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il prononça :

      – Puis-je savoir la raison ?…

      – Geneviève ne vous a pas dit ?…

      – Je ne l’ai pas vue… Mais sa grand-mère a cru comprendre que vous aviez besoin de mes services…

      – C’est cela… c’est cela…

      – Et en quoi ?… je suis si heureux…

      Elle hésita une seconde, puis murmura :

      – J’ai peur.

      – Peur ! s’écria-t-il.

      – Oui, fit-elle à voix basse, j’ai peur, j’ai peur de tout, peur de ce qui est et de ce qui sera demain, après-demain… peur de la vie. J’ai tant souffert… je n’en puis plus.

      Il la regardait avec une grande pitié. Le sentiment confus qui l’avait toujours poussé vers cette femme prenait un caractère plus précis aujourd’hui qu’elle lui demandait protection. C’était un besoin ardent de se dévouer à elle, entièrement, sans espoir de récompense.

      Elle poursuivit :

      – Je suis seule, maintenant, toute seule, avec des domestiques que j’ai pris au hasard, et j’ai peur… je sens qu’autour de moi on s’agite.

      – Mais dans quel but ?

      – Je ne sais pas. Mais l’ennemi rôde et se rapproche.

      – Vous l’avez vu ? Vous avez remarqué quelque chose ?

      – Oui, dans la rue, ces jours-ci, deux hommes ont passé plusieurs fois, et se sont arrêtés devant la maison.

      – Leur signalement ?

      – Il y en a un que j’ai mieux vu. Il est grand, fort, tout rasé, et habillé d’une petite veste de drap noir, très courte.

      – Un garçon de café ?

      – Oui, un maître d’hôtel. Je l’ai fait suivre par un de mes domestiques. Il a pris la rue de la Pompe et a pénétré dans une maison de vilaine apparence dont le rez-de-chaussée est occupé par un marchand de vins, la première à gauche sur la rue. Enfin l’autre nuit…

      – L’autre nuit ?

      – J’ai aperçu, de la fenêtre de ma chambre, une ombre dans le jardin.

      – C’est tout ?

      – Oui.

      Il réfléchit et lui proposa :

      – Permettez-vous que deux de mes hommes couchent en bas, dans une des chambres du rez-de-chaussée ?…

      – Deux de vos hommes ?…

      – Oh ! Ne craignez rien… Ce sont deux braves gens, le père Charolais et son fils… qui n’ont pas l’air du tout de ce qu’ils sont… Avec eux, vous serez tranquille. Quant à moi…

      Il hésita. Il attendait qu’elle le priât de revenir. Comme elle se taisait, il dit :

      – Quant à moi, il est préférable que l’on ne me voie pas ici… oui, c’est préférable… pour vous. Mes hommes me tiendront au courant.

      Il eût voulu en dire davantage, et rester, et s’asseoir auprès d’elle, et la réconforter. Mais il avait l’impression que tout était dit de ce qu’ils avaient à se dire, et qu’un seul mot de plus, prononcé par lui, serait un outrage.

      Alors il salua très bas, et se retira.

      Il traversa le jardin, marchant vite, avec la hâte de se retrouver dehors et de dominer son émotion. Le domestique l’attendait au seuil du vestibule. Au moment où il franchissait la porte d’entrée, sur la rue, quelqu’un sonnait, une jeune femme…

      Il tressaillit :

      – Geneviève !

      Elle fixa sur lui des yeux étonnés, et, tout de suite, bien que déconcertée par l’extrême jeunesse de ce regard, elle le reconnut, et cela lui causa un tel trouble qu’elle vacilla et dut s’appuyer à la porte.

      Il avait ôté son chapeau et la contemplait sans oser lui tendre la main. Tendrait-elle la sienne ? Ce n’était plus le prince Sernine… c’était Arsène Lupin. Et elle savait qu’il était Arsène Lupin et qu’il sortait de prison.

      Dehors il pleuvait. Elle donna son parapluie au domestique en balbutiant :

      – Veuillez l’ouvrir et le mettre de côté…

      Et elle passa tout droit.

      « Mon pauvre vieux, se dit Lupin en partant, voilà bien des secousses pour un être nerveux et sensible comme toi. Surveille ton cœur, sinon… Allons, bon, voilà que tes yeux se mouillent ! Mauvais signe, monsieur Lupin, tu vieillis. »

      Il frappa sur l’épaule d’un jeune homme qui traversait la chaussée de la Muette et se dirigeait vers la rue des Vignes. Le jeune homme s’arrêta, et après quelques secondes :

      – Pardon, monsieur, mais je n’ai pas l’honneur, il me semble…

      – Il vous semble mal, mon cher monsieur Leduc. Ou c’est alors que votre mémoire est bien affaiblie. Rappelez-vous Versailles… la petite chambre de l’hôtel des Trois-Empereurs…

      – Vous !

      Le jeune homme avait bondi en arrière, avec épouvante.

      – Mon Dieu, oui, moi, le prince Sernine, ou plutôt Lupin, puisque vous savez mon vrai nom ! Pensiez-vous donc que Lupin avait trépassé ? Ah ! Oui, je comprends, la prison… vous espériez… Enfant, va !

      Il lui tapota doucement l’épaule.

      – Voyons, jeune homme, remettons-nous, nous avons encore quelques bonnes journées paisibles à faire des vers. L’heure n’est pas encore venue. Fais des vers, poète !

      Il lui étreignit le bras violemment, et lui dit, face à face :

      – Mais l’heure approche, poète. N’oublie pas que tu m’appartiens, corps et âme. Et prépare-toi à jouer ton rôle. Il sera rude et magnifique. Et par Dieu, tu me parais vraiment l’homme de ce rôle !

      Il éclata de rire, fit une pirouette, et laissa le jeune Leduc abasourdi.

      Il y avait plus loin, au coin de la rue de la Pompe, le débit de vins dont lui avait parlé Mme Kesselbach. Il entra et causa longuement avec le patron. Puis il prit une auto et se fit conduire au Grand-Hôtel, où il habitait sous le nom d’André Beauny.

      Les frères Doudeville l’y attendaient.

      Bien que blasé sur ces sortes de jouissances, Lupin n’en goûta pas moins

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