Histoire des salons de Paris. Tome 6. Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Histoire des salons de Paris. Tome 6 - Abrantès Laure Junot duchesse d'

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de Lavalette, sa manière de conter, sa parole comme il faut, et une foule de choses en lui qui, au fait, rendaient sa société désirable.

      Lorsque la nouvelle du traité de Campo-Formio arriva à Paris, avec toute cette gloire dont la tête de Bonaparte était entourée, M. de Talleyrand le comprit, mais sans le deviner entièrement toutefois; il vit un grand homme, mais il crut un peu trop peut-être à l'orgueil personnel, qui lui disait qu'il avait fait une partie de cette gloire; comme plus tard en eurent la pensée ceux qui le suivaient alors.

      Monge et Berthier arrivèrent d'Italie, apportant le fameux traité qui donnait la paix à la France. M. de Talleyrand les invita souvent à dîner chez lui, et les fit causer sur Bonaparte. Berthier parlait volontiers, et sans entendre malice à la chose, et Monge, malgré sa science profonde, était simple comme un enfant. M. de Talleyrand eut donc aussi beau jeu que possible pour les faire parler sur l'homme qu'il voulait connaître et ne connaissait encore d'aucune manière37. Cette besogne il était obligé de la faire à lui seul, car il n'avait pas dans sa maison une personne capable de l'aider; il n'était pas marié, pour dire le mot, quoiqu'il y eût une femme dans la bergère, à la droite de la cheminée, et souvent à table vis-à-vis de lui; mais madame Grandt, qui plus tard devint altesse sérénissime par la grâce de Dieu, ou à la grâce de Dieu, plutôt que de toute autre, madame Grandt n'était pas de force à ce que M. de Talleyrand lui confiât la moindre mission. On sait bien qu'en 1802, l'ayant priée de parler à Denon de ses voyages, la pauvre femme le prit pour Robinson Crusoé, et lui demanda des nouvelles de Vendredi; or, cette belle action, elle la fit en 1802, et l'on n'était alors qu'en 1797.

      Elle était bien belle alors madame Grandt. Je comprends que M. de Talleyrand l'ait aimée, quoiqu'elle fût sotte, et sotte à impatienter, comme j'ai compris aussi que madame Grandt ait aimé M. de Talleyrand, quoiqu'il fût évêque; car un évêque, ce n'est ni bien ni mal; ce n'est ni une femme ni un homme, ce n'est rien pour l'amour.

      La maison de M. de Talleyrand fut quelque temps à se monter et à devenir sociable; mais une fois que le premier pas dans cette route fut fait, le reste alla tout seul. Madame de Staël, d'autres femmes qui savaient causer, entouraient M. de Talleyrand, et lui épargnaient la peine de parler. Quelques-unes de ses amies émigrées rentrèrent, rappelées par lui-même, lui, qui naguère était proscrit! M. de Talleyrand aime sa maison, le casement; il aime sans aucun doute ce que nous appelons chez nous l'intérieur; ce qui, pour le dire en passant, dérange un peu ma confiance dans cette belle science qu'on appelle la phrénologie, car M. de Talleyrand a, j'en suis sûre, les deux organes que Gall appelle attachement à l'habitation et à la sociabilité38; de ces deux organes réunis, Gall faisait l'esprit patriotique. Je ne prononce sur rien; je demande seulement si M. de Talleyrand est un patriote dans la véritable acception du mot?

      M. de Talleyrand aimait tout ce qui rappelait la cour; le Directoire en était idolâtre. Alors les grands manteaux étaient dépliés, les chapeaux à la Henri IV sortaient de leur étui, et le Directoire jouait à la parade. Hélas! c'était la principale occupation de ce gouvernement, si misérable qu'on ne peut que le mépriser. On n'a pas de haine pour ce qui est si petit.

      En apprenant la nouvelle de la paix de Campo-Formio, la joie fut universelle. Croira-t-on qu'un homme39 osa proposer, au milieu de cet enthousiasme, d'accorder une indemnité pécuniaire au général Bonaparte! mais les murmures universels, non-seulement dans l'Assemblée, mais dans Paris, dans la France, prouvèrent qu'on était encore au temps où l'annonce d'une victoire faisait battre un cœur français et pleurer de joie.

      Un habitué du salon de M. de Talleyrand était Chénier. Ce fut lui qui proposa et fit adopter le décret pour la rentrée et la radiation de M. de Talleyrand, et le rapport de l'acte d'accusation contre lui. Celui-ci n'avait pas oublié ce service, et puis l'esprit élevé de M. de Talleyrand avait su comprendre Chénier. Chénier était un républicain, qui jamais ne fut coupable d'aucun excès, et qui en empêcha beaucoup40. Mais une fois que l'opinion a pris une route fausse pour son jugement, il est difficile de la faire revenir. C'est une chose étrange de notre nature française; nous sommes légers pour prendre parti contre un homme, dès qu'il est célèbre en quoi que ce soit, et nous sommes fixés dans notre pensée pour lui accorder ensuite la justice qui lui est due.

      Bonaparte était donc, comme je l'ai dit, le favori de monsieur de Talleyrand. Il dit à Chénier qu'il fallait faire quelque chose de remarquable pour l'arrivée du général Bonaparte, et Chénier fit le Chant du Retour… On le lut chez monsieur de Talleyrand, qui aurait encore voulu plus de louanges pour le vainqueur… Et madame de Staël!.. Ce n'est pas alors qu'elle le nommait Robespierre à cheval!… Et le salon de monsieur de Talleyrand, ce même salon qui, plus tard, retentit d'invectives contre le héros de la France et de projets pour son abaissement et sa mort, ne répétait alors que des paroles d'amour et de louanges! C'est qu'on ne le croyait pas si grand!..

