Le canon du sommeil. Paul d'Ivoi

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Le canon du sommeil - Paul  d'Ivoi

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(la Tanagra disait vrai) dont je ne connaissais pas le visage, car, en Espagne, je l’avais vu sous divers aspects dont aucun, j’en avais la conviction, n’était son aspect réel.

      Puis avec un léger mouvement de joie, première manifestation du réveil de mon âme de journaliste.

      – Voyons la primeur pour le Times.

      Ah! elle était de nature à satisfaire le plus exigeant des reporters.

      Voici ce que me mandait ma correspondante de Lemberg.

      «Le Czar, Empereur de toutes les Russies, désireux de rendre la prospérité à ses peuples, en mettant fin aux bouleversements révolutionnaires a pensé que l’entente de tous les partis représentés à la Douma (assemblée élue) était nécessaire. Il a donc obtenu des divers groupements politiques que chacun désignât un délégué chargé d’élaborer, de concert avec les autres, un programme de réformes financières, administratives, militaires, civiques, susceptible de rallier la presque unanimité de l’Assemblée.

      «Ceci, bien entendu, en dehors du Saint-Synode, ou Conseil supérieur de la religion grecque orthodoxe, lequel conseil est, on le sait, irrémédiablement inféodé à l’idée d’autocratie théocratique, grâce à quoi il a dominé jusqu’à ce jour et l’Empereur et la nation russe.

      – Par Jupiter, grommelai-je, tout le monde sait cela. La révolution slave est née de la tyrannie de ce Saint-Synode, qui ne voit dans la divinité qu’un moyen de tyranniser les hommes.

      Et je repris ma lecture.

      «Les cinq délégués, il y en avait cinq: Albarev, Triliapkine, Arzov, Birski et le prince Alexandrowitch Voran, partirent secrètement, chacun de son côté, gagnèrent Moscou la Sainte et se réunirent dans l’enceinte du Kremlin, où une salle spéciale avait été affectée à leurs délibérations.

      «C’était la salle Nicolaieff, cette rotonde percée d’une seule porte, et qui prend jour par une toiture circulaire, dont les vitraux, sortis des usines d’Odessa, figurent en personnages polychromes l’allégorie de la Russie réunissant l’Europe à l’Asie. Les premières séances s’écoulèrent paisiblement. Tous les délégués se montraient remplis de bonne volonté. Le travail avançait rapidement et l’on pouvait prévoir qu’avant une quinzaine, le programme des réformes attendues pourrait être soumis à l’approbation du Czar et de la Douma.

      «Or, le 12 courant, dans la soirée, les cinq commissaires se réunirent en comité de rédaction, afin d’arrêter le texte définitif des articles votés jusqu’à ce moment, texte qui serait envoyé le lendemain à Saint-Pétersbourg, afin que les pouvoirs intéressés pussent en commencer l’étude, tandis que la commission de Moscou achèverait son œuvre.

      «La séance s’ouvrit à huit heures exactement.

      «Les délégués s’enfermèrent suivant leur usage, ne voulant pas qu’un écho quelconque de leurs discussions parvînt au dehors.

      «Des gardes du régiment d’Ekaterinoslav veillaient dans la galerie sur laquelle s’ouvre l’unique porte de la rotonde Nicolaieff.

      «Ces gardes furent relevés trois fois: à 10 heures, à minuit, à 2 heures du matin. L’officier, commandant le service commença à trouver le temps long. Véritablement, la commission devait éprouver des difficultés de rédaction, impossibles à expliquer, puisque le lendemain, un courrier spécial avait été commandé pour convoyer à Saint-Pétersbourg, la part du travail accomplie, ce qui démontrait clairement qu’au moins, avant la séance, les commissaires se croyaient d’accord.

      «Toutefois, une consigne ne se discute pas. Le capitaine, c’était un capitaine qui était à la tête du détachement, rongea son frein.

      «Mais quand quatre heures sonnèrent, lui annonçant qu’il fallait de nouveau procéder à la relève des factionnaires, il ne fut pas maître d’une certaine impatience. Son cerveau d’homme d’action se rebellait contre la pensée que des êtres raisonnables pussent prolonger, de gaieté de cœur, aussi longuement le tête à tête avec des paperasses barbouillées d’encre.

      «Les soldats rentrant au poste déclaraient d’ailleurs qu’aucun bruit de voix n’était arrivé jusqu’à eux. Or, la porte de la rotonde fermait bien. Une tenture la voilait à l’intérieur; mais les éclats d’une discussion orageuse fussent parvenus aux oreilles des gardes occupant la galerie.

      «Ce rapport donna un corps à l’agacement du capitaine.

      «Il se décida à expédier un planton au colonel qui assistait ce soir-là à une fête très brillante offerte par le gouverneur, à l’occasion de la dix-huitième année de sa fille.

      «Le colonel s’étonna de l’ardeur au travail de la commission.

      «Il en parla à d’autres officiers. La chose parvint jusqu’au gouverneur. L’on se consulta. Tout le monde connaît la paresse slave et les Slaves eux-mêmes mieux que tout le monde…

      «Les délégués avaient dû s’endormir sur leurs papiers. Impossible d’expliquer autrement la longueur de leur réunion. Il serait charitable de les envoyer dormir en des chambres plus spécialement affectées à cette opération.

      «Seulement, personne ne voulait prendre la responsabilité de pareille démarche. Les délégués étaient des hommes choisis par le Czar, ils apparaissaient comme une émanation du «petit père» (l’Empereur)… Le moyen d’oser dire à des «émanations pareilles»:

      «– Allez au lit!

      «On se serait sans doute décidé à abandonner les commissaires et le détachement de l’Ekaterinoslav au hasard d’un réveil plus ou moins éloigné, quand l’héroïne de la fête, Mlle Sonia, (à 18 ans, on n’a point le respect des institutions bien chevillé dans l’âme) proposa, comme un intermède impromptu, d’aller en procession réveiller ces «messieurs».

      «Elle désignait par avance la plaisanterie par le titre prometteur d’Aubade de la Douma. Le mot fit fortune. Aucun n’eût consenti à marcher le premier; mais Mlle Sonia prenant la tête du mouvement, chacun tint à honneur d’être le second.

      «Cela s’organisa au milieu de grands éclats de rire.

      «Sur les robes de bal, les habits de soirée, les uniformes, on jeta les chaudes pelisses, car il gelait fort en cette nuit, à Moscou la Sainte.

      «On sortit par deux du palais du gouvernement; on traversa la cour célèbre, où se dressent ces deux curiosités géantes du Kremlin, le canon qui n’a jamais tonné, et la cloche qui n’a jamais sonné.

      «On atteignit le pavillon qui enferme la rotonde Nicolaieff. L’arrivée de tout ce monde élégant mit en joie les soldats de garde. Ils suivirent le cortège. Dans la galerie où veillaient les factionnaires, ceux-ci rendirent les honneurs et Sonia, secouée par une hilarité incoercible s’approcha de la porte, derrière laquelle s’oubliaient les délégués. Elle frappa par trois fois, en criant à la joie générale:

      «– Pour Dieu. Pour la Patrie. Pour le Czar, il est grand temps d’aller dormir.

      «Seulement, les rires cessèrent; après un instant d’attente. La porte demeurait close, et il ne semblait pas que la sommation burlesque eût attiré l’attention des commissaires.

      «On se regarda avec un commencement d’anxiété.

      «Le

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