George Sand: La Coupe; Lupo Liverani; Le Toast; Garnier; Le Contrebandier; La Rêverie à Paris. George Sand

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George Sand: La Coupe; Lupo Liverani; Le Toast; Garnier; Le Contrebandier; La Rêverie à Paris - George Sand

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pouvoir de la donner aux hommes. Autrefois, grâce à la science, nous pouvions jouer avec elle, la hâter ou la reculer. Désormais elle nous échappe et se rit de nous. L'implacable vie qui nous possède nous condamne à respecter la vie. C'est un grand bien pour nous de n'être plus forcées de tuer pour vivre; mais c'est un grand mal aussi d'être forcé de laisser vivre ce que l'on voudrait voir mort.»

      XII

      En disant ces cruelles choses, la vieille magicienne a levé le bras comme pour frapper l'enfant; mais son bras est retombé sans force; le chien s'est jeté sur elle et a déchiré sa robe, souillée de taches noires qu'on dit être les restes du sang humain versé jadis dans les sacrifices. L'enfant; qui n'a pas compris ses paroles, mais qui a vu son geste horrible, a caché son visage dans le sein de la douce Zilla, et toutes les jeunes fées, ont ri follement de la rage de la sorcière et de l'audace du chien.

      XIII

      Les vieilles ont tancé et injurié les jeunes, et tant de paroles ont été dites que les ours en ont grogné d'ennui dans leurs tanières. Et tant de cris, de menaces, de rires, de moqueries et d'imprécations ont monté dans les airs, que les plus hautes cimes ont secoué leurs aigrettes de neige sur les arbres de la vallée. Alors la reine est arrivée, et tout est rentré dans le silence, car la reine des fées peut, dit-on, retirer le don de la parole à qui en abuse, et perdre la parole est ce que les fées redoutent le plus.

      XIV

      La reine est jeune comme au jour où elle a bu la coupe, car, en se procurant l'immortalité, les fées n'ont pu ni se vieillir ni se rajeunir, et toutes sont restées ce qu'elles étaient à ce moment suprême. Ainsi les jeunes sont toujours impétueuses ou riantes, les mûres toujours sérieuses ou mélancoliques, les vieilles toujours décrépites ou chagrines. La reine est grande et fraîche, c'est la plus forte, la plus belle, la plus douce et la plus sage des fées; c'est aussi la plus savante, c'est elle qui jadis a découvert le grand secret de la coupe d'immortalité.

      XV

      «Trollia, dit-elle, ta colère n'est qu'un bruit inutile. Les hommes valent ce qu'ils valent et sont ce qu'ils sont. Haïr est contraire à toute sagesse. Mais toi, Zilla, tu as été folle d'amener ici cet enfant. Avec quoi le feras-tu vivre? Ne sais-tu pas qu'il faut qu'il respire et qu'il mange à la manière des hommes? Lui permettras-tu de tuer les animaux ou de leur disputer l'œuf, le lait et le miel, ou seulement les plantes qui sont leur nourriture? Ne vois-tu pas qu'avec lui tu fais entrer la mort dans notre sanctuaire?

      XVI

      —Reine, répond la jeune fée, la mort ne règne-t-elle donc pas ici comme ailleurs? Avons-nous pu la bannir de devant nos yeux? et de ce que les fées ne la donnent pas, de ce que l'arome des fleurs suffit à leur nourriture, de ce que leur pas léger ne peut écraser un insecte, ni leur souffle éthéré absorber un atome de vie dans la nature, s'ensuit-il que les animaux ne se dévorent ni ne s'écrasent les uns les autres? Qu'importe que, parmi ces êtres dont la vie ne s'alimente que par la destruction, j'en amène ici deux de plus?

      XVII

      —Le chien, je te le passe, dit la reine; mais l'enfant amènera ici la douleur sentie et la mort tragique. Il tuera avec intelligence et préméditation, il nous montrera un affreux spectacle, il augmentera les pensées de meurtre et de haine qui règnent déjà chez quelques-unes d'entre nous, et la vue d'un être si semblable à nous, commettant des actes qui nous sont odieux, troublera la pureté de nos songes. Si tu le gardes, Zilla, tâche de modifier sa terrible nature, ou il me faudra te le reprendre et l'égarer dans les neiges où la mort viendra le chercher.»

