Le canon du sommeil. Paul d'Ivoi

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Le canon du sommeil - Paul  d'Ivoi

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lors de notre fête scolaire de mai. Tout le pensionnat, je crois, a eu recours au talent du professeur Stebb, vous connaissez sans doute, une médaille d’or à la dernière exposition d’art photographique.

      Et comme je secouais la tête, elle reprit avec le souci évident de ne pas me mécontenter:

      – Vous voulez savoir laquelle des deux est la chère petite disparue? Eh bien, c’est celle qui occupe la gauche de la photographie… l’autre, Miss Ruthie Niellan.

      Je me laissai tomber sur une chaise en m’empoignant le crâne à deux mains.

      Miss Ellen était le portrait frappant de la marquise de Almaceda, de la Tanagra mystérieuse dont ma pensée s’était si souvent occupée déjà!

      Frappant, oui, je le répète.

      – Cheveux bruns, parmi lesquels brillent des cheveux d’or?

      – Oui, balbutia la directrice avec un regard stupéfait.

      – Des yeux d’une couleur indéfinissable, dont on ne sait dire s’ils sont verts ou bleus.

      – Oui, fit-elle encore. – Et par réflexion – Comment pouvez-vous distinguer cela sur une photographie au platine?

      Je ne tins aucun compte de la question. J’étais hypnotisé par cette image soudain apparue. Quoi? Était-il possible que pareille ressemblance existât? Car elle était effrayante la ressemblance… Mêmes traits, mêmes lignes du corps, même élégance souple…; tout au plus découvrait-on dans la physionomie une tendance à la gaieté qui manquait à ma «Tanagra».

      Oui, miss Ellen devait être gaie, tandis que l’autre souffrait d’une incurable mélancolie.

      – Cette jeune fille aimait rire, jouer… Elle était de nature joyeuse.

      – Un joli et mélodieux pinson, s’exclama la vieille dame.

      Puis, joignant les mains:

      – Oh! vous méritez bien votre réputation; jamais je n’aurais pensé qu’un homme pouvait découvrir tant de choses sur un simple portrait album en noir!

      Ah! digne Mistress, je portais en moi une autre photographie, que des jours de sang et de détresse avaient gravée dans mon cœur.

      VII. EN ROUTE

      Durant quelques minutes, je demeurai tout à fait inconscient de moi-même.

      La Tanagra, Miss Ellen, deux sosies. Sans compter le troisième que m’avait indiqué tout à l’heure la bonne Mrs. Trilny, la maman de miss Ellen, blonde, quarante ans, mais ressemblant si parfaitement à sa fille, que la directrice n’avait pas hésité à reconnaître leur étroite parenté.

      Être blonde, paraître quarante ans, on y peut arriver par déguisement, maquillage, teinture… On n’a jamais certainement l’âge que l’on paraît, ni les cheveux que l’on semble avoir.

      Pourquoi cette réflexion d’apparence inopportune?

      Parce qu’un rapprochement s’était opéré automatiquement en mon esprit.

      La mère d’Ellen s’était présentée la veille à la pension. Le matin un boy, m’avait apporté une lettre de Tanagra m’enjoignant de quitter Londres. Pourquoi ces deux femmes n’en feraient-elles pas une seule?

      Mon trouble cérébral augmentait de seconde en seconde, et je ne puis penser, sans inquiétude, à ce qui fût advenu de mon intellect, si Mrs. Trilny en avait jugé à propos de me tirer du labyrinthe de mes réflexions pour me demander:

      – Pensez-vous qu’il soit possible d’éviter le scandale?

      Ah! c’est juste. J’étais venu pour cela. Le «patron» me l’avait recommandé, tâcher d’éviter le scandale à Trilny-Dalton-School, à la digne directrice qui avait préféré s’adresser au Times plutôt qu’à Scotland-Yard.

      Une phrase inepte me monta aux lèvres. Je la prononçai, par exemple, d’un ton sentencieux qui impressionna mon interlocutrice.

      – Quand on souhaite qu’autrui ne parle pas d’une chose, il convient de n’en pas parler soi-même.

      La respectable dame me considéra un instant, puis d’une voix hésitante:

      – Voulez-vous dire que je dois faire le silence sur la disparition de la pauvre enfant?

      – C’est bien là ce que j’exprime.

      – Vous avez donc reconnu d’où vient cette triste aventure?

      – Oui et non, fis-je, un peu embarrassé, je l’avoue.

      Mais une pensée subite me rendit mon aplomb.

      – Oui, c’est oui, décidément. Je pars dans un instant pour le Continent et j’ai l’impression que j’y rencontrerai une personne, à qui il sera bon de conter l’aventure avant de se livrer à quelque démarche que ce soit.

      – Mais, la directrice semblait hésitante,… mais si la pauvre mère venait me réclamer sa fille?

      – Envoyez-la au Times…

      La vieille dame me saisit les mains, les serra avec force.

      – Je comprends… il y a un secret que vous ne croyez pas pouvoir me confier. Et alors vous m’indiquez qu’au Times, tout s’expliquera. Merci, merci… Ah! je suis bien heureuse d’avoir fait votre connaissance.

      Je profitai de ce qu’une pendule scolaire sonna la demie après huit heures pour prendre congé, sans m’expliquer davantage.

      La confiance de Mrs. Trilny me remplissait de confusion. Pauvre dame qui rendait hommage à ma discrétion, sans soupçonner que le mystère m’apparaissait beaucoup plus compliqué qu’à elle-même.

      Bah! À défaut de la réalité, donner l’illusion est encore une bonne action. Sur cette réflexion, démontrant à tout le moins mon ardent désir de vivre en bonne intelligence avec moi-même, je m’acheminai vers la gare de Charing-Cross.

      Tedd, mon boy, m’attendait, ma valise d’une main, mon ticket de l’autre. Je lui lis sommairement mes recommandations pour la garde de mon appartement; comme je ne savais trop où le hasard de l’aventure allait m’entraîner, je lui enjoignis, au cas où un fait grave se produirait, de l’insérer au Times, à la colonne «Petite correspondance» sous les initiales M. T X. Le Times se trouve partout. De la sorte, je serais avisé certainement.

      Après quoi, je le renvoyai à la douce oisiveté, qui serait son apanage durant mon absence.

      Il me restait vingt-sept minutes à dépenser avant l’heure du départ.

      J’en profitai pour me lester d’une couple de sandwiches, d’un verre de porto-wine, et cette satisfaction stomacale accordée au personnage préoccupé que j’étais, je gagnai le quai, pris place dans un compartiment de first class (première classe) et m’abandonnai à une rêverie qui, je suis forcé de le reconnaître, n’était point pour flatter l’orgueil d’un roi du reportage, lequel se sentait parfaitement esclave des événements.

      Une

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