Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau
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Читать онлайн книгу Le crime d'Orcival - Emile Gaboriau страница 16
—Oh! inutile, répondit M. Lecoq avec un petit air suffisant, parfaitement inutile.
—Il est cependant indispensable que vous sachiez...
—Quoi? ce que sait, monsieur le juge d’instruction? interrompit l’agent de la Sûreté, je le sais déjà. Nous disons assassinat ayant le vol pour mobile, et nous partons de là. Nous avons ensuite l’escalade, le bris de clôture, les appartements bouleversés. Le cadavre de la comtesse a été trouvé, mais le corps du comte est introuvable. Quoi encore? La Ripaille est arrêté, c’est un mauvais drôle, en tout état de cause il mérite un peu de prison. Guespin est revenu ivre.
—Ah! il a de rudes charges contre lui, ce Guespin.
—Ses antécédents sont déplorables: on ne sait où il a passé la nuit, il refuse de répondre, il ne fournit pas d’alibi... c’est grave, très grave.
Le père Plantat examinait le doux agent avec un visible plaisir. Les autres auditeurs ne dissimulaient pas leur surprise.
—Qui donc vous a renseigné? demanda le juge d’instruction.
—Eh! eh! répondit M. Lecoq, tout le monde un peu.
—Mais où?
—Ici, je suis arrivé depuis plus de deux heures déjà, j’ai même entendu le discours de monsieur le maire.
Et satisfait de l’effet produit, M. Lecoq avala un carré de pâte.
—Comment, fit M. Domini d’un ton mécontent, vous ne saviez donc pas que je vous attendais.
—Pardon, répondit l’agent de la Sûreté, j’espère pourtant que monsieur le juge voudra bien m’entendre. C’est que l’étude du terrain est indispensable; il faut voir, dresser ses batteries. Je tiens à recueillir les bruits publics, l’opinion, comme on dit, pour m’en défier.
—Tout cela, prononça sévèrement M. Domini, ne justifie pas votre retard.
M. Lecoq eut un tendre regard pour le portrait.
—Monsieur le juge n’a qu’à s’informer rue de Jérusalem, répondit-il, on lui dira que je sais mon métier. L’important, pour bien faire une enquête, est de n’être point connu. La police—c’est bête comme tout—est mal vue. Maintenant qu’on sait qui je suis et pourquoi je viens, je puis sortir, on ne me dira plus rien, ou si j’interroge on me répondra mille mensonges, on se défiera de moi, on aura des réticences.
—C’est assez juste, objecta M. Plantat venant au secours de l’agent de la Sûreté.
—Donc, poursuivit M. Lecoq, quand on m’a dit, là-bas c’est en province, j’ai pris ma tête de province. J’arrive, et tout le monde, en me voyant, se dit: «Voilà un bonhomme bien curieux, mais pas méchant.» Alors, je me glisse, je me faufile, j’écoute, je parle, je fais parler! j’interroge, on me répond à cœur ouvert; je me renseigne, je recueille des indications; on ne se gêne pas avec moi. Ils sont charmants, les gens d’Orcival, je me suis déjà fait plusieurs amis, et on m’a invité à dîner pour ce soir.
M. Domini n’aime pas la police et ne s’en cache guère. Il subit sa collaboration plutôt qu’il ne l’accepte, uniquement parce qu’il ne peut s’en passer.
Dans sa droiture, il condamne les moyens qu’elle est parfois forcée d’employer, tout en reconnaissant la nécessité de ces mêmes moyens.
En écoutant M. Lecoq, il ne pouvait s’empêcher de l’approuver, et cependant il le regardait d’un œil qui n’était rien moins qu’amical.
—Puisque vous savez tant de choses, lui dit-il sèchement, nous allons procéder à l’examen du théâtre du crime.
—Je suis aux ordres de monsieur le juge d’instruction, répondit laconiquement l’agent de la Sûreté.
Et comme tout le monde se levait, il profita du mouvement pour s’approcher du père Plantat et lui tendre sa bonbonnière.
—Monsieur le juge de paix en use-t-il?
Le père Plantat ne crut pas devoir lui refuser, il avala un morceau de jujube et la sérénité reparut sur le front de l’agent de la Sûreté. Il lui faut, comme à tous les grands comédiens, un public sympathique, et vaguement il sentait qu’on allait travailler devant un amateur.
VI
M. Lecoq s’engagea le premier dans l’escalier, et tout d’abord les taches de sang lui sautèrent aux yeux.
—Oh! faisait-il, d’un air révolté, à chaque tache nouvelle, oh! oh! les malheureux.
M. Courtois fut très touché de rencontrer cette sensibilité chez un agent de police. Il pensait que cette épithète de commisération s’appliquait aux victimes. Il se trompait, car M. Lecoq, tout en montant, continuait:
—Les malheureux! On ne salit pas tout ainsi dans une maison, ou du moins on essuie. On prend des précautions, que diable!
Arrivé au premier étage, à la porte du boudoir précédant la chambre à coucher, l’agent de la Sûreté s’arrêta, étudiant bien, avant d’y pénétrer, la disposition de l’appartement.
Ayant bien vu ce qu’il voulait voir, il entra en disant:
—Allons! je n’ai pas affaire à de mes pratiques.
—Mais il me semble, remarqua le juge d’instruction, que nous avons déjà des éléments d’instruction qui doivent singulièrement faciliter votre tâche. Il est clair que Guespin, s’il n’est pas complice du crime, en a du moins eu connaissance.
M. Lecoq eut un coup d’œil pour le portrait de la bonbonnière. C’était plus qu’un regard, c’était une confidence. Évidemment il disait à la chère défunte ce qu’il n’osait dire tout haut.
—Je sais bien, reprit-il, Guespin est terriblement compromis. Pourquoi ne veut-il pas dire où il a passé la nuit? D’un autre côté il a contre lui l’opinion publique, et alors, moi, naturellement je me défie.
L’agent de la Sûreté se tenait seul au milieu de la chambre—les autres personnes, sur sa prière, étaient restées sur le seuil—et promenant autour de lui son regard terne, il cherchait une signification à l’horrible désordre.
—Imbéciles! disait-il d’une voix irritée, doubles brutes! Non, vrai, on ne travaille pas de cette façon. Ce n’est pas une raison parce qu’on tue les gens afin de les voler, de tout casser chez eux. On ne défonce pas les meubles, que diable! On porte avec soi des rossignols, de jolis rossignols qui ne font aucun bruit, mais qui font d’excellente besogne. Maladroits! idiots! Ne dirait-on pas...