Quatrevingt treize. Victor Hugo
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Читать онлайн книгу Quatrevingt treize - Victor Hugo страница 17
– D’un trou sous les arbres. Je sais.
– Cet homme, c’est Planchenault, qu’on appelle aussi Coeur-de-Roi. Tu lui montreras ce noeud. Il comprendra. Tu iras ensuite, par les chemins que tu inventeras, au bois d’Astillé; tu y trouveras un homme cagneux qui est surnommé Mousqueton, et qui ne fait miséricorde à personne. Tu lui diras que je l’aime, et qu’il mette en branle ses paroisses. Tu iras ensuite au bois de Couesbon qui est à une lieue de Ploërmel. Tu feras l’appel de la chouette; un homme sortira d’un trou; c’est M. Thuault, sénéchal de Ploërmel, qui a été de ce qu’on appelle l’Assemblée constituante, mais du bon côté. Tu lui diras d’armer le château de Couesbon qui est au marquis de Guer, émigré. Ravins, petits bois, terrain inégal, bon endroit. M. Thuault est un homme droit et d’esprit. Tu iras ensuite à Saint-Ouen-les-Toits, et tu parleras à Jean Chouan, qui est à mes yeux le vrai chef. Tu iras ensuite au bois de Ville-Anglose, tu y verras Guitter, qu’on appelle Saint-Martin, tu lui diras d’avoir l’oeil sur un certain Courmesnil, qui est gendre du vieux Goupil de Préfeln et qui mène la jacobinière d’Argentan. Retiens bien tout. Je n’écris rien parce qu’il ne faut rien écrire. La Rouarie a écrit une liste; cela a tout perdu. Tu iras ensuite au bois de Rougefeu où est Miélette qui saute par-dessus les ravins en s’arc-boutant sur une longue perche.
– Cela s’appelle une ferte.
– Sais-tu t’en servir?
– Je ne serais donc pas Breton et je ne serais donc pas paysan? La ferte, c’est notre amie. Elle agrandit nos bras et allonge nos jambes.
– C’est-à-dire qu’elle rapetisse l’ennemi et raccourcit le chemin. Bon engin.
– Une fois, avec ma ferte, j’ai tenu tête à trois gabeloux qui avaient des sabres.
– Quand ça?
– Il y a dix ans.
– Sous le roi?
– Mais oui.
– Tu t’es donc battu sous le roi?
– Mais oui.
– Contre qui?
– Ma foi, je ne sais pas. J’étais faux-saulnier.
– C’est bien.
– On appelait cela se battre contre les gabelles. Les gabelles, est-ce que c’est la même chose que le roi?
– Oui. Non. Mais il n’est pas nécessaire que tu comprennes cela.
– Je demande pardon à monseigneur d’avoir fait une question à monseigneur.
– Continuons. Connais-tu la Tourgue?
– Si je connais la Tourgue! j’en suis.
– Comment?
– Oui, puisque je suis de Parigné.
– En effet, la Tourgue est voisine de Parigné.
– Si je connais la Tourgue! Le gros château rond qui est le château de famille de mes seigneurs! Il y a une grosse porte de fer qui sépare le bâtiment neuf du bâtiment vieux et qu’on n’enfoncerait pas avec du canon. C’est dans le bâtiment neuf qu’est le fameux livre sur saint Barthélemy qu’on venait voir par curiosité. Il y a des grenouilles dans l’herbe. J’ai joué tout petit avec ces grenouilles-là. Et la passe souterraine! je la connais. Il n’y a peut-être plus que moi qui la connaisse.
– Quelle passe souterraine? Je ne sais pas ce que tu veux dire.
– C’était pour autrefois, dans les temps, quand la Tourgue était assiégée. Les gens du dedans pouvaient se sauver dehors en passant par un passage sous terre qui va aboutir à la forêt.
– En effet, il y a un passage souterrain de ce genre au château de la Jupellière, et au château de la Hunaudaye, et à la tour de Champéon; mais il n’y a rien de pareil à la Tourgue.
– Si fait, monseigneur. Je ne connais pas ces passages-là dont monseigneur parle. Je ne connais que celui de la Tourgue, parce que je suis du pays. Et, encore, il n’y a guère que moi qui sache cette passe-là. On n’en parlait pas. C’était défendu, parce que ce passage avait servi du temps des guerres de M. de Rohan. Mon père savait le secret et il me l’a montré. Je connais le secret pour entrer et le secret pour sortir. Si je suis dans la forêt, je puis aller dans la tour, et si je suis dans la tour, je puis aller dans la forêt, sans qu’on me voie. Et quand les ennemis entrent, il n’y a plus personne. Voilà ce que c’est que la Tourgue. Ah! je la connais.
Le vieillard demeura un moment silencieux.
– Tu te trompes évidemment; s’il y avait un tel secret, je le saurais.
– Monseigneur, j’en suis sûr. Il y a une pierre qui tourne.
– Ah bon! Vous autres paysans, vous croyez aux pierres qui tournent, aux pierres qui chantent, aux pierres qui vont boire la nuit au ruisseau d’à côté. Tas de contes.
– Mais puisque je l’ai fait tourner, la pierre…
– Comme d’autres l’ont entendue chanter. Camarade, la Tourgue est une bastille sûre et forte, facile à défendre; mais celui qui compterait sur une issue souterraine pour s’en tirer serait naïf.
– Mais, monseigneur…
Le vieillard haussa les épaules.
– Ne perdons pas de temps, parlons de nos affaires.
Ce ton péremptoire coupa court à l’insistance de Halmalo.
Le vieillard reprit:
– Poursuivons. Écoute. De Rougefeu, tu iras au bois de Montchevrier, où est Bénédicité, qui est le chef des Douze. C’est encore un bon. Il dit son Benedicite pendant qu’il fait arquebuser les gens. En guerre, pas de sensiblerie. De Montchevrier, tu iras…
Il s’interrompit.
– J’oubliais l’argent.
Il prit dans sa poche et mit dans la main de Halmalo une bourse et un portefeuille.
– Voilà dans ce portefeuille trente mille francs en assignats, quelque chose comme trois livres dix sous; il faut dire que les assignats sont faux, mais les vrais valent juste autant; et voici dans cette bourse, attention, cent louis en or. Je te donne tout ce que j’ai. Je n’ai plus besoin de rien ici. D’ailleurs, il vaut mieux qu’on ne puisse pas trouver d’argent sur moi. Je reprends. De Montchevrier tu iras à Antrain, où tu verras M. de Frotté; d’Antrain à la Jupellière, où tu verras M. de Rochecotte; de la Jupellière à Noirieux, où tu verras l’abbé Baudouin. Te rappelleras-tu tout cela?
– Comme mon Pater.
– Tu verras M. Dubois-Guy à Saint-Brice-en-Cogle, M. de Turpin, à Morannes, qui est un bourg fortifié, et le prince de Talmont, à Château-Gonthier.
– Est-ce qu’un prince me parlera?
– Puisque je te parle.