Lettres d'un voyageur. George Sand

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       George Sand

      Lettres d'un voyageur

      Publié par Good Press, 2021

       [email protected]

      EAN 4064066081355

       PRÉFACE

       LETTRES D'UN VOYAGEUR

       I

       II

       III

       IV A JULES NÉRAUD

       V A FRANÇOIS ROLLINAT

       VI A ÉVERARD

       VII A FRANZ LISTZ

       VIII LE PRINCE

       IX AU MALGACHE

       X A HERBERT

       XI A GIACOMO MEYERBEER

       XII A M. NISARD

       Table des matières

      Jamais ouvrage, si ouvrage il y a, n'a été moins raisonné et moins travaillé que ces deux volumes[A] de lettres écrites à des époques assez éloignées les unes des autres, presque toujours à la suite d'émotions graves dont elles ne sont pas le récit, mais le reflet. Elles n'ont été pour moi qu'un soulagement instinctif et irréfléchi à des préoccupations, à des fatigues ou à des accablements qui ne me permettaient pas d'entreprendre ou de continuer un roman. Quelques-unes furent même écrites à la course, finies en hâte à l'heure du courrier et jetées à la poste, sans arrière-pensée de publicité. L'idée d'en faire collection et de remplir quelques lacunes m'engagea, par la suite, à les redemander à ceux de mes amis que je supposais les avoir conservées; et celles-là sont probablement les moins mauvaises, comme on le comprendra facilement, l'expression des émotions personnelles étant toujours plus libre et plus sincère dans le tête-à-tête qu'elle ne peut l'être avec un inconnu en tiers. Cet inconnu, c'est le lecteur, c'est le public; et s'il n'y avait pas, dans l'exercice d'écrire, un certain charme souvent douloureux, parfois enivrant, presque toujours irrésistible, qui fait qu'on oublie le témoin inconnu et qu'on s'abandonne à son sujet, je pense qu'on n'aurait jamais le courage d'écrire sur soi-même, à moins qu'on n'eût beaucoup de bien à en dire. Or, l'on conviendra, en lisant ces lettres, que je ne me suis jamais trouvé dans ce cas, et qu'il m'a fallu beaucoup de hardiesse ou beaucoup d'irréflexion pour entretenir le public de ma personnalité pendant deux volumes.

      Je mentionne tout ceci pour excuser auprès de mes lecteurs, amateurs de romans, habitués à ne me voir faire rien de pis, la malheureuse idée que j'ai eue de me mettre en scène à la place de personnages un peu mieux posés et un peu mieux drapés pour paraître en public. Je viens de le dire: c'est aux époques où mon cerveau fatigué se trouvait vide de héros et d'aventures, que, semblable à un imprésario dont la troupe serait en retard à l'heure du spectacle, je suis venu, tout distrait et tout troublé, en robe de chambre sur la scène, raconter vaguement le prologue de la pièce attendue. Je crois qu'en effet, pour qui s'intéresserait aux secrètes opérations du cœur humain, certaines lettres familières, certains actes, insignifiants en apparence, de la vie d'un artiste, seraient la plus explicite préface, la plus claire exposition de son œuvre.

      Que les amateurs de fictions me pardonnent un peu cependant. Dans plusieurs de ces lettres, j'ai travaillé pour eux en habillant mon triste personnage, mon pauvre moi, d'un costume qui n'était pas habituellement le sien, et en faisant disparaître le plus possible son existence matérielle derrière une existence morale plus vraie et plus intéressante. Ainsi on ne voit guère, en lisant ces lettres, si c'est un homme, un vieillard ou un enfant qui raconte ses impressions. Qu'importait au lecteur mon âge et ma démarche? C'est à l'Opéra que la jeunesse, la beauté ou la grâce intéressent les yeux et l'imagination. Dans un livre de la nature de celui-ci, c'est l'émotion, c'est la rêverie, ou la tristesse, ou l'enthousiasme, ou l'inquiétude, qui doivent se rendre sympathiques au lecteur. Ce qu'il peut demander à celui qui abandonne son âme à la pitié ou à la colère de l'examen, c'est de lui laisser voir les mouvements de ce cœur personnifié, à je puis ainsi dire. Ainsi, en parlant tantôt comme un écolier vagabond, tantôt comme un vieux oncle podagre, tantôt comme un jeune soldat impatient, je n'ai fait autre chose que de peindre mon âme sous la forme qu'elle prenait à ces moments-là: tantôt insouciante et folâtre, tantôt morose et fatiguée, tantôt bouillante et rajeunie. Et qui de nous ne résume en lui, à chaque heure de sa vie, ces trois âges de l'existence morale, intellectuelle et physique? Quel vieillard ne s'est senti enfant bien des fois? quel enfant n'a eu des accablements de vieillesse à certaines heures? Quel homme n'est à la fois vieillard et enfant dans la plupart de ses agitations? Ai-je fait autre chose que l'histoire d'un chacun de nous? Non, je n'ai pas fait autre chose, et je n'ai pas voulu faire autre chose. Je n'ai pas voulu qu'on cherchât, sous le déguisement de ce problématique voyageur, le secret d'une individualité bizarre ou remarquable. On ne peut pas me supposer un soin si puéril quand on voit combien je me suis peu ménagé en ouvrant mon cœur sanglant à l'expérimentation psychologique. Si je l'ai fait, si je me suis dévoué à ce supplice, sans honte et sans effroi, c'est que je connaissais bien aussi les plaies qui rongent les hommes de mon temps, et le besoin qu'ils ont tous de se connaître, de s'étudier, de sonder leurs consciences, de s'éclairer sur eux-mêmes par la révélation de leurs instincts et de leurs besoins, de leurs maux et de leurs aspirations. Mon âme, j'en suis certain, a servi de miroir à la plupart de ceux qui y ont jeté les yeux. Aussi plusieurs s'y sont fait peur à eux-mêmes, et, à la vue de tant de faiblesse, de terreur, d'irrésolution, de mobilité, d'orgueil humilié et de forces impuissantes, ils se sont écriés que j'étais un malade, un fou, une âme d'exception, un prodige d'orgueil et de scepticisme. Non, non! je suis votre semblable, hommes de mauvaise foi! Je ne diffère de vous que parce que je ne nie pas mon mal et ne cherche point à farder des couleurs de la jeunesse et de la santé mes traits flétris par l'épouvante. Vous avez bu le même calice, vous avez souffert les mêmes tourments. Comme moi vous avez douté, comme moi vous avez nié et blasphémé, comme moi vous avez erré dans les ténèbres, maudissant la Divinité et l'humanité, faute de comprendre! Au siècle dernier, Voltaire écrivait au-dessous de la statue de Cupidon ces vers fameux:

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