Les cinq sous de Lavarède. Paul d'Ivoi

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Les cinq sous de Lavarède - Paul  d'Ivoi

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de bien surprenant dans cette région volcanique, où les tremblements de terre se produisent, bon an, mal an, une soixantaine de fois.

      Le soir venait. À perte de vue, d’énormes massifs de roches s’entassaient dans tous les sens, à travers la brume amoncelée. Nos voyageurs grignotèrent une tortilla de maïs, de la provision que leur avait laissée Iloé. Il fallait au moins se soutenir, puisque l’on ne savait où l’on pourrait gîter.

      À la frontière, on trouva bien un petit poste, mais c’était à peine un abri pour les soldats.

      Sans s’y arrêter, la caravane salua les trois guerriers un peu dépenaillés qui représentaient l’armée des États-Unis de Colombie. Les mules foulèrent le sol de Costa-Rica. La route faisait, à cent mètres plus loin, un coude brusque à angle droit. Tout à coup, Armand, qui marchait en tête, aperçut, derrière un rocher, une sorte de campement; c’étaient des arrieros, des muletiers, mais avec eux quelques soldats. Il s’arrêta et fit signe aux Anglais d’approcher prudemment.

      Au même instant, des cris retentirent. Les muletiers étaient tous debout, criant plus fort les uns que les autres.

      – Les voilà!…

      – C’est bien nos mules.

      – Je reconnais le harnachement.

      – Les voleurs viennent ici nous braver!

      – Hyeronimo!… où donc es-tu?

      – Cherchez-le! qu’il vienne tout de suite.

      – Ceux-là, en attendant, nous allons les conduire au capitaine Moralès.

      – Ah! leur affaire est claire.

      En un clin d’œil Lavarède, Murlyton et miss Aurett furent entourés, descendus de leurs mules par vingt bras vigoureux, un peu bousculés au surplus, et, finalement, conduits devant le capitaine qui, allongé sur un tronc d’arbre, fumait son cigarito. Ils n’avaient pas eu le temps de s’expliquer.

      À côté de l’officier un homme était assis, enveloppé dans une capa, dont le haut collet dissimulait son visage. Il se pencha vers son voisin, lui dit quelques mots rapides à voix basse, et l’officier se leva tout aussitôt.

      – Silence, fit-il avec autorité!… Laissez cette jeune personne et son honorable père, et tâchez, une autre fois, de mieux reconnaître les gens.

      Les arrieros s’écartèrent.

      – Señorita, ajouta le capitaine, et vous, señor, nous sommes ici par l’ordre du nouveau gouverneur, don José Miraflor y Courramazas, pour vous servir d’escorte et vous faire honneur. Ces mules sont précisément destinées à Vos Grâces… Mais nous n’attendions que deux voyageurs, et vous êtes trois… Qui es-tu, toi, le troisième?

      – Armand Lavarède, citoyen libre de la République française, voyageant… pour son agrément.

      Hyeronimo arrivait à ce moment.

      – Le señor Français, dit-il, était monté sur une de mes mules, qui a disparu depuis trois jours… Je l’accuse de l’avoir volée.

      – Erreur, estimable, mais naïf arriero; il y a trois jours, je n’étais pas ici; quant à tes mules, loin de les avoir dérobées, nous les avons reprises aux voleurs. J’ai des témoins, d’ailleurs, mademoiselle et monsieur peuvent certifier que je dis vrai.

      Pendant qu’il racontait l’incident de la route, grâce auquel Ramon s’était emparé des bêtes, l’homme à la capa parla encore à l’officier.

      – Tout cela est fort bien, conclut le capitaine Moralès; mais je ne suis ni alcade, ni juge-mayor, et n’ai pas qualité pour prononcer. Je suis chef de l’escorte, nous allons conduire les hôtes del señor Gobernador avec tous les honneurs qui leur sont dus… Quant à vous, señor Français, je vous arrête sous l’inculpation de vol de deux mules; vous vous expliquerez devant un tribunal dès que nous serons arrivés à Cambo.

      Il n’y avait pas à répliquer. L’apparence de justice était contre Armand. Il le comprit, et docilement, en fataliste, se plaça entre les soldats désignés. Puis l’escorte et les voyageurs se mirent en marche, notre pauvre ami à pied, les autres montés. Mais son bon génie, miss Aurett, veillait.

      – Mon père, dit-elle à l’officier, avait une mule à lui; je vois que personne ne s’en sert, et je vous serais obligée de la donner à ce jeune homme que nous connaissons et qui est victime d’une erreur.

      – Oh! cela peut se faire, répondit galamment Moralès. J’ai ordre de me conformer à tous vos désirs.

      Et Lavarède eut, au moins, la consolation d’aller «à mule», lui aussi.

      – D’ailleurs, reprit le chef de l’escorte, ce soir nous n’avons pas longtemps à marcher. Nous côtoyons en ce moment le Cerro del Brenon; après franchi le rio Colo et le rio Colorado, nous nous arrêterons au pied de la Cordillera de las Cruces. Là est un rancho où des chambres et un souper sont préparés pour Vos Seigneuries.

      La jeune Anglaise réfléchissait. Cette surprise l’attendant sur le sol costaricien ne lui disait rien de bon, et le nom de don José n’était pas non plus pour la rassurer. Mais, après tout, son père était là, Armand aussi, s’il le fallait; il lui semblait donc qu’elle n’avait rien à craindre.

      Cependant l’homme mystérieux à la capa dissimulatrice avait, cette fois, laissé passer le capitaine Moralès, et ayant ralenti le pas de sa mule, il se trouva côte à côte avec Lavarède. Tout d’abord, il ne lui adressa pas la parole. Il ne faisait entendre qu’un petit rire étouffé, qui intriguait fort Armand.

      Après quelques pas pourtant, il parla, et, en très bon français, dit à son voisin:

      – Eh bien, cher monsieur, je crois que je tiens ma revanche de la Lorraine!

      Lavarède ne put réprimer un cri de stupéfaction.

      – Bouvreuil!…

      – Moi-même.

      – Quelle heureuse chance, mon cher propriétaire, de vous rencontrer en pays lointains!…

      – Raillez, monsieur, raillez… Rira bien qui rira le dernier… et vous verrez demain si la chance est si heureuse pour vous.

      – Vous avez donc imaginé quelque nouvelle canaillerie, d’accord avec votre copain le rastaquouère?

      – D’abord, cher monsieur, mon copain, comme il vous plait de l’appeler, est ici le maître; il représente le gouvernement, et, comme il n’a rien à me refuser, vous êtes un peu en mon pouvoir… À lui la demoiselle, à moi le beau Parisien.

      – Vraiment? fit Armand, frémissant malgré lui à l’idée de ce partage.

      – Et puisque, cette fois, vous êtes bien battu, je ne veux pas me refuser la satisfaction de vous dire à l’avance quel sera votre sort.

      – Voyons donc l’avenir, mon cher magicien.

      – Il est bien simple… Vous serez demain condamné, pour vol des mules d’Hyeronimo, à un an de prison… En ce pays-ci, douze mois de villégiature ne sont pas trop pénibles, et vous

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