Lettres d'un voyageur. George Sand

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Lettres d'un voyageur - George Sand

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temps en temps un regard de satisfaction sur son image resplendissante; et, charmé de sa bonne tenue, pénétré de reconnaissance pour l'âme généreuse de son patron, il enlevait la gondole d'un bras vigoureux et la faisait bondir sur l'eau comme une sarcelle.

      Giulio était à l'autre bout de la gondole et le secondait avec toute l'aisance d'un enfant de l'Adriatique. Notre ami Pietro était couché indolemment sur le tapis, et la belle Beppa, assise sur les coussins de maroquin noir, livrait au vent ses longs cheveux d'ébène, qui se séparent sur son noble front et tombent en rouleaux souples et nonchalants jusque sur son sein. Nos mères appelaient, je crois, ces deux longues boucles repentirs. Je m'en suis rappelé le nom précieux en les voyant autour du visage triste et passionné de Beppa. La barque se ralentit tandis que l'un des rameurs prenait haleine; et quand elle fut près de la rive ombragée, elle se laissa couler mollement avec l'eau qui caressait les blancs escaliers de marbre du jardin. Alors Pierre pria Beppa de chanter. Giulio prit sa guitare, et la voix de Beppa s'éleva dans la nuit comme l'appel d'une sirène amoureuse. Elle chanta une strophe de romance que Pierre a composée pour je ne sais quelle femme, pour Beppa peut-être:

Con lei sull'onda placida
Errai dalla laguna,
Ella gli sguardi immobili
In te fissava, o luna!
E a che pensava allor?
Era un morrente palpito?
Era un nascente amor?

      —Te voilà, Zorzi? me cria-t-elle en m'apercevant au-dessus de la rampe. Que fais-tu là tout seul, vilain boudeur? Viens avec nous prendre le café au Lido.—Et fumer une belle pipe de caroubier, dit le docteur.—Et prendre un peu la rame à ma place, dit Giulio.—Ah! pour cela, Giulio, je te remercie, répondis-je; quant au docteur, toutes ses pipes ne valent pas une de mes cigarettes; mais pour toi, aimable Beppa, quelle excuse pourrais-je trouver?—Viens donc, dit-elle.—Non, repris-je, j'aime mieux confesser que je suis un butor et rester où je suis.—Fi! le vilain caractère, dit-elle en me jetant son bouquet à demi effeuillé à la figure. Est-ce que tu ne deviendras jamais plus aimable que cela? Et pourquoi ne veux-tu pas venir avec nous?—Que sais-je? répondis-je. Je n'en ai nulle envie, et pourtant j'ai le plus grand plaisir du monde à vous rencontrer.

      Catullo, qui est sujet, comme tous les animaux domestiques de son espèce, à se mêler de la conversation et à donner son avis, haussa les épaules et dit à Giulio, d'un air fin et entendu: Foresto!—Oui, précisément, répondit Giulio. Entends-tu, Zorzi? voilà Catullo qui te traite de malade extravagant.—Peu m'importe, repris-je, je ne suis pas des vôtres. Tu es trop belle ce soir, ô Beppa; le docteur est trop ennuyeux, le justaucorps de Catullo m'est insupportable à voir, et Giulio est trop fatigué. Au bout d'un quart d'heure de bien-être, les yeux de Beppa me feraient extravaguer, et il m'arriverait peut-être de faire pour elle des vers aussi mauvais que ceux du docteur; le docteur en serait jaloux. Catullo doit nécessairement crever d'apoplexie avant d'arriver au Lido, et Jules me forcerait de ramer. Bonsoir donc, ô mes amis; vous êtes beaux comme la lune et rapides comme le vent; votre barque est venue à moi comme une douce vision: allez-vous-en bien vite avant que je m'aperçoive que vous n'êtes pas des spectres.

