Couscous Crème fraîche. Iris Maria vom Hof

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Couscous Crème fraîche - Iris Maria vom Hof

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pour le reste de la nuit. Katy lui caresse le dos jusqu’à ce que ses propres paupières se ferment, et elle se met à roupiller par terre, à côté du lit à barreaux. Katy est plutôt une tendre, elle est gentille avec tout le monde. Le reste de la famille est plutôt brusque. Mais parfois, son père la laisse lui laver les pieds, et lui donne même quelques centimes. Cet argent, elle l’économise. Elle ne gaspille pas un seul centime pour acheter des bonbons ou autres futilités. Comme toujours, Katy a un plan. Lorsqu’elle a enfin rassemblé une bonne petite somme – elle a l’impression d’avoir au moins cent francs – elle va toute seule au marché du quartier et s’en donne à cœur joie : elle trouve un roman-photo d’occasion pour sa mère, achète un paquet de Gauloises à son père. C’est déjà pas mal. Katy fait une véritable affaire pour ses frères : elle dégote un 45 tours de Johnny Hallyday, « L‘idole des Jeunes », qui n’est sorti qu’en janvier et a tout de suite été numéro un, du moins c’est ce qu’affirme le vendeur. C’est la classe, elle s’est vraiment bien débrouillée. La petite Katy est contente d’elle. Oh oui, elle est vraiment heureuse. Mais ça ne dure pas. On accepte ses cadeaux, mais ils ne font pas vraiment d’effet. Personne ne lui dit vraiment merci. Ils sont comme ça, les Ben Ali. Mais Katy, elle, est différente. +++++ Mon étoile dans le ciel – la voilà enfin. Tailleur crème, petit chapeau de paille, gants en cuir avec des petits trous, bas tout fins, et chaussures à talons super chic. C’est une Katy propre comme un sou neuf qui ouvre la porte de l’appartement à cette impressionnante apparition. La dame entre en souriant aimablement, et commence par poser par terre un gros carton. « Bonjour, madame Doucelle ! » « Bonjour, mon enfant ! » +++ Madame Doucelle est envoyée par le secours protestant, elle est assistante sociale bénévole. Epouse respectée du riche premier adjoint au maire et avocat Jean Doucelle, elle ressent une obligation élémentaire envers la société, comme pour compenser un bonheur familial sans nuage. Les Ben Ali comptent parmi ses protégés depuis des années, même si c’est uniquement pour les enfants qu’elle va chez eux. Et plus précisément pour leur petite fille. La vie n’est vraiment pas facile pour elle entre ses trois frères, un père alcoolique et une mère complètement demeurée, qui se laisse manifestement aller depuis la naissance de son dernier fils. Les trois sœurs mort-nées entre ses deux grands frères auraient été d’une grande aide pour Katy. Pas de chance. Pauvre petite fille. A chaque fois que la famille menace de sombrer dans le chaos, parce que le père pète un plomb, parce qu’il a perdu au jeu tout l’argent de l’assistance, parce que les factures s’accumulent, parce qu’on vient une fois de plus de leur couper l’eau ou l’électricité, donc à chaque fois que c’est l’anarchie totale, la mère Ben Ali l’appelle à l’aide. Madame Doucelle ressent toujours une répugnance face aux suppliques de la mère, mais elle fait son devoir, et s’occupe d’eux. +++ « Katy, ça va, toi ? » Katy reste muette comme une carpe, elle n’y arrive pas. Il y a tant de choses qu’elle aimerait raconter à cette belle dame, mais elle n’ose pas, elle a trop honte, elle est trop timide. Madame Doucelle est tellement loin au-dessus d’elle que Katy doit d’abord surmonter la timidité qui la paralyse. Katy y va pas à pas. Ouf. Elle inspire profondément, puis elle s’approche en ronronnant comme un chaton qui va avoir droit à des caresses. « Katy, tout va bien ? » « Oui, madame. » « Ta maman est là ? » « Oui, madame. Elle est au lit, elle a une maladie qui fait saigner. » « Qu’est-ce que tu dis » ? Madame Doucelle se précipite vers la chambre des Ben Ali, où elle entre sans frapper. Elle en ressort quelques instants après, rassurée sur la situation. « Katy, Laurent, venez me voir tous les deux ! » Curieux, Katy et Laurent examinent le contenu du carton : des conserves, des biscuits, des boîtes de sardines, un set de badminton, une écharpe de l’AC Le Havre ainsi que des affaires de sport pour les grands. « Merci, madame. Il y a vachement de choses ! Merci, madame », dit Katy poliment. +++ Laurent se barre avec l’écharpe du Havre. Le gamin sait parfaitement qu’il ne va pas pouvoir la garder longtemps, mais pour l’instant, elle est à lui. Katy tourne autour de madame Doucelle et, prenant son courage à deux mains, elle se colle contre sa jupe. Mh-hm, comme elle sent bon, cette fois encore ! Katy suit, comme ensorcelée, le parfum de madame Doucelle. Les yeux fermés, ravie, elle s’exclame : « Vous sentez tellement bon, madame, oh oui. » « Tu es gentille. » Katy sursaute lamentablement lorsque madame Doucelle pose sa main droite sur sa tête et dit tendrement « ma chère petite. » Katy sent qu’elle ne la laisse pas indifférente, qu’elle l’aime vraiment bien. Mon ange vêtu de soie. Parfumée. Poudrée. Ah oui, voilà qui ferait une bonne mère ! Si seulement elle pouvait m’adopter, se dit Katy, je me tirerais d’ici avec madame Sent-bon. Où alors, je n’ai qu’à monter dans le coffre de sa voiture bleu ciel. Comme ça, ils pourront tous aller se faire voir. Mais Katy est vite tirée de sa rêverie, car madame Doucelle doit déjà repartir. « J’ai encore quelque chose pour toi, ma petite. » L’idole de Katy lui donne en douce un autre petit paquet : un savon, un chemisier de sa plus jeune fille que celle-ci ne porte plus, et des fournitures scolaires qui coûtent la peau des fesses. « Merci, madame, merci ! » « Range-ça tout de suite, Katy », chuchote Madame Doucelle. « Merci, madame, merci mille fois ! » « Tu connais une bonne cachette ? » « Oui, madame, je sais où tout planquer. » « C’est bien. » +++ Stop, ça recommence. Comme lors des visites précédentes. Katy sait parfaitement ce qui va se passer, parce qu’à chaque fois, madame Doucelle hésite. Et elle émet des signaux assez clairs. Comme toujours, elle finit par prendre sur elle, s’éclaircit la voix plusieurs fois : hm-hm, et sort l’habituelle enveloppe blanche de son sac à main. Mais peut-être aussi qu’elle se racle la gorge à cause de cette puanteur qu’elle n’arrive plus à supporter au bout d’un moment ? C’est bien possible. Pas étonnant qu’on tousse, avec une odeur pareille. Katy ne la remarque plus, logique, quand on est dans cette puanteur jour et nuit. Ce qu’elle remarque très bien, en revanche, c’est quand ils n’ont plus de fric. Là, on prend le fusil, le mixeur, et on emmène tout chez ma tante. Pas la télé, mais à part ça tout ce qu’il est possible de monnayer. Et quand le père se plaint que même les chevaux n’ont plus rien à bouffer, là c’est la fin des haricots. Quand il ne peut même plus aller faire son tiercé, la mère Ben Ali appelle madame Doucelle : « Allô, madame, vous savez, on… » Eh merde, ça y est. Madame Doucelle va venir apporter du fric à la grosse larve. Le père va se remettre à boire et à taper. Et la larve va encore raconter des conneries à madame Doucelle. Les factures, les vêtements pour les enfants, son mari qui n’a toujours pas de travail alors qu’il en cherche tous les jours, bla bla bla. Katy aurait bien envie de tout raconter à madame Doucelle, absolument tout, de lui dire ce qui se passe vraiment. N’importe quoi. Cette fois encore, elle n’y arrive pas. Et lorsqu’elle revient à elle, après un moment de choc, mélange de déception et de tristesse à cause du départ de madame Doucelle, celle-ci est déjà au volant de sa Dauphine, en route vers une autre famille à problèmes.

