Derniers Contes. Эдгар Аллан По
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«Sornettes!» dit le roi.
«Aussitôt après cette aventure, nous remontâmes un continent d'une immense étendue et d'une solidité prodigieuse, et qui cependant était entièrement porté sur le dos d'une vache bleu de ciel qui n'avait pas moins de quatre cents cornes[20].»
«Cela, je le crois,» dit le roi, «parce que j'ai lu quelque chose de semblable dans un livre.»
«Nous passâmes immédiatement sous ce continent (en nageant entre les jambes de la vache) et quelques heures après nous nous trouvâmes dans une merveilleuse contrée, et l'homme-animal m'informa que c'était son pays natal, habité par des êtres de son espèce. Cette révélation fit grandement monter l'homme-animal dans mon estime, et je commençai à éprouver quelque honte de la dédaigneuse familiarité avec laquelle je l'avais traité; car je découvris que les animaux-hommes étaient en général une nation de très puissants magiciens qui vivaient avec des vers dans leurs cervelles[21]; ces vers, sans doute, servaient à stimuler par leurs tortillements et leurs frétillements les plus miraculeux efforts de l'imagination.
«Balivernes!» dit le roi.
«Ces magiciens avaient apprivoisé plusieurs animaux de la plus singulière espèce; par exemple, il y avait un énorme cheval dont les os étaient de fer, et le sang de l'eau bouillante. En guise d'avoine, il se nourrissait habituellement de pierres noires; et cependant, en dépit d'un si dur régime, il était si fort et si rapide qu'il pouvait traîner un poids plus lourd que le plus grand temple de cette ville, et avec une vitesese surpassant celle du vol de la plupart des oiseaux[22].»
«Sornettes!» dit le roi.
«Je vis aussi chez ce peuple une poule sans plumes, mais plus grosse qu'un chameau; au lieu de chair et d'os elle était faite de fer et de brique: son sang, comme celui du cheval, (avec qui du reste elle avait beaucoup de rapport) était de l'eau bouillante, et comme lui elle ne mangeait que du bois ou des pierres noires. Cette poule produisait souvent une centaine de petits poulets dans un jour, et ceux-ci après leur naissance restaient plusieurs semaines dans l'estomac de leur mère[23].»
«Inepte!» dit le roi.
«Un des plus grands magiciens de cette nation inventa un homme composé de cuivre, de bois et de cuir, et le doua d'un génie tel qu'il aurait battu aux échecs toute la race humaine à l'exception du grand calife Haroun Al-Raschid[24]. Un autre construisit (avec les mêmes matériaux) une créature capable de faire rougir de honte le génie même de celui qui l'avait inventée; elle était douée d'une telle puissance de raisonnement, qu'en une seconde elle exécutait des calculs, qui auraient demandé les efforts combinés de cinquante mille hommes de chair et d'os pendant une année[25]. Un autre plus prodigieux encore s'était fabriqué une créature qui n'était ni homme ni bête, mais qui avait une cervelle de plomb mêlée d'une matière noire comme de la poix, et des doigts dont elle se servait avec une si grande rapidité et une si incroyable dextérité qu'elle aurait pu sans peine écrire douze cents copies du Coran en une heure; et cela avec une si exacte précision, qu'on n'aurait pu trouver entre toutes ces copies une différence de l'épaisseur du plus fin cheveu. Cette créature jouissait d'une force prodigieuse, au point d'élever ou de renverser de son souffle les plus puissants empires; mais ses forces s'exerçaient également pour le mal comme pour le bien.»
«Ridicule!» dit le roi.
«Parmi ces nécromanciens, il y en avait un qui avait dans ses veines le sang des salamandres; il ne se faisait aucun scrupule de s'asseoir et de fumer son chibouc dans un four tout rouge en attendant que son dîner y fût parfaitement cuit[26]. Un autre avait la faculté de changer les métaux vulgaires en or, sans même les surveiller pendant l'opération[27]. Un autre était doué d'une telle délicatesse du toucher, qu'il avait fait un fil de métal si fin qu'il était invisible[28]. Un autre avait une telle rapidité de perception qu'il pouvait compter les mouvements distincts d'un corps élastique vibrant avec la vitesse de neuf cents millions de vibrations en une seconde[29].»
«Absurde!» dit le roi.
«Un autre de ces magiciens, au moyen d'un fluide que personne n'a jamais vu, pouvait faire brandir les bras à ses amis, leur faire donner des coups de pied, les faire lutter, ou danser à sa volonté[30]. Un autre avait donné à sa voix une telle étendue qu'il pouvait se faire entendre d'un bout de la terre à l'autre[31]. Un autre avait un bras si long qu'il pouvait, assis à Damas, rédiger une lettre à Bagdad, ou à quelque distance que ce fût[32]. Un autre ordonnait à l'éclair de descendre du ciel, et l'éclair descendait à son ordre, et une fois descendu, lui servait de jouet. Un autre de deux sons retentissants réunis faisait un silence. Un autre avec deux lumières étincelantes produisait une profonde obscurité[33]. Un autre faisait de la glace dans une fournaise chauffée au rouge[34]. Un autre invitait le soleil à faire son portrait, et le soleil le faisait[35]. Un autre prenait cet astre avec la lune et les planètes, et après les avoir pesés avec un soin scrupuleux, sondait leurs profondeurs, et se rendait compte de la solidité de leur substance. Mais la nation tout entière est douée d'une si surprenante habileté en sorcellerie, que les enfants, les chats et les chiens eux-mêmes les plus ordinaires n'éprouvent aucune difficulté à percevoir des objets qui n'existent pas du tout, ou qui depuis vingt millions d'années avant la naissance de ce peuple ont disparu de la surface du monde[36].»
«Déraisonnable!» dit le roi.
«Les femmes et les filles de ces incomparables sages et sorciers», continua Schéhérazade, sans se laisser aucunement troubler par les fréquentes et inciviles interruptions de son mari, «les filles et les femmes de ces éminents magiciens sont tout ce qu'il y a d'accompli et de raffiné, et seraient ce qu'il y a de plus intéressant et de plus beau, sans une malheureuse fatalité qui pèse sur elles, et dont les pouvoirs miraculeux de leurs maris et de leurs pères n'ont pas été capables jusqu'ici de les préserver. Les fatalités prennent toutes sortes de formes différentes; celle dont je parle prit la forme d'un caprice.»
«Un quoi?» dit le roi.
«Un caprice,» dit Schéhérazade. «Un des mauvais génies, qui ne cherchent que l'occasion de faire du mal, leur mit dans la tête, à ces dames accomplies, que ce qui constitue la beauté personnelle consiste entièrement dans la protubérance de là région qui ne s'étend pas très loin au-dessous du dos. La perfection de la beauté, d'après elles, est en raison directe de l'étendue de cette protubérance. Cette idée leur trotta longtemps par la tête, et comme les coussins sont à bon marché dans ce pays, il ne fut bientôt plus possible de distinguer une femme d'un dromadaire.»
«Assez», dit le roi—«je n'en saurais entendre davantage. Vous m'ayez déjà donné un terrible mal de tête avec vos mensonges. Il me semble aussi que le jour commence à poindre. Depuis combien de temps sommes-nous mariés?—Ma conscience commence aussi à se sentir de nouveau troublée. Et puis cette allusion au dromadaire … me prenez-vous pour un imbécile? En résumé, il faut vous lever et vous laisser étrangler.»