      Enfin, le vainqueur de Lodi et d'Arcole, le pacificateur de la plus grande partie de l'Europe, rentra dans Paris, chargé de lauriers qui faisaient pencher sa jeune tête. Quelle joie! quel délire!.. Comme le peuple français comprenait la gloire qu'on lui donnait alors!.. C'était plus que de l'enthousiasme… Ah! ces souvenirs font mal… mal à briser le cœur!

      Monsieur de Talleyrand, fier du général Bonaparte, le reçut comme un fils… Son discours, lorsqu'il le présenta au Directoire, et qu'on peut lire dans le Moniteur, est une preuve sans réplique de ce qu'il pensait alors… Il blessait le Directoire cependant, et il le savait!..

      Le Directoire donna une fête au vainqueur-pacificateur, et le soir il y eut un bal à l'Odéon. Ce bal fut très-beau, beaucoup de toasts furent portés au dîner. Chénier en porta un assez remarquable pour être rapporté:

      À ses victoires pour notre gloire! à sa longue vie pour notre bonheur!..

      François de Neufchâteau fit aussi des vers… Les couronnes tombaient sur le front pâle du jeune homme, qui paraissait calme et comme accoutumé à de pareils honneurs.

      Monsieur de Talleyrand demandait à chaque personne qu'il rencontrait:

      L'avez-vous vu?.. – Non. – Eh bien, venez demain chez moi, il y dînera, vous pourrez le voir facilement…

      Bientôt l'hôtel Gallifet, qui alors était déjà l'hôtel destiné aux affaires étrangères, fut bouleversé par les préparatifs d'une fête donnée par le ministre au général Bonaparte. Quatre mille personnes devaient, dit-on, être invitées. Les femmes préparaient des toilettes plus magnifiques que la Révolution n'en avait encore vu… Les préparatifs de cette fête avaient la même importance pour les marchands. Lorsqu'une femme disputait sur le prix d'un objet, le marchand lui disait en souriant: «Oh! madame, pour fêter le général Bonaparte, est-il quelque chose d'assez beau, d'assez cher?..» Et si la femme s'obstinait, le marchand lui disait: «Eh bien! prenez-le!.. Je ne veux pas qu'il soit dit que par ma faute il y aura une femme mal mise à la fête que donne la nation à notre héros41

      Il existe encore bien des êtres qui doivent se rappeler le jour où monsieur de Talleyrand présentait à l'Europe l'homme des siècles, comme lui-même l'avait nommé dans son discours. Quel mouvement autour de ce palais du Directoire! Quelle joie délirante!.. Comme on se pressait autour de Bonaparte! On voulait voir ce jeune visage pâle et mélancolique, au regard profond et à l'œil d'aigle. Cet homme, âgé au plus de vingt-huit ans, arrivait dans Paris, dans cette ville aux merveilles, précédé d'une immense renommée et entouré d'un éclat qui eût suffi pour illustrer la plus longue carrière. Tous se levèrent pour voir un homme si grand!.. Et lui, calme

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<p>37</p>

Ils ne s'étaient pas encore rencontrés; M. de Talleyrand était revenu d'Amérique après le départ de Bonaparte pour l'Italie.

<p>38</p>

Ce que, plus tard, Spurzheim a nommé habitivité; barbarisme inutile.

<p>39</p>

Malibran, député de l'Hérault au Conseil des Cinq-Cents; et il aimait le général Bonaparte!.. il demanda en même temps pour lui qu'on donnât le nom de faubourg d'Italie au faubourg Saint-Antoine. Cet homme, j'en suis sûre, aurait aussi mal entendu l'honneur pour lui-même; je crois que ce Malibran est le beau-père de la fameuse madame Malibran. Comme il était familier de Barras, on pensa que le Directoire, qui déjà craignait Bonaparte et le jugeait d'après lui, aurait voulu le déconsidérer dans le cas où il aurait accepté.

<p>40</p>

Chénier (Marie-Joseph), qui fut à tort accusé de la mort de son frère, était un homme de bonne foi, républicain dans le cœur. Il a fait une foule de beaux traits, de choses utiles qu'on ignore, parce qu'on parle de lui sans rien approfondir; mais il faut connaître Chénier, et savoir tout le bien qu'il fit et le mal qu'il empêcha. Ce fut lui qui fit décréter les écoles primaires. Aussitôt que la veuve d'un littérateur faisait entendre une parole de détresse, Chénier montait à la tribune et demandait une pension pour elle; s'occupant des arts, de la littérature, et d'une foule de choses toutes utiles à la science et au progrès. Les Clichiens ont été rigoureux pour lui, parce qu'il fut sans pitié pour les excès de la Compagnie de Jésus et de leurs acolytes plus féroces que les monstres de 93. Le Moniteur de l'époque (et celui-là est vrai) est le livre où l'opinion devrait s'instruire avant de se formuler si violemment.

<p>41</p>

C'est madame Germon, couturière très en vogue alors, qui répondit ce mot à une femme, et fit en effet sa robe pour le tiers du prix. Elle fut depuis couturière de madame Bonaparte.