Les Néo-Ruraux Tome 1: Le Berger. Wolfgang Bendick

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Les Néo-Ruraux Tome 1: Le Berger - Wolfgang Bendick Les Néo-Ruraux

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: ce sont des lieux pour des gens qui ont quelque chose à vendre et ceux qui ont besoin de quelque chose. Ici le marché était en plus un lieu de rendez-vous pour les gens qui sinon vivaient éparpillés dans la multitude des vallées environnantes et ne se voyaient pas, aussi bien les autochtones que les néos. Et ici on apprenait toutes les nouvelles, avant que ça ne paraisse dans les journaux et aussi celles que ceux-ci ne publieraient jamais…

      Assis sur une terrasse derrière une bière nous regardâmes passer le courant humain. De temps en temps quelqu’un émergeait de la foule, venait vers nous et on se saluait à la manière française avec un « bisou », la bise soufflée sur chaque joue, ou on s’embrassait à la manière hippie. Quelques policiers déambulaient dans la foule, ce qui incitait plus d’un fumeur de joint à être un peu plus discret. D’autres ne se laissaient pas intimider et continuaient d’émietter et de rouler leur œuvre à trois feuilles. Ici régnait une sorte de trêve. A un stand de réfugiés vietnamiens nous achetâmes quelques nems que nous mangeâmes assis sur le mur de la rivière. Nous regardâmes en contrebas un groupe de gens habillés en couleurs faire passer un chilom assis sur le gravier de la berge. Mélangées au bruissement de l’eau, les fumées montaient vers nous jusqu’à notre nez. Sur le chemin du retour nous nous arrêtions ici et là, devant un bistro pour déguster une autre bière. On y rencontrait surtout des autochtones, qui comme nous prenaient encore un ‘coup pour la route’. Ici on parlait patois, le dialecte.

      Nous avions acquis un trépied auprès d’un ferrailleur, sous lequel, non loin du treuil, à l’écart de la maison nous allumâmes un feu avec du bois de démolition. Dans un chaudron nous fîmes chauffer de l’eau. Nous nous servîmes d’un arrosoir comme douche pour nous débarrasser de la couche noire de la semaine précédente. Ce qui avait pénétré plus en profondeur, nous le fîmes sortir en toussant et crachant pendant les jours suivants.

      *

      Ponctuel, notre fidèle cowboy nous livrait sa bouteille de lait à la caravane tous les matins, ou la montait au chantier et restait pendant un moment dans nos pattes. Parfois c’était sa mère ou son père qui limitait nos mouvements ou nous empêchait plus directement de travailler. « Ne font-ils rien d’autre toute la journée que de rester plantés là et de bavarder? » Ludwig prononça cette question qui me taraudait aussi. « Les Allemands, ne font-ils rien d’autre toute la journée que de bosser ? », devaient se demander ceux-ci en patois. Mais ces visites avaient l’avantage de nous mettre au courant de tout ce qui se passait au village et dans le monde. De plus Elie, le père de Jean-Paul, nous montrait petit à petit les parcelles qui avaient appartenu à la ferme. En les comparant avec le cadastre je découvris lesquelles avaient disparu. Parce qu’un autre voisin portait le même nom que notre ancien propriétaire, à savoir Dubuc. Pour distinguer ces deux personnes, on avait appelé chacun d’entre eux avec le nom de sa maison, lui « Le Graviaret », le nôtre « Le Pourtérès ». Ce qui signifiait qu’il venait du Portet d’Aspet, deux villages plus haut en bas du col qui portait le même nom et qu’il s’était marié avec une fille d’ici.

      La pièce où se trouvait la cheminée était séparée d’une autre chambre, plus petite, par une cloison en volige. Au fond de celle-ci se trouvait un lit. En dessous du lit le plancher était pourri. Lors de ma première visite de la cave j’avais découvert sous le lit, à travers le plancher pourri, un carton contenant des photos et des lettres. Je repris ce carton et je découvris des actes de cadastre qui remontaient jusqu’à l’année 1823. Dans ces derniers on mentionnait déjà quelqu’un surnommé « Le Pourtérès ». Je rangeai tous ces papiers dans une caisse afin de pouvoir les regarder plus tard, confortablement. Est-ce que dans quelques générations on parlera de « L’Allemand » en mentionnant cette ferme ?

