L'enfance et l'adolescence. Tolstoy Leo

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L'enfance et l'adolescence - Tolstoy Leo

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indiqué.

      Après avoir choisi entre les racines d'un haut chêne une place ombragée et commode, je m'étendis sur le sol et je fis coucher Giran à mes côtés, puis j'attendis le lièvre. Mon imagination, comme toujours en pareille occurrence, s'envola bien au delà de la réalité; je me figurais déjà que je chassais mon troisième lièvre lorsqu'un des chiens courants donna l'éveil.

      La voix de Tourka, de plus en plus forte et animée, retentissait dans la forêt, les chiens courants poussaient des cris plaintifs de plus en plus fréquents … une autre voix de basse vint se joindre à la première, puis une troisième, une quatrième … puis des silences, les voix s'interrompaient l'une l'autre … puis elles devinrent plus bruyantes et continues, et enfin se confondirent dans un bruit sonore, un roulement sans fin. L'île était remplie d'échos, et les chiens y allaient de bon cœur.

      A l'ouïe de tous ces cris je restai cloué à ma place, les yeux fixés éperdument sur la lisière du bois; je souriais comme un insensé, la sueur ruisselait de mon front, de grosses gouttes coulaient sur mon menton, me chatouillaient, et pourtant je ne les essuyais pas. Il me semblait que le moment décisif était arrivé; cette tension de nerfs était trop peu naturelle pour durer longtemps. Tantôt les chiens courants poussaient des hurlements dans la clairière, tantôt ils s'éloignaient de moi; mais j'avais beau regarder de tous côtés, je ne voyais point de lièvre. Giran n'était pas moins surexcité que moi; d'abord il s'efforça de s'échapper de mes mains, puis il poussa des cris plaintifs, ensuite il se coucha près de moi, posa son museau sur mes genoux et se tranquillisa.

      Près des racines dénudées de mon chêne, sur la terre aride et grise, entre les feuilles sèches, les glands, les branches mortes et verdissantes, la mousse d'un vert jaunâtre et de rares brins d'herbe, grouillait tout un peuple de fourmis; l'une après l'autre elles se pressaient sur les chemins battus qu'elles s'étaient frayés; les unes portaient des fardeaux, les autres passaient librement. Je pris une petite branche, et je leur coupai le passage. Il fallait voir comment les unes méprisant le danger rampaient sous l'obstacle, comment d'autres le franchissaient en passant par-dessus; celles qui étaient chargées ne savaient que faire; elles s'arrêtèrent, cherchèrent un détour, rebroussèrent chemin ou gravirent bravement le brin de bois jusqu'à ma main, avec l'intention évidente d'entrer dans la manche de mon veston.

      Je fus distrait de ces observations intéressantes par un papillon aux ailes jaunes qui voltigeait devant moi, avec une grâce séductrice à laquelle je ne sus pas résister. Je venais à peine de le remarquer, lorsqu'il s'envola à deux pas de moi et se mit à décrire des courbes autour d'une fleur blanche et à demi fermée de trèfle sauvage, puis il s'y posa. Je ne sais si c'était parce qu'un rayon de soleil le réchauffait ou parce qu'il butinait sur cette plante, – mais je vis qu'il était parfaitement heureux. Il agita de temps en temps ses ailes, étreignit la fleur de plus près et finit par s'endormir tout à fait.

      Je pris ma tête dans les deux mains, et je le contemplai avec ravissement.

      Tout à coup Giran hurla et me tira avec tant de violence, que je faillis rouler à terre. Je regardai autour de moi; à la lisière du bois, tout près de nous, une oreille levée et l'autre couchée, un lièvre sautillait. Tout mon sang reflua au cerveau, je perdis la tête et je me mis à crier quelque chose d'une voix surnaturelle, je lâchai le chien et commençai à courir après lui. Mais aussitôt je compris mon étourderie, et je m'en repentis; quant au lièvre, il s'était déjà ramassé sur lui-même et d'un bond il disparut.

      Quelle ne fut pas ma honte, lorsque, après les chiens courants, qui criaient tous comme une seule voix dans la clairière, je vis passer Tourka! Il s'est aperçu de ma sottise! me dis-je. Il s'éloigna en me jetant un regard de mépris et cette seule interjection:

      «Hé, monsieur!»

