Quatrevingt treize. Victor Hugo

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Quatrevingt treize - Victor  Hugo

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le tocsin, on le sonnait frénétiquement, on le sonnait partout, dans tous les clochers, dans toutes les paroisses, dans tous les villages, et l’on n’entendait rien.

      Cela tenait à la distance qui empêchait les sons d’arriver et au vent de mer qui soufflait du côté opposé et qui emportait tous les bruits de la terre hors de l’horizon.

      Toutes ces cloches forcenées appelant de toutes parts, et en même temps ce silence, rien de plus sinistre.

      Le vieillard regardait et écoutait.

      Il n’entendait pas le tocsin, et il le voyait. Voir le tocsin, sensation étrange.

      À qui en voulaient ces cloches?

      Contre qui ce tocsin?

      III. UTILITÉ DES GROS CARACTÈRES

      Certainement quelqu’un était traqué.

      Qui?

      Cet homme d’acier eut un frémissement.

      Ce ne pouvait être lui. On n’avait pu deviner son arrivée, il était impossible que les représentants en mission fussent déjà informés; il venait à peine de débarquer. La corvette avait évidemment sombré sans qu’un homme échappât. Et dans la corvette même, excepté Boisberthelot et La Vieuville, personne ne savait son nom.

      Les clochers continuaient leur jeu farouche. Il les examinait et les comptait machinalement, et sa rêverie, poussée d’une conjecture à l’autre, avait cette fluctuation que donne le passage d’une sécurité profonde à une certitude terrible. Pourtant, après tout, ce tocsin pouvait s’expliquer de bien des façons, et il finissait par se rassurer en se répétant: «En somme, personne ne sait mon arrivée et personne ne sait mon nom». Depuis quelques instants il se faisait un léger bruit au-dessus de lui et derrière lui. Ce bruit ressemblait au froissement d’une feuille d’arbre agitée. Il n’y prit d’abord pas garde; puis, comme le bruit persistait, on pourrait dire insistait, il finit par se retourner. C’était une feuille en effet, mais une feuille de papier. Le vent était en train de décoller au-dessus de sa tête une large affiche appliquée sur la pierre milliaire. Cette affiche était placardée depuis peu de temps, car elle était encore humide et offrait prise au vent qui s’était mis à jouer avec elle et qui la détachait.

      Le vieillard avait gravi la dune du côté opposé et n’avait pas vu cette affiche en arrivant.

      Il monta sur la borne où il était assis, et posa sa main sur le coin du placard que le vent soulevait; le ciel était serein, les crépuscules sont longs en juin; le bas de la dune était ténébreux, mais le haut était éclairé; une partie de l’affiche était imprimée en grosses lettres, et il faisait encore assez de jour pour qu’on pût les lire. Il lut ceci:

      RÉPUBLIQUE FRANÇAISE, UNE ET INDIVISIBLE.

      «Nous, Prieur, de la Marne, représentant du peuple en mission près de l’armée des Côtes-de-Cherbourg, – ordonnons: – Le ci-devant marquis de Lantenac, vicomte de Fontenay, soi-disant prince breton, furtivement débarqué sur la côte de Granville, est mis hors la loi. – Sa tête est mise à prix. – Il sera payé à qui le livrera, mort ou vivant, la somme de soixante mille livres. – Cette somme ne sera point payée en assignats, mais en or. – Un bataillon de l’armée des Côtes-de-Cherbourg sera immédiatement envoyé à la rencontre et à la recherche du ci-devant marquis de Lantenac. – Les communes sont requises de prêter main-forte. – Fait en la maison commune de Granville, le 2 juin 1793. – Signé:

      «PRIEUR, DE LA MARNE».

      Au-dessous de ce nom il y avait une autre signature, qui était en beaucoup plus petit caractère, et qu’on ne pouvait lire à cause du peu de jour qui restait.

      Le vieillard rabaissa son chapeau sur ses yeux, croisa sa cape de mer jusque sous son menton, et descendit rapidement la dune. Il était évidemment inutile de s’attarder sur ce sommet éclairé.

      Il y avait été peut-être trop longtemps déjà; le haut de la dune était le seul point du paysage qui fût resté visible.

      Quand il fut en bas et dans l’obscurité, il ralentit le pas.

      Il se dirigeait dans le sens de l’itinéraire qu’il s’était tracé vers la métairie, ayant probablement des raisons de sécurité de ce côté-là.

      Tout était désert. C’était l’heure où il n’y avait plus de passants.

      Derrière une broussaille, il s’arrêta, défit son manteau, retourna sa veste du côté velu, rattacha à son cou son manteau qui était une guenille nouée d’une corde, et se remit en route.

      Il faisait clair de lune.

      Il arriva à un embranchement de deux chemins où se dressait une vieille croix de pierre. Sur le piédestal de la croix on distinguait un carré blanc qui était vraisemblablement une affiche pareille à celle qu’il venait de lire. Il s’en approcha.

      – Où allez-vous? lui dit une voix.

      Il se retourna.

      Un homme était là dans les haies, de haute taille comme lui, vieux comme lui, comme lui en cheveux blancs, et plus en haillons encore que lui-même. Presque son pareil.

      Cet homme s’appuyait sur un long bâton.

      L’homme reprit:

      – Je vous demande où vous allez?

      – D’abord où suis-je? dit-il, avec un calme presque hautain.

      L’homme répondit:

      – Vous êtes dans la seigneurie de Tanis, et j’en suis le mendiant, et vous en êtes le seigneur.

      – Moi?

      – Oui, vous, monsieur le marquis de Lantenac.

      IV. LE CAIMAND

      Le marquis de Lantenac, nous le nommerons par son nom désormais, répondit gravement:

      – Soit. Livrez-moi.

      L’homme poursuivit:

      – Nous sommes tous deux chez nous ici, vous dans le château, moi dans le buisson.

      – Finissons. Faites. Livrez-moi, dit le marquis.

      L’homme continua:

      – Vous alliez à la métairie d’Herbe-en-Pail, n’est-ce pas?

      – Oui.

      – N’y allez point.

      – Pourquoi?

      – Parce que les bleus y sont.

      – Depuis quand?

      – Depuis trois jours.

      – Les habitants de la ferme et du hameau ont-ils résisté?

      – Non. Ils ont ouvert toutes les portes.

      – Ah! dit le marquis.

      L’homme

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