      *

      En tout cas, en ce moment précis nous étions sûrement le centre de toutes les discussions au village. Quand nous traversions le village, on nous saluait, on nous regardait avec curiosité, on essayait de nous arrêter pour nous parler. Jean-Paul devait certainement profiter pleinement de sa fonction d’observateur. Le plus souvent nous descendions au village après le travail et le dîner afin de boire une bière au bistrot qui faisait parfois office de restaurant. Là se trouvait le seul téléphone public du village. L’auberge formait une équerre avec la rivière qui était retenue à cet endroit par une digue. Cinquante mètres en aval se trouvait une scierie presque en ruine, qui tournait parfois encore. Mais l’antique lame à ruban était actionnée maintenant par un moteur électrique. La famille de l’hôtelier habitait le premier étage de l’auberge étroite et dans une maison à côté de la scierie, où elle louait aussi des chambres d’hôte.

      Il n’y avait pas de cabine téléphonique, à proprement parler, mais l’appareil était accroché à côté des toilettes, une pièce minuscule, dans laquelle se trouvaient des « toilettes à la turque », avec un trou dont l’évacuation allait directo dans la rivière. La plupart du temps on ne se faisait pas déranger ici, parce que - à part les femmes - chacun réglait ses besoins à la manière française, directement dans la rivière. Ça revenait au même. Avec comme seule différence que le clapotis se faisait entendre immédiatement. Dans l’étroite antichambre des toilettes, quasiment dans la salle d’attente pour clients féminins, était accroché le téléphone. Le compteur, cependant, se trouvait au bar et devait être consulté avant et après chaque utilisation. C’est d’ici que nous effectuions les conversations avec nos bien-aimées. Le plus souvent très brèves, car en téléphonie, même dans le midi, il y avait la devise : « Time is money ! », le temps c'est de l’argent.

      Le bistrot, une pièce étroite et oblongue, avec le bar au fond à droite, n’ouvrait en général que le soir. Souvent quelqu’un partait à la recherche du barman pour lui annoncer qu’il y avait de la clientèle. La famille des hôteliers avait quatre fils âgés de 15 à 20 ans. Le plus souvent c’était l’un des quatre qui venait pour ouvrir. À côté du bar se trouvait une pièce avec une cheminée qui leur servait de salon. De cette pièce on arrivait dans la cuisine.

      Le soir c’était le rendez-vous des assoiffés de la vallée. Certains jours ça grouillait de chasseurs. Et ici tout le monde était chasseur. Souvent on trouvait les mêmes visages sauvages au bord des routes ou dans la forêt, fortement armés dans un vieil uniforme de l’armée, parfois avec blason allemand. Ces hommes avaient en commun leur amour pour les armes, pour la course dans les bois et leur soif énorme. On appelait « apéritif » ce cérémonial non limité dans le temps qui remplaçait très souvent le repas et qui pouvait s’étirer jusqu’à l’aube. Il n’existait quasiment pas d’heure de fermeture. Parfois quelqu’un tournait la clef et ça devenait une réunion privée. Et si par hasard, une patrouille passait dans la vallée, les gendarmes entraient, buvaient un verre et discutaient avec les gens. Parce que pour un policier tout ce qu’il entend peut être utile, surtout quand les langues sont déliées par l’alcool…

      Il arrivait que nous aussi nous nous retrouvions dans ce cercle humide et joyeux, même si nous n’étions initialement descendus que pour téléphoner. Tout autour de nous on parlait chasse, chiens, proie et calibres divers, dans un charabia incompréhensible pour nous. Avant même de passer une commande, un verre se trouvait déjà devant nous, généralement cette liqueur d’anis que nous buvions sans y ajouter d’eau. Ça faisait monter d’un degré la gaieté des gens présents qui s’efforçaient tous de nous apprendre à boire à la française. Le barman avait le boulot le plus difficile : à part boire il devait mémoriser tout qui avait été bu. Pour simplifier les choses chaque boisson coûtait le même prix et en plus on buvait en « tournées ». Chacun se bousculait pour payer la prochaine ronde ! On ré-remplissait les verres avant que ceux-ci ne soient vides. Alors, moins on avait soif, plus le verre se remplissait et plus sa contenance s’épaississait, parce qu’il ne restait plus de place pour l’eau. Heureusement on ne nous faisait que rarement payer une tournée. J’avais vite calculé le prix d’une tournée et immédiatement converti celui-ci en sacs de ciment.

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