      XVIII

      La reine n'a rien dit de plus. Elle conseille et ne commande pas. Elle s'éloigne et les fées se dispersent. Quelques-unes restent avec Zilla et l'interrogent. «Que veux-tu donc faire de cet enfant? Il est beau, j'en conviens, mais tu ne peux l'aimer. Vierge consacrée, tu as jadis prononcé le vœu terrible; tu n'as connu ni époux ni famille; aucun souvenir de ta vie mortelle ne t'a laissé le regret et le rêve de la maternité. D'ailleurs l'immortalité délivre de ces faiblesses et quiconque a bu la coupe a oublié l'amour.

      XIX

      —Il est vrai, dit Zilla, et ce que je rêve pour cet enfant n'a rien qui ressemble aux rêves de la vie humaine: il est pour moi une curiosité, et je m'étonne que vous ne partagiez pas l'amusement qu'il me donne. Depuis tant de siècles que nous avons rompu tout lien d'amitié avec sa race, nous ne la connaissons plus que par ses œuvres. Nous savons bien qu'elle est devenue plus habile et plus savante, ses travaux et ses inventions nous étonnent; mais nous ne savons pas si elle en vaut mieux pour cela et si ses méchants instincts ont changé.

      XX

      —Et tu veux voir ce que deviendra l'enfant des hommes, isolé de ses pareils et abandonné à lui-même, ou instruit par toi dans la haute science? Essaie. Nous t'aiderons à le conduire ou à l'observer. Souviens-toi seulement qu'il est faible et qu'il n'est pas encore méchant. Il te faudra donc le soigner mieux que l'oiseau dans son nid, et tu as pris là un grand souci, Zilla. Tu es aimable et douce, mais tu as plus de caprices que de volontés. Tu te lasseras de cette chaîne, et peut-être ferais-tu mieux de ne pas t'en charger.»

      XXI

      Elles parlaient ainsi par jalousie, car l'enfant leur plaisait, et plus d'une eût voulu le prendre. Les fées n'aiment pas avec le cœur, mais leur esprit est plein de convoitises et de curiosités. Elles s'ennuient, et ce qui leur vient du monde des hommes, où elles n'osent plus pénétrer ouvertement, leur est un sujet d'agitation et de surprise. Un joyau, un animal domestique, une montre, un miroir, tout ce qu'elles ne savent pas faire et tout ce dont elles n'ont pas besoin les charme et les occupe.

      XXII

      Elles méprisent profondément l'humanité; mais elles ne peuvent se défendre d'y songer et d'en jaser sans cesse. L'enfant leur tournait la tête. Quelques-unes convoitaient aussi le chien; mais Zilla était jalouse de ses captures, et, trouvant qu'on les lui disputait trop, elle les emmena dans une grotte éloignée du sanctuaire des fées et montra à l'enfant l'enceinte de forêts qu'il ne devait pas franchir sans sa permission. L'enfant pleura en lui disant: «J'ai faim.» Et quand elle l'eut fait manger, voyant qu'elle le quittait, il lui dit: «J'ai peur.»

      XXIII

      Zilla, qui avait trouvé l'enfant vorace, le trouva stupide, et, ne voulant pas se faire son esclave, elle lui montra où les chevrettes allaitaient leurs petits, où les abeilles cachaient leurs ruches, où les canards et les cygnes sauvages cachaient leurs œufs, et elle lui dit: «Cherche ta nourriture. Cache-toi aussi, toi, pour dérober ces choses, car les animaux deviendraient craintifs ou méchants, et les vieilles fées n'aiment pas à voir déranger les habitudes de leur vie.» L'enfant du prince s'étonna bien d'avoir à chercher lui même une si maigre chère. Il bouda et pleura, mais la fée n'y fit pas attention.

      XXIV

      Elle n'y fit pas attention, parce qu'elle ne se rappelait que vaguement les pleurs de son enfance, et que ces pleurs ne représentaient plus pour elle une souffrance appréciable. Elle s'en alla au sabbat, et le lendemain l'enfant eut faim et ne bouda plus. Le chien, qui ne boudait jamais, attrapa un lièvre et le mangea bel et bien. Au bout de trois jours, l'enfant pensa qu'il pourrait aisément ramasser du bois mort, allumer du feu et faire cuire le gibier pris par son chien; mais, comme il était paresseux, il se contenta des autres mets et les trouva bons.

      XXV

      Un peu plus tard, il oublia que les hommes font cuire la viande, et, voyant

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