La 628-E8. Octave Mirbeau

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La 628-E8 - Octave  Mirbeau

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jamais vu de si beaux cheveux blonds, blonds, comme, à certains jours, est blonde cette mer si merveilleusement blonde du Nord. Je n'ai jamais vu une nuque, mieux infléchie, d'une pulpe plus soyeuse. Les yeux bleus sont d'une candeur puérile, adorable. Ah! comme ils ignorent Nietzsche, et comme leur est indifférent ce Rembrandt, dont la Ronde de Nuit leur est inexplicable et ridicule, puisqu'on n'y voit pas des petites filles qui dansent, le soir, dans un jardin... Chaque mouvement du buste des bras, des jambes qui, souvent se devinent sous la batiste brodée de la robe, chaque balancement des hanches, chaque pli de la jupe est une élégance, une caresse, une invention de beauté, une fête émouvante de la vie. Bien qu'elle soit fine de lignes, d'apparence presque délicate, on la sent ronde et ferme avec une peau qui, certainement, irradie de la lumière, comme, au crépuscule, ces grands iris blancs de Florence...

      Tout à coup, elle pousse un petit cri d'oiseau, s'arrête de courir, se hausse sur la pointe de ses souliers mordorés, allonge divinement les bras, tend son buste élastique, et prend je ne sais quoi sur une branche du laurier.

      Les deux petites trépignent, tapent dans leurs mains.

      —Donne... donne... maman.

      Et je vois dans sa main, gantée de suède du même blond que les cheveux, une coquille de petit escargot, sèche et vide.

      —Ah! le pauvre petit!... Il est mort... dit-elle avec un air de consternation délicieuse... Il est mort!

      Je crois bien qu'il est mort, le pauvre escargot... Il est mort depuis des millions d'années, car c'est un escargot fossile... Avec des précautions infinies, des tendresses maternelles, qui furent des prodiges de grâce sculpturale, elle remet la coquille, dans la fourche d'une branche. Elle semble lui dire:

      —Dors, petit, dors!

      Puis elle recommence de courir, de poursuivre les deux petites filles, en criant:

      —Jeanne... Gabrielle... mes amours... Le gros lion... le gros lion... le gros lion!

      Comme Jeanne, Gabrielle, faisant semblant d'avoir peur, se mettent à pleurer pour rire, la jeune femme se baisse, s'accroupit, attire dans ses bras les enfants qu'elle dévore de caresses et de baisers:

      —O les petites bébêtes aimées!... les chères bébêtes adorées!

      Il ne m'a pas échappé que, se sentant regardée, admirée, elle a prodigué peut-être pour le portier de l'hôtel, peut-être pour le passant qui passe, peut-être pour moi aussi, le charme multiple de ses gestes, la grâce glissée ou appuyée de ses œillades. Mais je n'en tire aucune vanité, aucun espoir. Je connais ces coquetteries et jusqu'où elles vont, ou plutôt, jusqu'où elles ne vont pas.

      Du reste, il serait tout à fait surnaturel que, dans un hôtel de Bruxelles, il pût m'arriver des aventures qui ne me sont jamais arrivées dans aucun hôtel du monde.

      N'y pensons plus, comme chante M. Gounod, et allons bravement voir le Manneken-Piss, puisque c'est par là que tout finit, ici...

      Tout de même, le soir, j'ai voulu m'informer auprès du garçon:

      —C'est une dame de Paris... explique-t-il... elle vient quelquefois... elle se fait appeler Madame X... mais nous savons que ce n'est pas son nom...

      —Ah!

      —Oui...

      Il s'approche de moi, et tout bas, avec une sorte de gravité confidentielle:

      —Le Roi en est!...

      L'accent belge.

      Leurs théâtres, sauf le théâtre du Parc, qui est tout à fait français, c'est presque la Comédie-Française, presque l'Opéra, presque les Nouveautés, presque l'Olympia, mais avec l'accent. Or, cet accent est triste et comique, à la façon d'un air faux.