      Mais il faut savoir de quel ton ces deux mots furent prononcés! J'aurais mieux aimé être pendu comme un lièvre aux arçons de sa selle.

      Je restai longtemps, plongé dans mon désespoir, immobile à la même place; je ne rappelai pas mon chien, je ne fis que répéter en me tapant les cuisses:

      «Qu'ai-je fait, mon Dieu, qu'ai-je fait?»

      J'entendis les chiens courants s'éloigner, parcourir avec bruit l'autre partie de la forêt; je sus que le lièvre était retrouvé; puis Tourka souffla dans son grand cor pour rappeler la meute. – Mais je ne bougeai pas de ma place.

      CHAPITRE V

      LES JEUX

      La chasse est terminée. Un tapis est étendu sur le gazon à l'ombre des jeunes bouleaux, et toute la compagnie s'y est assise en cercle. A côté, le sommelier, Gavrilo, à genoux sur l'herbe verte et moelleuse, essuie les plats; puis il sort délicatement, d'une boîte, des prunes et des pêches, enveloppées de feuilles.

      A travers les branchages des bouleaux filtrent des rayons qui mettent de grosses taches rondes et vacillantes sur les dessins du tapis, sur mes souliers et même sur le crâne glabre et ruisselant de sueur de Gavrilo. Une brise qui court dans le feuillage vient caresser mon visage moite et mes cheveux et m'apporte une sensation de fraîcheur et de bien-être.

      Après avoir fait amplement honneur aux glaces et aux fruits, nous, les enfants, n'ayant plus rien qui nous retienne sur le tapis, et en dépit des rayons obliques et brûlants qui échauffent l'air en dehors de notre abri, nous nous élançons à la recherche d'un coin favorable pour jouer.

      «A quoi allons-nous nous amuser? demande Lioubotchka en fermant les yeux à cause du soleil, et en sautillant sur l'herbe. Voulez-vous jouer au Robinson?

      – Non … c'est trop ennuyeux, dit Volodia en se laissant choir paresseusement sur le gazon et en mordillant des brins d'herbe;… toujours jouer au Robinson! si vous voulez vous amuser, allons construire un pavillon.»

      Volodia faisait le grand garçon, il prétexta de la fatigue. Évidemment il avait la tête tournée pour avoir monté un cheval de chasse. Peut-être aussi était-il trop raisonnable et doué de trop peu d'imagination pour prendre plaisir au Robinson.

      Ce jeu consistait dans la représentation des scènes du Robinson Suisse que nous venions de lire.

      «Allons, je t'en prie… pourquoi ne veux-tu pas nous faire ce plaisir? répétaient les petites, en insistant auprès de Volodia. Tu seras Charles, ou Ernest, ou tu feras le père, comme tu voudras, disait Katienka en le tirant par la manche de son veston pour le faire lever.

      – Je vous assure que je n'en ai pas envie… C'est trop ennuyeux, répondait Volodia en s'étirant et avec un sourire de suffisance.

      – Alors tu aurais mieux fait de nous laisser à la maison puisque tu ne veux pas t'amuser,» recommença Lioubotchka, avec des larmes dans la voix.

      Ma sœur était une pleurnicheuse accomplie.

      «C'est bon, c'est bon, reprit-il, je jouerai, seulement ne pleure pas, tu sais que je déteste les larmes.»

      La condescendance de Volodia ne contribua pas à notre amusement. Au contraire, sa mine indolente et maussade détruisait tout le charme du jeu. Nous nous étions assis par terre et nous faisions semblant de ramer à tour de bras pour figurer des pêcheurs dans leurs canots; mais Volodia restait immobile, les mains croisées, dans une attitude qui n'était point celle d'un pêcheur sur l'eau. Je lui en fis la remarque, il me demanda si, à force de nous balancer, nous avancerions d'un pouce? Je fus obligé de convenir qu'il avait raison.

      De même, lorsque j'appuyai un bâton sur mon épaule et me mis fièrement en route en m'imaginant que

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