Le petit vieux des Batignolles. Emile Gaboriau
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C’est alors, et en désespoir de cause, que furent apposées les énigmatiques affiches qui, pendant une semaine, ont tant intrigué Paris—et aussi un peu la province.
—Qui peut être, se demandait-on, ce J.-B.-Casimir Godeuil qu’on réclame ainsi?
Les uns tenaient pour un enfant prodigue enfui de la maison paternelle, d’autres pour un introuvable héritier, le plus grand nombre pour un caissier envolé...
Mais notre but était rempli.
La colle des affiches n’était pas sèche encore, que M. J.-B.-Casimir Godeuil accourait, et que le Petit Journal traitait avec lui pour la publication du drame intitulé le Petit Vieux des Batignolles qui commençait la série de ses mémoires[A].
[A] Malheureusement J.-B.-Casimir Godeuil, qui avait promis d’apporter la suite de son manuscrit, a complétement disparu, et toutes les démarches tentées pour le retrouver sont restées infructueuses. Nous nous sommes néanmoins décidé à publier son unique récit qui contient un drame des plus émouvants. (Note de l’éditeur.)
Ceci dit, nous laissons la parole à J.-B.-Casimir Godeuil. Il avait fait précéder son récit de la courte préface suivante que nous avons cru devoir conserver parce qu’elle fait connaître ce qu’il était et quel but très-louable il poursuivait en écrivant ses souvenirs.
AVANT-PROPOS
On venait d’amener un prévenu devant le juge d’instruction, et malgré ses dénégations, ses ruses et un alibi qu’il invoquait, il fut convaincu de faux et de vol avec effraction.
Accablé par l’évidence des charges que j’avais réunies contre lui, il avoua son crime en s’écriant:
—Ah! si j’avais su de quels moyens disposent la justice et la police, et combien il est impossible de leur échapper, je serais resté honnête homme.
C’est en entendant cette réponse que l’idée me vint de recueillir mes souvenirs.
—Il faut qu’on sache!... me disais-je.
Et en publiant aujourd’hui mes mémoires, j’ai l’espérance, je dirai plus, j’ai la conviction d’accomplir une œuvre morale d’une haute utilité.
N’est-ce pas être utile, en effet, que de dépouiller le crime de sa sinistre poésie, et de le montrer tel qu’il est: lâche, ignoble, abject, repoussant?...
N’est-ce pas être utile que de prouver qu’il n’est pas au monde d’êtres aussi misérables que les insensés qui ont déclaré la guerre à la société?
Voilà ce que je prétends faire.
J’établirai irrécusablement qu’on a tout intérêt—et je dis un intérêt immédiat, positif, mathématique, escomptable même, à être honnête.
Je démontrerai clair comme le jour qu’avec notre organisation sociale, grâce au chemin de fer et au télégraphe électrique, l’impunité est impossible.
Le châtiment peut se faire attendre... il vient toujours.
Et alors, sans doute, il se rencontrera des malheureux qui réfléchiront avant de s’abandonner...
Plus d’un, que le faible murmure de sa conscience n’eût pas retenu, sera arrêté par la voix salutaire de la peur...
Dois-je expliquer maintenant ce que sont ces souvenirs?
J’essaye de décrire les luttes, le succès et les défaites d’une poignée d’hommes dévoués chargés d’assurer la sécurité de Paris.
Combien sont-ils pour tenir en échec tous les malfaiteurs d’une capitale qui, avec sa banlieue, compte plus de trois millions d’habitants?
Ils sont deux cents.
C’est à eux que je dédie ce livre.
Et ceci dit, je commence.
LE PETIT VIEUX DES BATIGNOLLES
I
Lorsque j’achevais mes études pour devenir officier de santé,—c’était le bon temps, j’avais vingt-trois ans,—je demeurais rue Monsieur-le-Prince; presque au coin de la rue Racine.
J’avais là, pour trente francs par mois, service compris, une chambre meublée qui en vaudrait bien cent aujourd’hui; si vaste que je passais très-aisément les manches de mon paletot sans ouvrir la fenêtre.
Sortant de bon matin pour suivre les visites de mon hôpital, rentrant fort tard parce que le café Leroy avait pour moi d’irrésistibles attraits, c’est à peine si je connaissais de vue les locataires de ma maison, gens paisibles tous, rentiers ou petits commerçants.
Il en est un, cependant, avec qui, peu à peu, je finis par me lier.
C’était un homme de taille moyenne, à physionomie insignifiante, toujours scrupuleusement rasé, et qu’on appelait, gros comme le bras, monsieur Méchinet.
Le portier le traitait avec une considération toute particulière, et ne manquait jamais, quand il passait devant sa loge, de retirer vivement sa casquette.
L’appartement de M. Méchinet ouvrant sur mon palier, juste en face de la porte de ma chambre, nous nous étions à diverses reprises trouvés nez à nez. En ces occasions, nous avions l’habitude de nous saluer.
Un soir, il entra chez moi me demander quelques allumettes; une nuit, je lui empruntai du tabac; un matin, il nous arriva de sortir en même temps et de marcher côte à côte un bout de chemin en causant...
Telles furent nos premières relations.
Sans être ni curieux ni défiant,—on ne l’est pas à l’âge que j’avais alors,—on aime à savoir à quoi s’en tenir sur le compte des gens avec lesquels on se lie.
J’en vins donc naturellement, non pas à observer l’existence de mon voisin, mais à m’occuper de ses faits et gestes.
Il était marié, et madame Caroline Méchinet, blonde et blanche, petite, rieuse et dodue, paraissait adorer son mari.
Mais