      Non seulement les ingénues, les grandes coquettes, les jeunes premières, les vieilles dernières, les amoureux, les pères nobles, les chanteuses, les choristes, les souffleurs, régisseurs, décorateurs, les gymnastes, les montreurs de phoques et les écuyères, ont cet accent sans accent qui fait rire et qui fait pleurer aussi, mais—chose fantastique—les danseuses également, les danseuses surtout qui, ne pouvant mettre l'accent dans leur bouche, l'introduisent dans leurs jambes, dans leurs bras, dans leurs sourires, dans leurs exercices de désarticulation, dans toutes leurs poses, jusque dans le frémissement aérien des tutus envolés.

      Je suis allé au Palais de Justice, où ils ont entassé pêle-mêle, tant qu'ils ont pu, des souvenirs de monuments sur des monuments de souvenirs, pour n'aboutir qu'à un monument d'une laideur invraisemblable. Ils y ont empilé de l'assyrien sur du gothique, du gothique sur du tibétain, du tibétain sur du Louis XVI, du Louis XVI sur du papou... C'est tellement laid, que ça en devient beau...

      On y jugeait un pauvre diable de Français qui, ne pensant pas à mal, et pour s'emparer de son argent, dont elle ne faisait rien, avait étranglé une vieille dame de Bruxelles. Sa mine réjouie, bonasse, naïve me frappa. M. Edmond Picard le défendait, car, non seulement M. Edmond Picard écrit, mais il parle aussi le belge le plus pur et le plus châtié.

      Quand le président lut, avec l'accent qui, cette fois, me parut d'un comique étrangement sinistre, l'arrêt qui le condamnait au bagne perpétuel, le client de M. Edmond Picard se mit à rire, à se tordre de rire. À plusieurs reprises, il applaudit frénétiquement.

      Le soir, il a dit à son avocat, qui lui reprochait sa conduite inconvenante:

      —Je ne croyais pas que c'était vrai... Je m'imaginais qu'on m'avait amené au théâtre, pour me distraire un peu, et me faire voir les meilleurs comiques de l'endroit. J'étais content... Je m'amusais... Ah! je m'amusais!... Que voulez-vous? J'aime les imitations...

      Et il a ajouté, déçu:

      —Alors, c'est pas imité?... Ce juge, c'était bien un juge?... Et vous, vous êtes bien un avocat?... Et moi, je suis bien un assassin?... Ah vrai!...

      Le repas des funérailles.

      Il m'a bien fallu aller à l'enterrement de Mme Hoockenbeck, la femme de mon ami Hoockenbeck. Il me savait à Bruxelles. D'ailleurs, un enterrement belge, je n'y eusse point manqué pour un empire.

      Mon ami Hoockenbeck, commerçant réputé,—il a brillamment réussi dans ses affaires,—homme politique important—il est député,—protecteur des arts—il est de toutes les sociétés artistiques qu'invente et préside M. Octave Maus,—mon ami Hoockenbeck est bien le type de ces pauvres diables dont on dit qu'ils «n'existent pas». Et si mon ami Hoockenbeck «n'existe pas» à Bruxelles, je vous laisse à imaginer... Hoockenbeck n'a jamais eu une opinion, ni un goût, ni une habitude, ni même une manie capable de résister, plus de cinq minutes, à une autre qu'on lui ait, je ne dis pas opposée, mais proposée. Rien de plus facile que de le faire varier, surtout dans les questions qui lui tiennent le plus à cœur: la pôlitiq, et l'art indépendant. Par exemple, il se montre intraitable, quant aux calembours. Il fait des calembours inlassablement, insupportablement. Cela vient de son bon naturel. Il aime faire rire. Et, comme il n'a pas toujours le choix, c'est de lui-même, le plus souvent, qu'il fait rire. Moi, qui n'ai pas une âme pure, il m'a beaucoup fait pleurer. Avec cela bavard, fatigant, médisant, curieux, vaniteux, au moins autant, à lui seul, que tous les autres hommes. Son seul avantage sur eux, c'est qu'il est tout cela, plus ingénument... Hoockenbeck est peut-être le seul homme

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