconque s'écartait si peu que ce fût d'une seule des prescriptions requises donnait aussitôt barre à son adversaire et perdait sa cause.

      «Oh! fit Unne pour répondre aux objections de Gunnar, c'est par l'intimidation et l'audace, bien plus que par les moyens légaux, que Rut a eu raison de mon père. Le cœur, pour cette tâche, te faillirait-il?»

      Gunnar, à ce mot, se mit à rire.

      «Eh bien, reprit la cousine, va consulter ton ami Nial à Bergtorsvol; il te donnera quelque bon conseil.»

      Ainsi fut-il entendu.

      *

       * *

      Nial, fils de Torg, habitait entre la Quéran et la mer un district insulaire (les îles de la Côte) formé par un troisième bras de la Markar.

      C'était, lui aussi, un homme fort riche, plein de noblesse dans le caractère, mais extrêmement pacifique d'humeur. Quoique le courage ne lui manquât pas, il se fiait surtout en sa science. À une sagesse rare et à d'infinies ressources d'esprit, il passait pour joindre le don de divination, et, dès qu'il se mêlait d'une affaire, le succès en était assuré.

      Très avenant d'extérieur, il avait pourtant un défaut réputé alors fort grave chez un homme: c'était d'être imberbe.

      Quand Gunnar lui eut exposé l'objet de sa visite, Nial réfléchit un instant; puis il dit:

      «La question est épineuse, en effet, et ne laisse pas d'offrir du péril. Voici cependant la marche qui me semble la meilleure à suivre. Si tu te conformes de point en point à mes instructions, tout ira bien; sinon, mieux vaudrait t'abstenir.»

      Gunnar assura qu'il ne pécherait point d'un écart.

      «Eh bien, reprit Nial, demain matin tu te mettras en route, accompagné de deux hommes. Chacun de vous emmènera deux chevaux, un gras et un maigre. Toi, tu t'envelopperas d'un manteau de voyage grossier, sous lequel tu porteras un habit rougeâtre par-dessus tes vêtements ordinaires. Tu auras avec toi une hache avec quelques marchandises de forgeron, et, lorsque tu auras fait un bout de chemin dans la direction de l'ouest, tu rabattras ton chapeau sur tes yeux. Les gens demanderont en te voyant passer: «Quel est donc ce gros personnage aux airs mystérieux?» Tes compagnons répondront: «C'est Hédin, le marchand du fiord des Îles, qui voyage avec sa chaudronnerie.» Cet Hédin est, tu le sais, un mauvais garnement, un hâbleur, un braillard, qui croit tout connaître mieux que personne et cherche querelle à tous ceux qui le contredisent. Tu offriras ta marchandise, en ayant soin de rompre chaque fois le marché avec force tapage et dispute. Arrivé dans la vallée de la Laxa, tu coucheras à l'Hogistad, où, par parenthèse, on ne te fera pas un trop bon accueil, et le lendemain tu pousseras jusqu'au bœr qui est voisin de celui de Rut. Là tu offriras derechef ta denrée, mais en exhibant ce que tu as de pis et en affectant de dissimuler les bosselures des pièces à coups de marteau. Le fermier de l'endroit saura bien toutefois découvrir les défauts; alors tu lui arracheras les objets en l'injuriant, et, au premier mot malsonnant de riposte, tu tomberas sur lui... Ménage seulement tes forces, de peur qu'on ne te reconnaisse... Rut, averti de ce qui se passe, te fera venir chez lui, te recevra bien, et en causant il te questionnera sur les uns et les autres. Toi, tu n'auras que moqueries et méchants propos pour chacun. À la fin, vous viendrez à parler de la Ranga.

      «—Eh! répondras-tu, voilà un pays où les hommes de savoir se sont faits rares depuis que Mord n'est plus de ce monde.»

      «Et là-dessus tu exalteras de ton mieux ledit Mord. Tu peux même, en ta qualité de skalde, réciter quelque chant propre à amuser Rut. Celui-ci te parlera naturellement de son procès avec Mord, et te demandera si tu le connais.

      «—Vaguement,» diras-tu de l'air d'un homme que la chose intéresse.

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