      —Qu'a-t-il mangé aujourd'hui? dit Beppa à ses compagnons.—Erba, répondit gravement le docteur.—Tu as deviné juste, ô mon grand Esculape, lui dis-je: pois, salade et fenouil. J'ai fait ce que tu appelles un dîner pythagorique.—Régime très-sain, répondit-il, mais trop peu substantiel. Viens avec moi manger un riz aux huîtres, et boire une bouteille de vin de Samos à la Quintavalle.—Va au diable! empoisonneur, lui dis-je. Tu voudrais m'abrutir par des digestions laborieuses et m'affadir le caractère par de liquoreuses boissons, pour me voir étendu ensuite sur ce tapis comme un vieux épagneul au retour de la chasse, et pour n'avoir plus à rougir de ton intempérance et de ton inertie, Vénitien que tu es.—Et que prétends-tu faire à Venise, si ce n'est le far niente? dit Beppa.—Tu as raison, benedetta, lui répondis-je; mais tu ne sais pas que mon far niente est délicieux là où je suis à te regarder. Tu ne sais pas quel plaisir j'ai à voir courir cette gondole sans me donner la moindre peine pour la faire aller. Il me semble alors que je dors, et que je fais un rêve qui m'est bien cher, ô ma Beppa! et dans lequel de mystérieuses créatures m'apparaissent dans une barque et passent comme toi en chantant.—Quelles sont ces mystérieuses créatures? demanda-t-elle.—Je l'ignore, répondis-je; ce ne sont pas des hommes, ils sont trop bons et trop beaux pour cela; et pourtant ce ne sont pas des anges, Beppa, car tu n'es pas avec eux.—Viens me raconter cela, dit-elle, j'aime les rêves à la folie.—Demain, lui dis-je; aujourd'hui rends-moi un peu l'illusion du mien. Chante, Beppa, chante avec ce beau timbre guttural qui s'éclaircit et s'épure jusqu'au son de la cloche de cristal; chante avec cette voix indolente qui sait si bien se passionner, et qui ressemble à une odalisque paresseuse qui lève peu à peu son voile et finit par le jeter pour s'élancer blanche et nue dans son bain parfumé; ou plutôt à un sylphe qui dort dans la brume embaumée du crépuscule, et qui déploie peu à peu ses ailes pour monter avec le soleil dans un ciel embrasé. Chante, Beppa, chante, et éloigne-toi. Dis à tes amis d'agiter les rames comme les ailes d'un oiseau des mers, et de t'emporter dans ta gondole comme une blanche Léda sur le dos brun d'un cygne sauvage... Va, romanesque fille, passe et chante; mais sache que la brise soulève les plis de ta mantille de dentelle noire, et que cette rose, mystérieusement cachée dans tes cheveux par la main de ton amant, va s'effeuiller si tu n'y prends garde. Ainsi s'envole l'amour, Beppa, quand on le croit bien gardé dans le cœur de celui qu'on aime.—Adieu, maussade, me cria-t-elle; je te fais le plaisir de te quitter; mais, pour te punir, je chanterai en dialecte, et tu n'y comprendras rien.—Je souris de cette prétention de Beppa d'ériger son patois en langue inintelligible à des oreilles françaises. J'écoutai la barcarolle, qui vraiment était écrite dans les plus doux mots de ce gentil parler vénitien, fait, à ce qu'il me semble, pour la bouche des enfants.

Coi pensieri malinconici
No te star a tormentar.
Vien con mi, montemo in gondola,
Andremo in mezo al mar.
Pasaremo i porti e l'isole
Che contorna la cità:
El sol more senza nuvole
E la luna nascarà.
. . . . . . . . . .
Co, spandemlo el lume palido
Sera l'aqua inarzentada,
La se specia e la se cocola
Como dona inamorada.
Sta baveta che te zogola
Sui caveli inbovolai,
No xe torbia della polvere
Dele rode e dei cavai.
Sto remeto che ne dondola
Insordirne no se sente
Come i sciochi de la scuria,

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