Les cinq sous de Lavarède. Paul d'Ivoi
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Dans sa hâte de voler vers Aurett, Armand oublia de se munir d’un revolver. Il atteignit le château de la Cruz.
… Au moment même où la mule pénétrait dans le patio, José venait de rentrer dans la salle du rez-de-chaussée, où était prisonnière la pauvre Aurett.
– Choisissez, disait-il, de condamner votre père à mort ou de devenir ma femme.
Sur le pavé sonore et sec, les pieds de la mule firent comme un appel, auquel, inconsciemment, la petite Anglaise répondit.
Elle courut d’instinct vers la fenêtre. C’était un secours providentiel qui lui arrivait… au trot. Elle reconnut le cavalier. Malgré les efforts de José qui l’enlaçait, elle ouvrit et cria:
– Armand!…
Dans sa situation désespérée, la rigide vertu britannique oublia les lois du can’t; elle ne cria pas: «Monsieur Lavarède!» mais de son cœur, sans le vouloir, partit ce seul mot, résumant tout:
– Armand!…
Lavarède, d’un bond, franchit la barre d’appui et sauta dans la chambre. Sa main vigoureuse saisit José et l’envoya à l’autre extrémité de la salle, l’éloignant de sa victime miraculeusement sauvée.
– Monsieur, lui dit-il avec indignation, vous êtes une rude canaille; mais, moi vivant, vous ne toucherez pas un cheveu de cette jeune fille!…
José, jaune de colère et de rage, se ramassait derrière un meuble, et sa main droite se crispait sur la crosse d’un revolver qu’il venait de tirer de sa ceinture. Une idée lumineuse traversa l’esprit de Lavarède.
– Je n’ai pas d’armes: ce revolver… c’est lui qui va donner le signal, – et gaiement, – une révolution pour miss Aurett!
Puis, reprenant tout son sang-froid, il commença, lui, désarmé, de railler son adversaire armé.
– Prends garde, José, tu blêmis… tu as peur et tu vas me manquer.
Le rastaquouère allonge le bras et tire. Un cri de la jeune fille répond à la détonation. Mais Armand n’a pas bronché.
– Je l’avais bien dit.
Il est souriant, les bras croisés, et nargue encore l’Américain. Celui-ci ajuste, mieux cette fois, sans doute.
– Manqué encore, fait le Français, auquel pourtant échappe un mouvement imperceptible…
Mais, de son épaule gauche, un filet de sang coule sur sa veste de cuir.
Aurett l’a vu… Elle se précipite pour le couvrir de son corps… José hésite à tirer, il ne veut pas atteindre la belle Anglaise aux millions. Armand voit cette appréhension. D’un geste, il écarte son amie et redevient provocant.
– Lâche! crie-t-il à José… tire donc une troisième balle… je la veux, tu n’oseras donc pas?… une troisième, te dis-je!… poltron!
Sous l’injure, le misérable se redresse comme sous un coup de fouet. Livide, il vise lentement, droit au cœur… Au moment où il presse la gâchette, sa face blême s’éclaire d’un mauvais sourire…
Il tire!
C’en est fait, Lavarède, cible vivante, doit être mort. Mais une main a fait dévier la balle. Miss Aurett, au risque de se faire tuer, s’est élancée sur José. D’un mouvement rapide, elle a relevé son bras armé, et la troisième balle est allée se perdre dans la muraille. Lavarède est sauvé par elle. Un éclair de joie illumine leurs visages. Chez miss Aurett, c’est le bonheur d’avoir préservé les jours de son ami. Chez lui, c’est un autre triomphe encore.
En réponse à la troisième détonation, des cris tumultueux ont retenti au dehors. C’est la révolution qui commence. Et Armand, quittant le rôle passif, qui ne lui est plus utile, se précipite sur José terrifié et le désarme.
Aussitôt, quelques hommes pénètrent dans la chambre et s’emparent du gouverneur. D’autres envahissent le patio. Par la fenêtre du rez-de-chaussée, ils voient Lavarède et l’acclament. Ce sont ceux qui ont fait route avec lui et qui le reconnaissent pour chef. Mais une émotion s’empare d’eux. Leur ami «La Bareda» est couvert de sang. Il défaille.
Miss Aurett s’empresse auprès de lui pour le soigner. Heureusement la blessure n’est que légère: la balle de José n’a fait qu’effleurer l’épaule, un pansement rapide arrête l’hémorragie. En deux minutes, tous ceux qui sont présents au château savent la nouvelle. Il a été blessé, son sang a coulé pour la bonne cause. Cela suffit. D’eux-mêmes, tous se rangent sous ses ordres. Et le voilà du coup qualifié de «général» par les partisans de Zelaya et de Hyeronimo. Il est le général La Bareda, libérateur des peuples, martyr de la révolution, plus encore si cela lui plait!… Revenu de son évanouissement passager, il songe au père d’Aurett et donne l’ordre de le délivrer. Les quatre soldats qui l’ont attaché et le gardent le lui amènent immédiatement. Une idée plaisante lui traverse l’esprit.
– Emparez-vous de cet homme, ordonne-t-il en désignant don José, et liez-le solidement avec les mêmes cordes qui ligotaient la victime de son arbitraire.
Il n’y a pas de bonne révolution sans ces compensations-là. Les palais restent les mêmes ainsi que les prisons; ce sont seulement les locataires qui changent. Les quatre hommes s’acquittaient consciencieusement de leur besogne lorsque sir Murlyton les arrêta d’un geste.
– Qu’y a-t-il? que voulez-vous?
– Aoh! fit l’Anglais, avant de l’attacher, je voudrais boxer lui.
– Soit, dit le libérateur, boxez…
Ce disant, il accompagna cette marque de condescendance et d’autorité d’un de ces mouvements superbes comme en eut le roi Salomon, lorsqu’il rendait la justice.
En un clin d’œil, on se transporta dans la cour; on forma le cercle, Lavarède assis sur un siège élevé, miss Aurett auprès de lui. Et au plus grand ébaudissement de l’assistance, don José reçut une formidable dégelée de coups de poing, administrée dans les règles les plus correctes de l’art. Les joues bouffies, les chairs meurtries, les yeux pochés et sanglants, il fut enfin arraché à la fureur vengeresse de l’Anglais. Celui-ci, qui avait évidemment la colère concentrée, ne s’était pas départi de son calme habituel.
– Je suis satisfait, dit-il avec un grand flegme… Ma dignité est vengée.
– Et mon honneur est sauf, ajouta à voix basse miss Aurett, grâce à notre ami M. Lavarède.
– Aoh! ce était tout à fait un gentleman.
Et il alla lui serrer la main avec cordialité. Pendant qu’ils échangeaient le shake hands, un brouhaha se produisit vers la porte du château. Un homme cherchait à se sauver. Interpellé, il n’avait pas répondu. Alors, deux ou trois montagnards lui avaient couru après et le ramenaient de force. Tout naturellement, ils le conduisirent devant leur général. Le libérateur