      Quai de l’oubli

      Le Havre, février 1974 +++++ Sur un débarcadère isolé du port du Havre, le France, ancienne fierté du pays, est désarmé. Depuis son bateau-pilote, le capitaine du port manœuvre longuement l’ancien paquebot de luxe pour trouver son emplacement définitif. La coque craque, gronde, se dresse dans l’ombre d’une grue à la peinture écaillée. Dans ses pistons, toujours la résistance inébranlable du transatlantique à l’épreuve de toutes les tempêtes. Sur le quai, parmi les badauds, on trouve les Ben Ali en bonne place – le père, les fils aînés, Gérard et Denis, Laurent, le petit dernier, et Katy, qui a quatorze ans. Le père Ben Ali observe le géant fatigué. « En 1960, il avait une autre allure, le rafiot. Votre mère et moi, on était là », se vante-t-il devant ses enfants, « quand le président de Gaulle l’a inauguré, le général aussi était avec son épouse. C’était un sacré événement, je vous le dis. Le président a claqué une bouteille de champagne de six litres sur la proue, quel gâchis, à sa place j’aurais préféré me l’envoyer derrière la cravate. » « Les grands n’avaient pas eu le droit de venir ? » Demande Katy. « La ferme ! » Le père Ben Ali déteste qu’on lui coupe la parole. « C’était un sacré événement à l’époque, vous pouvez me croire. Les journaux en ont fait leurs choux gras : une prouesse technique et autres expressions ronflantes.

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